Par Julien Ruiz

L’Éthiopie et l’Érythrée se sont mis d’accord pour rétablir des relations diplomatiques, une annonce qui a paralysé d’émotion les cœurs des citoyens des deux pays et a couronné le tourbillon d’échanges qui a lieu depuis des semaines.

Ce sont les mots du « Ethiopian Herald » qu’accompagnait une photo du premier ministre, Abiy Ahmed en compagnie du président de l’Érythrée Isaias Agwerki, photographiés pour cet instant historique: la fin de l’un des conflits les plus meurtriers de l’Afrique.

 » Nous nous sommes mis d’accord pour que les relations aériennes soient rétablies, que nos ports soient mutuellement accessibles, que les personnes puissent circuler librement entre nos deux pays et que nous ouvrions des ambassades dans nos capitales », a confirmé Ahmed dans des déclarations qui ont été reprises par les principales chaînes publiques et privées.

« Nous allons démolir le mur qui nous sépare et construire avec amour un pont solide d’amitié », a déclaré le président éthiopien.

Ces deux pays de la Corne de l’Afrique étaient en conflit depuis qu’Addis Abeba avait rejeté le projet de paix des Nations Unies (à la suite d’une guerre de 1998 à 2000 qui causa quelques 70 mille morts) et avait refusé, en particulier, l’une de ses clauses principales: la cession à l’Érythrée la ville de Badme, petite mais symboliquement très importante.

Cependant, au début de juin dernier, le Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Éthiopien (Eprdf), coalition qui dirige maintenant le pays, fit savoir qu’il respecterait intégralement les principes utilisés par la convention d’Alger pour établir la frontière et cette déclaration contribua à rompre la glace.Et il n’y a plus eu aucun signe d’animosité.

Ce dimanche, après que son avion ait atterri, le premier ministre éthiopien a été accueilli par Afwerki et l’accolade des deux hommes, avant de remonter le long du tapis rouge déroulé en honneur d’Ahmed,  faisait penser à un rêve; « un bon rêve », comme l’a qualifié le commentateur Alemayehu Kassa.

Les multitudes le long du trajet dans les rues de la capitale, Asmara; les cris d’encouragement qui ont accompagné le cortège des deux hommes politiques; les longues files de drapeaux jumeaux ondoyant le long des trottoirs: voilà un spectacle que peu auraient anticipé.

« Cette visite n’est pas une visite ordinaire. Cette relation diplomatique n’est pas une relation diplomatique ordinaire. Aujourd’hui est une journée remplie d’émotion », a déclaré Meslin Negash, un expert du Centre d’Études Stratégiques. « Le processus de paix appartient maintenant aux gens. Les hautes sphères ne pourront pas ignorer cette pression publique ».

Toutefois, les analystes de la situation font remarquer qu’il faudra encore beaucoup de travail pour s’entendre sur la ligne de frontière, même si la volonté politique des deux pays a le potentiel de franchir bien des obstacles.

« À partir de maintenant, la guerre n’est plus une option pour les gens. Ce dont nous avons besoin, c’est d’amour », a souligné le premier ministre éthiopien.

« Aujourd’hui, le peuple érythréen a l’opportunité d’exprimer l’affection et l’émotion réelles qu’il éprouve envers les éthiopiens », lui a répondu Afwerki. « Il n’est pas difficile d’imaginer combien les décisions que notre invité à dû prendre étaient difficiles. Mais nous pouvons l’assurer que nous allons faire face à l’avenir ensemble. Que nous travaillerons ensemble », a-t-il ajouté.

Alors que l’Éthiopie est la seconde nation la plus peuplée d’Afrique, avec plus de 100 millions de personnes et qu’elle a l’une des plus fortes croissances du continent, la petite Érythrée, avec ses 5 millions d’habitants, est considérée comme l’un des pays les plus hermétiques de la planète. Mais les deux pays partagent d’étroites relations culturelles.

Ces dernières années, l’Érythrée est devenue l’un des pays à envoyer le plus d’immigrants vers l’Europe, Israël et d’autres pays africains.

Beaucoup en rendent responsable les dures lois de recrutement militaire en vigueur dans ce pays. Les observateurs de cette embellie diplomatique se demandent si la paix va permettre de les relâcher et d’abandonner cette attitude défensive à long terme qui est l’une des caractéristiques de l’Érythrée.

« La réconciliation priverait le président érythréen d’une excuse pour maintenir un État en préparation militaire permanent », ce qui est un facteur négatif pour le développement, quelle que soit la forme de démocratie du pays, explique Martin Plaut, chercheur et auteur de « Understanding Eritrea », (« Comprendre l’Érythrée »).

En Ethiopie même, l’initiative du premier ministre Abiy Ahmed a débloqué l’impasse entre Afwerki, le premier ministre érythréen,  et le parti Tigrayan (membre de la coalition Eprdf), impasse qui est depuis  longtemps l’un des problèmes du Eprdf, et selon certaines sources, le Tigrayan n’est pas du tout satisfait de ce processus de réformes en passe d’aboutir ».

Mais Abiy Ahmed vient du groupe ethnique Oromo, qui représente la majorité des éthiopiens, alors que le groupe Tigray, qui réside dans la région du même nom et qui est frontalière avec l’Érythrée, n’est pas disposé à laisser les oromos déterminer l’avenir politique de l’Éthiopie, précise Plaut.

Plaut ajoute que si Asmara a accepté l’offre de Ahmed, c’est parce que les érythréens peuvent faire passer cette démarche pour une victoire sur leurs rivaux de Tigrayan.

 » C’est un événement historique… le début de la fin. Le plafond de cristal s’est brisé », écrit Shewit Wudassie sur son compte Facebook .

Un autre internaute de Facebook, Djphat Su, s’interroge: « Je suis en train de rêver… ou non ? »