Par Anelí Ruíz García *

Haïti a retrouvé une vie normale après une semaine de convulsions politiques et sociales dont le coût, dans tous les domaines, reste encore à établir.

L’éducation, les transports, l’administration publique, les hôpitaux et les centres commerciaux ont repris leurs activités après l’appel à la grève générale qui, pendant cinq jours consécutifs, a paralysé la capitale ainsi que d’autres villes importantes comme Cap Haïtien, Les Cayes et Miragone.

Au milieu de cette grave crise engendrée par la mobilisation contre la corruption et les demandes de changements immédiats dans la structure du pouvoir, le président haïtien,  Jovenel Moïse, s’est adressé au pays  et a réitéré sa volonté de dialoguer avec tous les secteurs de la nation.

Il a également demandé à l’opposition d’attendre les élections pour prendre le pouvoir: une allusion très claire à la campagne anti-gouvernementale lancée par divers médias qui appellent la population à occuper la rue et l’encouragent à utiliser la violence.

« Jusqu’aux prochaines élections, mon devoir est de diriger le pays, comme l’exige la Constitution », a déclaré le président avant de souligner que cette tâche pourrait revenir ensuite à un autre citoyen, à condition, bien sûr, que les principes de la démocratie et la Constitution soient respectés.

Mais cette allocution n’a pas eu l’effet désiré.  Un simple parcours en ville suffit pour le constater. Les rues offrent un  spectacle de désolation; les gens se hâtent de rentrer chez eux; il y règne une atmosphère encore plus inquiétante que pendant les manifestations.

Seul le grand commerce, grâce à ses forts dispositifs de sécurité, est en mesure de rester ouvert pendant quelques heures alors que les petits magasins, qui pourvoient aux besoins de plus de 80 pour cent de la population, fonctionnent au compte goutte.

Sans oublier les violents incidents qui ont émaillé le cours de la journée dans le centre-ville, les affrontements entre bandes rivales pour contrôler leur territoire, les transports médicaux d’urgence pris d’assaut, puis le vol et le pillage dans les quartiers les plus défavorisés de la capitale.

L’insécurité a atteint son point culminant. La presse locale rapporte que la population, prise de panique, a commencé à fuir certains quartiers de la ville où, même à grands renforts de police, la situation est devenue incontrôlable.

Le cas de Petrocaribe

En 2005, Hugo Chavez, le dirigeant vénézuélien, a lancé la plateforme de coopération énergétique appelée Petrocaribe. Cette initiative, prise dans le cadre des mesures communes préconisées par l´ALBA-TCP (Traité de Commerce des Peuples impulsé par l’Alliance Bolivarienne) était, selon les propres termes d’Hugo Chavez,  « un bouclier contre la faim ».

Cet accord, auquel adhérèrent une vingtaine de pays de la région, dont Haïti, offrait aux nations insulaires un accès au baril de pétrole à des conditions privilégiées, à savoir, possibilité de remboursement en 25 ans, avec un taux d’intérêt de 1 pour cent.

En plus de cela, le Venezuela accorda à Haïti un prêt de trois milliards 800 millions de dollars afin de permettre au pays de résoudre ses graves problèmes en matière d’alimentation, de logement, de santé, d’éducation, d’environnement, d’énergie et d’infrastructure.

Une enquête du Sénat haïtien, rendue publique au milieu de l’année 2017,  montre que 2 milliards de ces fonds publics ont été détournés par les trois derniers gouvernements.

L’examen des 656 pages publiées sous la direction du Comité d’Éthique et Anti-corruption du Sénat fait apparaître des détournements présumés de la part de 14 hauts fonctionnaires et de quatre importantes compagnies de construction.

Parmi les personnes citées se trouvent deux anciens chefs de gouvernement, Laurent Lamothe et Jean-Max Bellerive; l’ancien ministre au Plan, Germain Joseph; Jacques Joseph, autrefois ministre des Transports et des Communications, chargé des Travaux Publics; ainsi que d’autres membres du Ministère de la Planification.

Un an et demi après cette enquête, pas une seule des personnes impliquées n’a eu à faire à la justice, raison pour laquelle des centaines de milliers de haïtiens sont aujourd’hui dans la rue et exigent la restitution des sommes détournées.

Malgré cette situation, plus de 70 pour cent des projets menés à bien dans les secteurs de l’énergie, de l’éducation, de l’agriculture, de la santé, des sports et des infrastructures ont été financés par les fonds de Petrocaribe, comme l’a confirmé Greny Antoine, le représentant diplomatique de Haïti à Caracas, à l’occasion du 12ème anniversaire de la signature de cet accord de coopération.

Manifestations anti-corruption

Au cours de l’année dernière,  le pays a été la scène de constantes manifestations de protestation contre la gestion de l’État et contre l’absence de mesures publiques susceptibles d’alléger le sort des plus défavorisés.

Cependant, depuis le milieu de cette année 2018, les manifestations anti-corruption ont pris de l’ampleur. Elles ont maintenant le soutien de mouvements sociaux et agricoles en plus de l’appui de l’aile dure de l’opposition qui tente de profiter de la conjoncture.

Le mois de juillet de cette année s’est ouvert sur une situation d’insurrection générale, comme l’a décrit la gauche. Cette situation dure toujours. Les 6 et 7 novembre, la population est spontanément descendue dans la rue; elle a bloqué les routes, elle a pillé  et incendié les commerces, symboles de la bourgeoisie; elle s’est revotée contre l’augmentation des prix du carburant qui appauvrit encore davantage les couches de la société les plus vulnérables.

Ces manifestations d’octobre et de novembre sont différentes car les citoyens et les organisations qui protestent ont maintenant une même revendication: demander des comptes au gouvernement sur la corruption qui est devenue l’un des  principaux fléaux de Haïti.

Ces manifestations pour protester contre la mauvaise gestion des fonds versés par Petrocaribe sont un nouveau tournant dans la contestation. Elles marquent une révolte contre le gouvernement et un refus du système qui ne sont autre chose  que l’expression de  la lassitude de millions de personnes.

Derrière ce mécontentement, il faut voir la misère de la population dont 80 pour cent se trouve au-dessous du seuil de pauvreté, survivant avec moins de deux dollars par jour, un quart d’entre eux étant dans l’impossibilité de satisfaire leurs besoins alimentaire de base.

Cet Haïti d’aujourd’hui n’est que le résultat de dizaines d’années de corruption, d’ingérence étrangère à outrance déguisés sous forme de « soutien à la stabilité », de dette externe, de manque de souveraineté économique et alimentaire, de désastres naturels , mais, surtout, de politiques néolibérales dont on peut voir maintenant les conséquences à court et à long terme.

* Correspondant en chef de Prensa Latina à Haïti

L’article original est accessible ici