Juanfe Jimenez, coordonnateur médical de l’ONG Proactiva Open Arms a participé à l’assemblée plénière « Violence aux personnes déplacées et réfugiées : villes  refuge » qui a eu lieu lors du IIe Forum Mondial des Violences Urbaines et d’Éducation à la coexistence et à la Paix, à Madrid, entre le 5-8 novembre 2018.

Dans cet entretien, il nous parle de son action, des causes qui mobilisent ceux qui risquent leur vie en traversant la Méditerranée, des solutions possibles et du pouvoir des populations, entre autres thèmes.

A la fin du texte, vous trouverez une vidéo à propos de Proactive Open Arms,

Vidéo: Álvaro Orús / Rédaction: Tony Robinson et Juana Pérez Montero

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Pressenza.- Vous parlez des personnes que vous sauvez comme des ‘naufragés’, Que signifie ce terme pour vous ?

Juanfe Jiménez.- Toutes les personnes que nous sauvons sont en danger de mort par noyade dans la mer, ce sont des personnes qui sont parties d’une plage, presque toujours de Libye, dans une embarcation gonflable où environ 140 personnes s’installent et après un parcours maximum de 48h, ces embarcations se trouvent sans carburant et se dégonflent, ce moment là elles ne peuvent plus avancer. Ces personnes ne peuvent parvenir en aucun port en sécurité. C’est impossible et ces personnes sont celles que nous trouvons, des personnes sans gilet de sauvetage, qui n’ont pas des vêtements, qui n’ont pas de chaussures, elles n’ont rien à manger, elles n’ont pas d’eau, elles sont abandonnées flottant au milieu de la mer, sans voir la terre, sans savoir où elles se trouvent. Elles ne savent pas non plus ce qu’il va leur arriver et si nous avons la chance de les trouver, de trouver ce petit point flottant sur l’immensité de la mer, alors elles ont eu la chance de pouvoir être sauvées et menées à bord de notre bateau. Nous essayons de leur donner une assistance et de les amener dans un lieu, dans un port sûr.

P. Une partie de la société voit les réfugiés comme un danger, Que pouvez-vous leur dire ?

J.J.- Bien, je crois simplement que c’est une campagne médiatique de désinformation et d’intoxication massive de la population. Si nous regardons les chiffres, bien que je ne vais pas les détailler maintenant car je ne les connais pas en détail, mais tout le monde peut les consulter, le nombre de personnes réfugiées qui est arrivé en Europe est ridicule si nous le comparons à la population totale. Les réfugiés sont très peu nombreux, cependant il semble qu’ils nous envahissent, qu’ils vont prendre toutes nos ressources, qu’ils vont en finir avec notre bien-être, etc. Je crois que c’est ce qui se passe, il y a une campagne d’intoxication de l’information pour des motifs politiques qui amène les populations à penser que ce sont des personnes dangereuses. Évidemment ce sont des personnes de tout type, de bonnes personnes, de mauvaises personnes, des grandes personnes et de petites personnes ce sont des personnes comme le reste des gens.

Le passage vers l’Italie et Malte est fermé, c’est un viol du droit international et des droits humains

P.- Qui appuie et qui rejette votre action ?

J.J:- En général, je crois qu’il y a un appui assez fort des populations à notre action. Toute personne qui est un peu humaine, qui a un peu d’humanité doit appuyer cette action. Ceux qui rejettent notre action sont les groupes extrémistes, ceux qui font cette information que je mentionnais précédemment et à part ça il y a aussi des institutions publiques et des autorités politiques qui font obstacle à notre action. Je peux parler maintenant et commenter que, pour notre bateau, simplement l’accès à Malte et en Italie est interdit, ce qui viole toutes les règles du droit maritime international et également les droits humains. Nous ne pouvons entrer parce qu’ils nous ont fermé l’entrée, mais nous ne pouvons pas entrer ni pour approvisionner ni pour se ravitailler ou pour faire un changement d’équipage.

P.- En parlant de l’action, quelle fut votre expérience à Lesbos ?

J.J.- Lesbos fut le premier endroit où nous sommes arrivés. Donc, à cette époque se produisit la première information forte de la crise migratoire et nous observions tous l’information qui arrivait par rapport à ces personnes qui traversaient, de façon si dangereuse, depuis la Turquie vers la Grèce. A ce moment, c’est ce qui mobilisa les personnes qui dirigeaient l’organisation à aller là-bas, pour essayer d’aider et secourir, car à la base c’étaient des secouristes. Alors, en arrivant là-bas, voyant tout ce qui se passait sans que personne ne fasse rien, cela nous a poussé et Oscar Camps, président fondateur de Open Arms parvint à créer une ONG, à rechercher des moyens, à chercher des formes qui d’une certaine manière pouvaient pérenniser ce que nous faisions, à chercher des organisations là-bas qui pourraient aider comme c’est notre cas, afin d’éviter que les personnes ne se noient en traversant et qu’au moins elles puisent parvenir saufs dans un port.

P.- A propos de votre activité, travaillez-vous avec Salvamento Maritimo, votre action s’amplifiera-t-elle ?

J.J.- Oui, nous sommes parvenus à un accord avec Salvamento Maritimo [N.d.T. Établissement public espagnol chargé de la sûreté maritime dans les eaux espagnoles] pour collaborer dans les actions de sauvetage dans la zone de la mer d’Alboran et dans le détroit, nous avons travaillé avec eux pendant deux mois. En réalité nous n’avons pas eu beaucoup d’activité, nous sommes restés à l’arrêt pas mal de temps et finalement nous avons décidé de sortir de et de retourner à Barcelone avec nos objectifs immédiats et directes, qui sont de retourner en Méditerranée car nous ne voulions pas rester à l’arrêt. Nous sommes une organisation qui sauve des gens et donc nous ne pouvons rester inactifs et sans rien faire.

P.- Quelles sont à ton avis les racines du problème ?

J.J.- Je dis toujours la même chose, chaque fois que l’on parle d’immigration ici, il y a une phrase finale qui termine la conversation « il faut agir à la source », les gens fuient les lieux de conflit, où il y a la misère, où il y a le terrorisme, où il y a du danger. Tout cela est généralement causé par les régions les plus riches du monde qui, parce qu’elles veulent exploiter les ressources naturelles ou contrôler des zones localement, empêchent qu’un pays se développe de façon nette et adéquate. Et cela donne lieu à que les intérêts internationaux existants sur cette zone font oublier les gens. Par conséquent, ce sont les grands oubliés.

Si nous supprimons les guerres, nous supprimons le problème

P.- Que faudrait-il faire, et qui devrait le faire pour résoudre à la racine ce problème grave ?

J.J.- Je ne m’y connais pas et ne suis pas expert en géostratégie et je ne prétends pas non plus parler en leur nom. Mais effectivement, je crois qu’il y a une réalité, et c’est qu’il y a de pays riches, très riches en ressources et malgré tout ils ont la plus grande pauvreté et la plus grande misère, de la violence etc. Je pense que cette situation est, d’une certaine manière, promue, encouragée, et bien sur, non évitée par les pays qui ont la capacité de le faire. Je viens de dire qu’il y a une série de situations que d’une certaine façon favorise que cela se produise ; il y a des guerres dans le monde et tant qu’il y aura des guerres il y aura de gens qui veulent fuir ces guerres. Donc, si je vous dis que si l’on met fin aux guerres, on se débarrasse du problème ; c’est une solution si simple, si innocente et si naïve qu’on ne l’attend pas.

Bien-sur, il est évident que personne ne veut quitter son chez-soi, personne ne veut abandonner son pays, personne ne veut laisser sa maison, sa famille, peut être jamais il va les revoir… Cela a des explications et il manque de volonté politique dans le monde entier pour que ces situations existent. Je dis aussi que nous avons un certain pouvoir, nous, les citoyens avons le pouvoir de changer les choses avec notre vote, car nous élisons des personnes qui prennent des décisions, nous devons au moins penser à cela. Nous pouvons également nous mobiliser lorsque nous voyons que les droits humains sont bafoués partout dans le monde, lorsqu’ils outrepassent les lois internationales, et les accords maritimes dans notre cas, sans tenir compte des droits humains, nous devons nous mobiliser. Ce fut long d’obtenir ces droits après la Seconde Guerre Mondiale et ce ne peut être possible que nous les perdions lentement et petit à petit comme ces dernières années.

J’encourage tout le monde à lire et à bien s’informer sur les conflits, sur toutes ces réalités et d’agir en conséquence

P.- Comment te sens-tu en sauvant des vies ? Peut-être peux-tu nous raconter un moment concret ?

J.J.- Sauver des vies est un très grand mot. Je ne me considère pas comme une personne qui sauve des vies ; je me considère comme quelqu’un de chanceux de pouvoir sauver quelqu’un. C’est une chance pour moi de pouvoir arriver au point où je me trouve face à des personnes qui, avec un simple geste du bras, peuvent sortir de l’eau, on lui a sauvé la vie. Il ne peut y avoir rien, absolument rien de plus beau que ça, il ne peut y avoir absolument rien qui te fasse sentir meilleur que de voir le visage de la personne qui d’un seul coup se sent en sécurité, qui sait au moins que ce jour il ne va pas mourir noyé dans la mer.

P.- Votre expérience peut-elle irradier d’autres personnes ?

J.J.- Je crois que c’est pour ça que nous parlons, nous racontons et donnons des causeries, que nous expliquons ce que nous faisons ; c’est pour ça que nous allons où l’on nous demande pour raconter ce que nous voulons faire et il est évident que cela irradie et c’est contagieux. Moi, depuis la première fois ou je suis parti en mission dans le premier lieu de coopération, toujours je suis revenu en disant une chose… reviens si tu es une personne correcte, reviens contaminé d’humanité et reviens contaminé de coopérativisme, alors j’encourage tout le monde à lire, à bien s’informer sur tous les conflits, sur toutes les réalités et qu’ils agissent en conséquence.

Proactiva Open Arms en pleine action…