En juillet 2019, le Plan National d’Accouchement Humanisé a célébré ses deux années d’existence au Venezuela. Approuvé par le Président Nicolas Maduro et institué comme politique d’État visant à établir et à promouvoir les conditions pour que les femmes puissent choisir une autre façon d’accoucher. Cette mesure fait du Venezuela un pionnier d’une politique publique qui permet un accouchement sans actes chirurgicaux ni médicamenteux.

Ce programme concerne plus de 50% de la population féminine vénézuélienne, et parmi celle-ci, près de 9 millions de femmes en âge de procréer. 520.000 accouchements par an sont réalisés dans le pays selon les données de 2014 de l’UNICEF.

De plus, le Venezuela est l’un des pays sud-américains ayant le taux de grossesse le plus élevé chez les adolescentes : 23% des naissances sont des enfants nés de mères ayant entre 15 et 19 ans. Les autres 75% de grossesses se produisent entre 25 et 35 ans.

« C’est un défi qui signifie surmonter un tabou. C’est aussi la construction d’un projet de vie avec ces jeunes femmes non seulement pour construire une société juste où chacun(e) est l’égal(e) de l’autre mais aussi sur le plan personnel, car les femmes peuvent avoir un projet, un horizon dans la société socialiste que nous voulons construire » affirme Asia Villegas, médecin et vice-ministre de la femme et de l’égalité des genres .

Ce programme social vise à faire que ces naissances soient réalisées dans le respect des volontés de la future mère, indépendamment de la classe sociale à laquelle elle appartient. Néanmoins, l’État crée également des mécanismes particuliers pour que les secteurs les plus pauvres de la population puissent avoir accès à ce Plan. Depuis 2017, il existe trois aides financières pour les femmes : une aide pour l’allaitement maternel, pour un accouchement humanisé, et une autre pour les promotrices de ce Programme. Actuellement, les aides sont de 26.600 bolivars, versée tous les mois par le biais du Sistema Patria à environ 760.000 vénézuéliennes.

« En tant que plan, nous sommes liés par un accord pour que les femmes aient un accompagnement médical. Nous n’encourageons pas les accouchements à la maison, du moins cela ne fait pas partie du Plan national. L’objectif est que les femmes enceintes reçoivent une attention respectueuse, chaleureuse dans les centre de santé » explique la responsable des accouchements et coordinatrice du Programme, Anabel Perez. L’Organisation Mondiale de la Santé défend un accord mondial selon lequel chaque pays devrait avoir un maximum de 10 à 15% d’accouchement par césarienne, cependant au Venezuela cette pratique concerne 52% des naissances, soit, près de 250.000 actes par an.

Asia Villegas, médecin et Vice-ministre de la Femme et de l'Égalité de Genre

Asia Villegas, médecin et Vice-ministre de la Femme et de l’Égalité des Genres. Photo: Michele de Mello

Le nombre reste important malgré les coûts élevés de chirurgie. Dans une clinique privée, une césarienne peut valoir entre mille et six mille dollars ! Alors que les assurances santé des entreprises publiques couvrent des actes allant jusqu’à 250.000 bolivars… A présent, dans le système de santé, cet acte est devenu presque impossible en raison du manque de fournitures médicales- qui résulte du blocus économique. Les femmes qui ont besoin d’une césarienne ou qui choisissent cet acte dans le système de santé publique doivent acheter un kit à part, qui inclut les gants, les injections, les antibiotiques, les compresses et autres matériels qui coûte environ 100 dollars… Les profits dérivés de la césarienne sont un de deux principaux motifs pour lesquels les médecins privés vénézuéliens poussent les femmes enceintes à faire le choix de la chirurgie. Anabel Perez critique la marchandisation de l’accouchement et défend son humanisation comme moyen de respecter davantage le bébé et la femme enceinte.

« L’acte, quand il devient humain et quelque chose de naturel, ne dépend de rien ni de personne d’autre. Il est naturel pour une femme de mettre au monde un être vivant. La prise en charge de la grossesse autant que la procréation sont des processus que nous savons tous naturellement mettre en œuvre. Le déroulement social au sein du capitalisme nous fait croire que la seule façon de naître est celle que nous connaissons et nous oublions celle de nos ancêtres », affirme-t-elle.

Avec des techniques de yoga, les formatrices enseignent des exercices qui aident les femmes enceintes jusqu’au moment de l’accouchement. Photo: Michele de Mello

Au-delà du fait qu’il réduit la quantité d’accouchements réalisés par interventions chirurgicales, le Plan National d’accouchement Humanisé, adopté le 18 juillet 2017, vise également à lutter contre la violence obstétrique. « Vaincre la violence obstétrique passe par la conscience des droits et la conscience d’un défi pacifique » affirme la vice-ministre, Asia Villegas. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 830 femmes meurent quotidiennement dans le monde pour des raisons liées à la grossesse et à l’accouchement qui peuvent être évitées, comme les infections, les hémorragies et l’hypertension. En 2016, la mortalité maternelle a augmenté de 65% au Venezuela, ce qui représente 756 décès selon les données du Ministère de la Santé. Quant à la mortalité néonatale elle a augmenté de 30% dans cette même année, ce qui représente un total de 11.466 décès.

Ce fut le cas de Dilia Ortiz, professeur et actuellement formatrice du Plan d’accouchement Humanisé dans le quartier de Caucaguita du quartier populaire de Petare, à l’Est de Caracas. En 2016, Dilia a perdu sa première fille à cause de complications lors de l’accouchement et par manque de prise en charge rapide. Sa mère, Maria Munol, qui est également formatrice du Programme, affirme que « si ce programme avait existé à ce moment-là, Dilia n’aurait pas perdu son bébé ».

Dilia et Maria font partie d’une famille dont quatre générations de femmes ont accouché naturellement. L’arrière-grand-mère et la grand-mère de Dilia étaient sages-femmes, elle-même ainsi que sa mère sont formatrices et promotrices de l’accouchement humanisé.

Dilia Penarosa Barrios, grand-mère de Dilia Ortiz, quand elle était enfant, a accompagné sa mère – qui avait été hospitalisée pendant cinq mois à l’hôpital à cause d’une appendicite – observant la routine de l’endroit et aidant les infirmières. A 13 ans, elle a appris comment aider d’autres femmes à accoucher.

Toute sa vie durant, dans la zone rurale de Cartagenas de Indias en Colombie, Dilia a exercé comme sage-femme. Mère de 11 enfants, elle raconte qu’elle savait exactement quand elle allait accoucher et, du fait des difficultés de l’époque, elle nettoyait la maison, lavait tous ses enfants, se lavait, se nourrissait, se peignait les cheveux et disait : « Si je meurs, ne cherche pas une autre famille, va chercher tes parrains » se rappelle-t-elle.

Aujourd’hui, Dilia apporte ses connaissances dans les activités du Plan National d’accouchement humanisé. Sa fille et sa petite-fille font partie du programme social depuis sa création.

C’est de manière presque intuitive que la famille découvre le plan. Maria Munol termine ses études d’éducation de base à l’Institut National de Formation et d’Education Sociale où elle a entendu pour la première fois l’expression « accouchement humanisé » lors de l’annonce du début d’un cours pour promotrices. Avec l’expérience acquise à la maison, immédiatement, Maria a voulu rejoindre le projet. Dilia allait seulement accompagner sa mère aux cours et elle a fini par participer au Plan.

« Je portais ma tristesse, ma douleur, ma colère, et je n’ai fait que suivre. A cette époque, je pleurais tous les jours en entendant ce que l’on disait, mais j’ai pu me retrouver dans le processus d’accouchement humanisé. Je me suis enthousiasmée et passionnée pour cette idée de pouvoir partager ma si triste expérience et de pouvoir ainsi aider d’autres femmes »  raconte l’enseignante.

Maria Munol et Dilia Ortiz avec les photos de deux générations de sages-femmes dans la famille : photo Michele de Mello

LE PLAN

Depuis juillet 2017, ce plan promeut un traitement humain de l’accouchement dans deux hôpitaux publics du pays, une politique qui suppose la connaissance du territoire national et de la diversité des femmes. Actuellement, 12.000 femmes chargées de cette promotion sont enregistrées et 2500 autres se trouvent en formation. Le but, fixé par Nicolas Maduro, est de parvenir à une équipe de 20.000 femmes d’ici l’année prochaine.

Le Ministère de la Femme et de l’Égalité des Genres a désigné 24 responsables politiques pour la mise en application du plan, une dans chaque état vénézuélien; en plus de permettre la supervision des 30 espaces d’accouchement humanisés dans le pays, cela devrait attirer davantage de promotrices pour le programme social.

Pour être promotrice, il suffit d’avoir entre 18 et 60 ans et d’être en capacité d’apporter de l’affection à la famille qu’elle va accompagner ; c’est là le principal prérequis selon Anabel Perez.

Après leur inscription, les femmes suivent une formation en tant qu’enseignante au sein du Plan dans les espaces de vie commune de leurs propres communautés. Durant six semaines de cours, les promoteurs apprennent les notions fondamentales sur le processus de grossesse, d’accouchement et de post-accouchement, d’allaitement et d’éducation respectueuse, sur les méthodes pour aborder des domaines de santé intégrale communautaire, d’organisation sociale sur le territoire et des notions de base pour assurer le suivi dans la vie quotidienne des femmes enceintes et surveiller les facteurs de risque.

« L’intention est de faire en sorte que les femmes enceintes soient responsables, confiantes par rapport à elles-mêmes et leur grossesse, qu’elles sachent respirer, comprendre ce qui va se passer » affirme Dilia Ortiz.

« Dans nos centres d’attention, les promotrices font partie de l’équipe de santé de base élargie. Cependant, au lieu d’attendre les patientes dans les unités, les promotrices parcourent les communautés en cherchant à établir le contact avec des femmes enceintes ou en âge de procréer. La promotrice est la voisine, l’amie qui vit dans la même communauté et connaît la réalité de l’endroit. C’est là qu’elle tisse des liens affectifs, de fraternité, grâce auxquels les femmes enceintes et les promotrices se rapprochent les unes des autres. La promotrice invite la femme enceinte à un cours de formation sur la grossesse, dans lequel elles se verront une fois par semaine pour faire des exercices, pour se détendre, pour apprendre tout ce qui a trait à la grossesse, à l’accouchement, à l’allaitement et à l’éducation » raconte Anabel Perez, l’assistante pour l’accouchement.

A Caracas, l’hôpital Maternel Hugo Chavez a été le premier à s’adapter et à s’ouvrir à ce programme. Dans cette unité, les promotrices du Plan peuvent faire des projets et des doulas (accompagnantes intégrales) peuvent accompagner les femmes enceintes lors de l’accouchement. Toutefois, cette réalité n’existe pas dans tout le pays.

Selon Villegas, les professionnels de la santé, axés sur la médecine privée, continuent d’opposer une résistance à l’accouchement humanisé. « Nous devons actualiser nos équipes médicales, convoquer les équipes de santé, en plus du travail d’institutionnalisation ».

C’est pourquoi, afin d’élargir le champ d’application du plan, le Ministère de la femme mise sur une action coordonnée avec d’autres institutions, telles que le Ministère de la santé et du Travail.

En juillet 2019, le Plan National d’Accouchement Humanisé a célébré ses deux années d’existence

UN PEU D’HISTOIRE

Le programme social est le résultat d’une lutte d’environ 10 années des mouvements féministes pour la défense des droits de reproduction et sexuels des femmes. « C’est leur expertise, leur expérience qui nous ont accompagnés dans l’élaboration de la proposition du plan » affirme la vice-ministre, qui reconnaît également que tout ce qu’elle sait sur l’accouchement humanisé, elle l’a appris en dehors de l’université, aux côtés des mouvements sociaux. Ce que toutes les femmes impliquées dans le programme s’accordent à dire, c’est qu’un plan national comme celui-ci n’est possible que dans le cadre de la Révolution Bolivarienne. « Qu’un Etat, non seulement assume la défense de la dignité de sa population, de la personne sur le territoire, mais aussi qu’il assume la responsabilité de chaque femme enceinte dans chaque localité, c’est une transformation, c’est révolutionnaire » conclut Asia Villegas.

Michele de Melo

 

 

 

Reportage et photos : Michele de Mello (+ 2 photos AVN), Caracas, 31 juin 2019.

Edition: Luiza Mançano

Coordination : Daniel Giovanaz et Vivian Fernandes

Source : Brasil de Fato https://www.brasildefato.com.br/2019/07/31/venezuela-comemora-dois-anos-do-plano-nacional-de-parto-humanizado/

Traduction : Sylvie Carrasco

URL de cet article : https://wp.me/p2ahp2-4Up

L’article original est accessible ici