Par Patrice Bouveret
En mai 2019 nous allons élire nos députés européens. Dès à présent les différents groupes politiques choisissent leurs candidats et commencent à élaborer leur programme pour la campagne à venir. C’est le moment de les interpeller afin que la question des armes nucléaires et de leur interdiction ne soit pas reléguée aux « abonnés absents » !
Est-ce qu’il faudra attendre une nouvelle utilisation de l’arme nucléaire dans un conflit pour que l’objectif de son élimination se réalise enfin ? Cette thèse — défendue dans un ouvrage [1] paru récemment en France et qui examine les sept principales fois où nous avons échappé à une apocalypse nucléaire… — est-elle acceptable ? Non, bien évidemment ! Ne serait-ce que pour les conséquences irréversibles que cela entraînerait et qui pourraient conduire à la fin de toute vie sur la Terre.
Pourtant l’aveuglement de nombre de responsables politiques, d’experts, face à l’urgence de la menace que font peser ces armes et surtout une certaine acceptation — particulièrement en France — que, malgré tout, il faut rester prudent et tant que les États-Unis et la Russie, notamment, ne s’engagent pas dans un processus de désarmement, il ne serait pas raisonnable de procéder à une nouvelle réduction de « notre » arsenal… Sans compter que, dans cette approche, la dynamique du Traité d’interdiction (Tian) est vue comme une « dispersion » plutôt qu’un outil, qu’une force pour sortir de cette spirale de la course aux armements et de la montée des menaces.
Il est vrai que le Parlement européen n’a quasi pas son mot à dire sur les questions militaires qui relèvent de la souveraineté de chacun des États-membres dont 22 sur les 27 sont également membres de l’Otan. Son rôle est principalement consultatif. Toutefois, il peut formuler des recommandations et, à travers le vote du budget, exercer une certaine influence. Rappelons que le Parlement européen avait voté le 27 octobre 2017 – à une majorité de 77 % — une résolution en faveur d’une ouverture des négociations pour un Traité international d’interdiction des armes nucléaires.
Donald Trump à la présidence des États-Unis et le Brexit ont relancé les projets d’une Europe de la défense ambitieuse. Des budgets se comptant en dizaines de milliards d’euros vont être débloqués à cette fin notamment pour stimuler la coopération industrielle transnationale des systèmes d’armement. Des débats se font jour concernant, par exemple, une coopération nucléaire franco-allemande ou en faveur d’un renforcement de la présence militaire américaine en Pologne ou dans les pays Baltes.
C’est dans ce contexte que nous devons faire entendre une voix différente pour, dans un premier temps, réactiver les fondements du projet européen : la paix entre des ennemis « héréditaires » par le biais de la coopération et de l’échange… Ensuite, pour soumettre au débat un changement de paradigme : faire de la confiance la base du nouveau rapport avec le monde ; où le dialogue (même conflictuel parfois) vient remplacer la guerre et sa préparation, vient remplacer la stratégie de la dissuasion qui n’est autre qu’une imposture et un exercice de la menace (cf. Abolition n° 269 & 270).
Et c’est bien là que l’adoption du Traité d’interdiction des armes nucléaires offre de véritables perspectives nouvelles. Au sein de l’Europe, trois États l’ont déjà ratifié, l’Autriche, le Saint-Siège et San Marin et deux autres l’ont signé, l’Irlande et le Liechtenstein. Un mouvement qu’il est possible de renforcer si l’ensemble de la société civile se mobilise… Si un ou plusieurs pays prenai(en)t l’initiative de le signer, alors s’ouvrirait la possibilité de créer une zone exempte d’arme nucléaire en Europe. Comme il en existe déjà plusieurs dans le monde.
La campagne pour les élections européennes est la bonne occasion de poser le problème : quelle sécurité voulons- nous ? Pour cela, nous devons tous interpeller les candidats afin qu’ils soient nombreux à se prononcer pour une élimination du danger nucléaire, à appeler leur pays à signer le Traité et à demander que l’Europe s’engage en faveur du désarmement nucléaire.
[1] On a frôlé la guerre atomique, Luc Mary, L’Archipel, juillet 2018, 230 p.
Source : Bulletin de l’association Abolition des armes nucléaires—Maison de Vigilance