Quand on parle de dictature militaire, on pense souvent à l’Amérique Latine et les généraux qui ont fait couler tant de sang au Chili, en Argentine, en Uruguay ou même au Brésil. Les exécutions sommaires, les opposant enlevés, les prisonniers politiques, les centres de tortures, les corps disparus et les bébés volés. Des images et des témoignages qui restent dans la mémoire collective du monde entier.

Néanmoins, l’Espagne a aussi vécu pendant près de quatre décennies une dictature sanglante aux mains du général Francisco Franco, qui prendra fin en 1975 au moment de sa mort. Mais à la différence de l’Amérique Latine, l’Espagne a décidé de garder le silence sur toute cette période à travers une loi d’amnistie, couramment appelée « le pacte de l’oubli ». Mais, est-ce possible d’oublier la mort d’un père, d’une mère, d’un bébé disparu, la torture ou la prison ?

Le Silence des Autres est un documentaire terrible et douloureux mais complètement indispensable. Pendant six ans les réalisateurs Almudena Carracedo et Robert Bahar ont suivi un groupe de victimes de la dictature de Franco, des gens qui cherchent le corps d’un membre de leur famille pour lui donner une digne sépulture ou des hommes ou des femmes qui ont souffert la torture ou le vol d’un bébé, et qui ont décidé de saisir la justice. Mais ils ne peuvent pas le faire dans leur propre pays car la loi d’amnistie empêche toute procédure, donc ils vont partir en Argentine pour qu’un tribunal international puisse juger les tortionnaires encore vivants, car les « crimes contre l’humanité » n’ont pas de prescription.

Une des plus grandes richesses de ce film c’est qu’il met un visage sur des victimes, ce ne sont pas des chiffres mais des personnes en chair et en os comme María Martín, une octogénaire qui peut à peine marcher mais qui continue à chercher le corps de sa mère ou José María Galante « Chato », que se bat pour condamner son tortionnaire « Billy el niño » qui habite à quelques pâtés de maison de chez lui.

Le documentaire a été produit par Pedro Almodovar et a été présenté au Festival de Berlin l’année dernière où il a gagné le Prix du Public et le Prix pour la Paix. En Espagne il a reçu le Prix Goya du meilleur documentaire. Un travail extraordinaire de recherche et de suivi, plus de 450 heures de tournage et 14 mois de montage qui se traduit par un récit puissant, humain et émouvant, qui nous donne l’impression d’accompagner les protagonistes dans leurs périples. Des témoignages, mais aussi des pauses et des silences qui nous rappel parfois les documentaires de Patricio Guzmán.

Le Silence des Autres n’est pas seulement un documentaire sur le victimes de la dictature de Franco, mais il est aussi une radiographie d’une société espagnole qui refuse de faire face à un passé douloureux et qui préfère tourner la page et élever les nouvelles générations dans l’ignorance de sa propre histoire. Une Espagne que l’on a du mal à imaginer, remplie de charniers et de corps enterrer à la vas-vite près des autoroutes. Une Espagne où les assassins et les tortionnaires se baladent tranquillement dans la rue. Une Espagne où des politiciens se permettent de remettre en question les exécutions et les disparus pendant la dictature. Une Espagne qui prétend construire son avenir en niant son passé.