Par Ignacio Ramonet

Cuba, l’Assemblée nationale du pouvoir populaire (ANPP) a voté à l’unanimité, le 22 juillet 2018, un projet de nouvelle Constitution. Ce projet, comportant 224 articles, a été soumis pendant trois mois – du 13 août au 15 novembre 2018 – à un grand débat national. Environ 7,5 millions de citoyens (sur 11 millions d’habitants) ont participé à quelque cent dix mille discussions dans chaque quartier, chaque entreprise et chaque université du pays. Ils ont proposé des amendements à environ 60% des articles.

Modifié et corrigé, le projet est revenu, le 21 décembre 2018, à l’ANPP qui a finalement adopté une version définitive (dont nous publions le texte intégral, en version originale, ci-dessous) qui sera adoptée par référendum.

Pourquoi une nouvelle Constitution ? Parce que, soixante ans après le début de la révolution cubaine, et après le décès de son fondateur Fidel Castro ainsi que le retrait – à l’issue de deux mandats présidentiels successifs de cinq ans – de M. Raul Castro, des modifications s’imposaient. En particulier pour intégrer les importantes réformes économiques introduites au cours de la dernière décennie.

Le nouveau texte reconnaît en effet le rôle du marché, de la propriété privée (qui ne doit pas être « concentrée ») et des investissements étrangers dans l’économie de Cuba. Il apporte ainsi une base juridique légale à l’« actualisation du modèle économique cubain » lancée, dès 2008, par le président Raul Castro, et que M. Miguel Díaz-Canel, 59 ans – qui lui a succédé à la tête de l’État le 19 avril 2018 –, devrait maintenant poursuivre. Cette réforme a permis à de nombreux petits entrepreneurs particuliers de lancer leur activité privée. Ils représenteraient désormais, selon les chiffres officiels, quelque 600 000 personnes soit environ 13% de la population active.

Le projet de nouvelle Constitution ne manque pas de réaffirmer le « caractère irrévocable » du socialisme à Cuba ainsi que le rôle dirigeant du Parti communiste, parti unique, dont M. Raul Castro demeure Premier secrétaire du Comité central jusqu’en 2021. La nouvelle Charte revendique également « la propriété socialiste de tout le peuple et la planification de l’économie ». Elle établit également le droit à l’ « habeas corpus » et garantit « les libertés de pensée, de conscience et d’expression ».

En revanche, concernant les dispositions prévues dans la première mouture, et qui pouvaient ouvrir la voie au « mariage pour tous », l’ANPP a finalement décidé de ne pas l’inscrire dans la nouvelle Constitution, en raison semble-t-il du sentiment critique d’un grand nombre de citoyens (et notamment des Églises catholique et Évangéliques) qui s’y seraient opposés lors du grand débat national. La proposition initiale définissait le mariage comme l’union « entre deux personnes » contrairement à la formule actuelle de la Constitution de 1976 qui le décrit comme l’union « entre un homme et une femme ».

Compte-tenu de ce revirement, la Commission chargée de la rédaction du texte a proposé la formule suivante : « Le mariage est une institution sociale et juridique ». L’article modifié déclare également que le mariage est « une des formes d’organisation familiale », qui « repose sur le libre consentement, l’égalité des droits, des obligations et de la capacité juridique des époux ». Il établit que ce sera « la loi » qui déterminera « la forme dans laquelle il est constitué et ses effets ». La question du mariage relèvera donc du Code de la famille qui « devra déterminer qui peuvent être les sujets d’un mariage », a précisé l’Assemblée nationale. « Une consultation populaire et un référendum seront organisés dans un délai de deux ans » sur ce sujet, a-t-elle ajouté.

À l’échelon institutionnel, le nouveau texte introduit d’autres importants changements. Notamment le titre de Président de la République ainsi que ceux de Vice-président de la République et de Premier ministre. Il précise l’âge minimum pour se présenter comme candidat à la présidence : 35 ans. Et l’âge maximum pour une première candidature : 60 ans. La durée du mandat présidentiel est par ailleurs fixée à cinq ans, renouvelable dans la foulée une seule fois.

Actuellement, M. Miguel Diaz-Canel est président du Conseil d’Etat et du Conseil des ministres. Dans la nouvelle Constitution, il sera président de la République et aura à ses côtés un Premier ministre. Le nouveau texte sépare donc la fonction de président de la République de celle de Premier ministre, qui sont actuellement fusionnées. Le scrutin indirect est maintenu : le président est choisi par les députés, eux-mêmes désignés lors d’une élection populaire.

Autre innovation : chef de l’exécutif, le président doit aussi, obligatoirement, être député, élu au sein de l’ANPP. Cette mesure viserait à éviter que se produise une dissociation entre l’Assemblée et le chef de l’État. A l’avenir, le président devra rendre des comptes à l’Assemblée nationale qui peut – autre nouveauté – le révoquer ou le destituer.

La nouvelle Constitution établit également que le président propose à l’ANPP le Premier ministre, les membres du Conseil des ministres, le président du Tribunal populaire suprême, le Procureur général de la République, le Contrôleur général de la République, le président du Conseil national électoral et les gouverneurs des provinces (équivalent, en France, aux préfets des départements).

Concernant la ou le Premier ministre, chef du Conseil des ministres, la nouvelle Constitution stipule qu’il ou elle sera responsable devant l’ANPP et devant le président (ou la présidente) de la République. Sur proposition du chef de l’Etat, c’est l’Assemblée qui nomme le Premier ministre.

La nouvelle Constitution ne remplacera officiellement la précédente, celle de 1976, qu’après une victoire du « oui » – ce qui fait peu de doute – lors du référendum du 24 février 2019.

 

► Texte intégral du projet de nouvelle Constitution : 
Constitucion-Cuba-2019.pdf

L’article original est accessible ici