Alors que Donald Trump a effectué la moitié de son mandat présidentiel, et que les États-Unis sont plus divisés que jamais, de nombreux citoyens dans le monde entier s’interrogent sur la direction que prend la première puissance mondiale. Où en est la société états-unienne ? Pressenza a interrogé David Andersson, militant new-yorkais, sur la situation dans son pays depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2016.

 

Interview réalisée par Olivier Flumian

 

Revenons sur l’élection de novembre 2016. L’échec des démocrates conduits par Hilary Clinton pose des questions. Quel bilan peut-on tirer de la politique intérieure d’Obama ?

C’est un bilan mitigé. Il est arrivé au pouvoir dans une situation particulièrement difficile. La crise financière avait mis l’économie en danger. Par exemple la firme General Electric était sur le point de licencier deux millions de personnes. Il a donc fallu renflouer l’entreprise. Et ne parlons pas de la situation des banques… Mais ensuite il n’a pas réformé en profondeur le système bancaire. Il aurait été nécessaire de séparer les banques d’affaires, celles qui spéculent, des banques d’investissement, celles qui financent l’économie. Cela, il ne l’a pas fait. Les mesures pour réguler le secteur bancaire et empêcher la spéculation qui avait conduit à la crise ont été de toute façon très limitées.

Prenons l’exemple de la santé. Obama avait été élu en 2008 avec la promesse phare de donner une assurance santé à tous ceux qui n’en avaient pas. C’est ce qu’on a appelé l’ « Obamacare ». Il l’a fait malgré l’opposition acharnée du Congrès, à majorité républicaine. Mais cette réforme a montré ses limites. D’une part, tout le monde n’en a pas bénéficié. D’autre part, ce système a obligé ceux qui n’avaient pas d’assurance santé à en prendre une auprès des compagnie privées. Ce n’est donc pas l’état qui a pris en charge les gens. Les compagnies privées en ont profité pour augmenter leurs tarifs.

Cela explique-t-il la défaite d’Hillary Clinton en novembre 2016 ?

Au cours de la campagne pour les primaires du Parti démocrate, qui servent à désigner le candidat du parti, Bernie Sanders a longtemps été en tête. C’était le candidat de la gauche anti-libérale, avec un programme de véritables réformes économiques et sociales.

Or, le Parti démocrate n’a pas su ou pas voulu donner toute sa place à Bernie Sanders. La façon dont il a été traité est scandaleuse. Quand, au terme des primaires de son parti, Hillary Clinton est devenue la candidate officielle des démocrates, elle n’a pas su intégrer à son programme les propositions de Sanders. Cela lui a fait perdre évidemment des voix. Cela dit, elle a quand même eu au niveau de l’ensemble du pays 3 millions de voix de plus que Trump. Mais Trump a réussi à gagner des états décisifs, des états très peuplés qui ont de nombreux grands électeurs.

Trump aurait-il pu gagner uniquement avec l’électorat habituel du Parti républicain ?

Non. Trump a été certes élu par l’électorat traditionnel républicain : les chrétiens évangélistes, les partisans de la NRA (le lobby des armes), les opposants à l’avortement, etc. En bref les américains les plus conservateurs. Mais il a su aussi capter des électeurs qui votaient démocrates jusque-là. Ce n’est pas étonnant. Les démocrates ont mené des politiques aussi néo-libérales, aussi favorables à la finance que les républicains. Ils ont déçu les ouvriers, les gens modestes, les jeunes.

En général, que ce soit sous les administrations républicaines ou démocrates, depuis bientôt quarante ans, les inégalités n’ont cessé de s’approfondir. Sous Obama, les inégalités se sont également accrues, contrairement à ce qu’espérait son électorat.

Si je prends comme exemple la ville de New York, les changements sont impressionnants. Les prix de l’immobilier ont explosé. Les logements sociaux ont été transformés en logements privés avec des loyers multipliés par trois. Ceux qui ne peuvent plus se loger sont condamnés à quitter New York ou alors sont à la rue. Ainsi, aujourd’hui 114 000 enfants scolarisés sont sans domicile ! De nombreux travailleurs sont obligés d’avoir un deuxième emploi pour vivre. Y compris les enseignants… Voilà aussi pourquoi Trump a attiré des électeurs dégoûtés par les politiciens traditionnels.

Trump a-t-il un projet ?

Le projet de Trump ? Il s’adapte aux situations, il est hyper-pragmatique. C’est vrai en politique intérieure comme en politique étrangère. N’oublions pas d’où il vient. Il fait comme dans le monde du business. Quand ça marche, il continue, sinon il change de tactique. Il n’a pas de vision à long terme. Mais les autres politiques non plus. Clinton n’en avait pas non plus.

En un sens, on pourrait dire qu’il est plus honnête que les autres. Mais si on regarde les choses plus globalement, on peut se demander si dans notre société quelqu’un a un projet ? Après quarante ans de discours et de politiques néo-libérales voilà le résultat : la société est complètement atomisée. La plupart des gens ne font que des projets à très court terme. Il est de toute façon difficile de prévoir quoi que ce soit. Trump est donc d’une certaine manière le reflet de cette société.

Que sont devenus les mouvements comme Occupy Wall Street ou Black Lives Matter ?

Occupy Wall Street s’est créé après la crise de 2008, pour dénoncer les banques et le capitalisme financer. Mais il n’a pas surgi tout de suite, seulement en 2011. Il s’est en partie inspiré des « Printemps arabes » et du M15 espagnol. Il a vite essaimé dans l’ensemble du pays. Mais il n’était pas pensé pour durer dans le temps. Il n’y avait pas dans l’immédiat de relais politique à ses revendications, ni au niveau local, ni au niveau national. Mais il a laissé son empreinte. La mobilisation autour de la candidature de Bernie Sanders et de ses propositions est sans doute aussi une conséquence du mouvement Occupy.

Quant à Black Lives Matter, le mouvement est né en 2013 en réponse aux meurtres de jeunes afro-américains par la police. Ses mobilisations ont été assez fluctuantes. Quoiqu’il en soit, et même s’il y a eu une relative déception par rapport à Obama, les afro-américains ont très majoritairement voté démocrate en novembre 2016.

Les mouvements sociaux sont très importants pour faire entendre la société civile, pour aider les gens à prendre conscience de leur force. Mais ils ont besoin à un moment de trouver des relais politiques. Aujourd’hui, l’alternative à Donald Trump reste à construire, tant en terme de propositions crédibles capables de mobiliser qu’en terme de leadership pour les prochaines élections en novembre 2020.