Comme les saisons, bien que celles-ci-soient de plus en plus décalées, les rapports du GIEC [1] se succèdent et, avec eux, toujours plus d’échos médiatiques quant à l’imminence de la catastrophe (déjà là dans bien des régions). Si l’on ne peut que se réjouir d’une prise de conscience qui tend à se généraliser, force est de souligner que l’analyse des causes du problème est bien en-dessous des enjeux réels, quand elle ne passe tout simplement pas à côté du problème. Ainsi, on constate de part et d’autre un retour en force des idées que l’on peut qualifier de malthusiennes, à savoir qui pointent l’accroissement de la population comme le facteur numéro un de la dégradation des équilibres climatiques et écologiques.

Bien entendu, au regard de la croissance démographique mondiale depuis les débuts de l’humanité, on ne peut balayer cet argument d’un revers de la main. Alors que son nombre a été relativement stable pendant des siècles, la population dans son ensemble a brusquement explosé à partir du XIXesiècle et va probablement poursuivre cette tendance dans les années à venir, particulièrement en Afrique subsaharienne et dans le sous-continent indien.

On estime que les 500 millions de personnes les plus aisées sont responsables d’environ la moitié des émissions de GES. On peut ainsi réduire drastiquement la population, les crises écologique et climatique ne seraient pas résolues pour autant

Malgré cela, la question démographique est loin d’être le problème fondamental. Plus que le nombre, c’est davantage le mode de production et de consommation historiquement encouragé par les pays industrialisés qui pose problème. Un seul chiffre, révélateur, concernant le réchauffement climatique : on estime que les 500 millions de personnes les plus aisées sont responsables d’environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) [2]. On peut ainsi réduire drastiquement la population, les crises écologique et climatique ne seraient pas résolues pour autant.

C’est d’autant plus vrai que les pays n’ayant pas terminé leur transition démographique sont précisément ceux dont les populations émettent le moins de CO2 et ont le mode de vie le plus « soutenable », en termes purement quantitatifs. A l’inverse, les pays qui ont la plus forte empreinte écologique ont, pour la plupart, une population qui se stabilise, voire décroît, et ce, sans aucune mesure coercitive.

Car, au regard de l’évolution démographique des différentes régions du monde, on constate que les facteurs expliquant une forte natalité sont très souvent liés à des conditions socioéconomiques précaires, notamment liées à une absence de sécurité sociale (incluant des programmes de planning familial et un accès à la contraception), des revenus insuffisants et une forte mortalité infantile. Ainsi, l’histoire des pays qui ont terminé leur transition démographique montre que la population a tendance à se stabiliser une fois que des systèmes de santé, d’éducation et de protection sociale sont établis (entre autres choses). Il est d’autant plus regrettable que celles et ceux qui insistent sur le problème démographique ont le plus souvent accès à ces mécanismes de protection, ce qui leur permet précisément d’envisager l’avenir avec sérénité et, qui plus est, ont une empreinte écologique bien plus problématique que celle des populations qu’ils pointent. Les personnes tant préoccupées par cette question auraient ainsi tout intérêt à lutter contre les politiques génératrices d’inégalités mises en œuvre depuis les années 80 dans le cadre de ce qu’on nomme l’idéologie néolibérale.

Plus généralement, placer la question de la démographie au centre du débat revient surtout à occulter d’autres facteurs, qui pourtant sont primordiaux, tels que la question du mode de production. En somme, pointer l’accroissement démographique revient souvent, volontairement ou non, à dédouaner de ses responsabilités une logique économique exclusivement orientée vers le profit et le productivisme, véritable cause des catastrophes qui se profilent.

Placer la question de la démographie au centre du débat revient surtout à occulter d’autres facteurs, qui pourtant sont primordiaux, tels que la question du mode de production

Enfin, considérer le problème comme résultant principalement de facteurs quantitatifs conduit à une vision des choses mettant l’ensemble de l’humanité devant les mêmes responsabilités et faisant fi des relations d’exploitation au sein de cette humanité, relations pourtant cruciales si l’on veut comprendre comment nous en sommes arrivés là. Dans le pire des cas, cela peut conduire à justifier des politiques pour le moins discutables telles que des mesures de contrôle du corps des femmes ou de rejet de l’immigration, le tout au nom de la préservation de l’environnement.

En définitive, le dilemme est le suivant : soit on considère la démographie comme la priorité et par là on admet être partisan d’une solution coercitive comme celle qui fut pratiquée par les autorités chinoises ; soit on arrête de mettre cette question à l’avant-plan et on se concentre sur d’autres revendications comme la réduction des inégalités, une meilleure redistribution des richesses, la défense de politiques sociales et économiques inclusives et la sortie du modèle productiviste, revendications qui auront précisément pour résultat indirect une stabilisation de la population.

 

Notes

[1Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Voir :https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_d%27experts_intergouvernemental_sur_l%27%C3%A9volution_du_climat

[2Chiffres fournis par l’Environmental Institute de Princeton.

Auteur.e

Renaud Duterme est enseignant, actif au sein du CADTM Belgique, il est l’auteur de Rwanda, une histoire volée , éditions Tribord, 2013, co-auteur avec Éric De Ruest de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014 et auteur de De quoi l’effondrement est-il le nom ?, éditions Utopia, 2016.

L’article original est accessible ici