Nous sommes à la Fondation GoodPlanet, située au cœur du Bois de Bologne à Paris. La journée est ensoleillée et la température extérieure est plutôt élevée pour un début du mois de Juin. Dans la Clairière, espace de rencontre en plein air, environ 500 personnes se sont réunies, pour assister à l’entretien de Sebastião Salgado, qui se tient dans le cadre de l’inauguration de son exposition Genesis.

Un discours de vérité

Sebastião Salgado arrive accompagné de sa femme Lélia, un pilier fondamental de son travail, et de son fils Rodrigo. D’un air calme et décontracté, il s’installe sur la scène pour un entretien conduit par le photojournaliste Alain Mingam. A chaque question Sebastião répond en s’appuyant sur son riche parcours de photographe, ce parcours qui lui a permis de construire une vision du monde bien à lui. Sans donner de leçons, il déroule un discours de vérité qui enthousiasme en même temps qu’il fait peur.

Voici quelques extraits de cet entretien :

Alain Mingam :

Quel est l’origine du projet Genesis ? Pourquoi avoir orienté votre regard vers la nature ?

Sebãstiao Salgado :

Avant de commencer à travailler sur le projet Genesis, je travaillais seulement sur une espèce, sur nous, sur l’être humain, et après avoir développé un projet environnemental au Brésil, je suis devenu très proche de la nature, j’ai compris que les espèces des fourmis sont aussi importantes que notre espèce. Que les thermites sont aussi importantes que les éléphants. J’ai eu d’un coup une énorme ouverture, car j’ai commencé à voir l’ensemble des choses. Je sais que c’est un moment compliqué pour notre espèce, nous sommes en train d’abîmer la planète d’une manière incroyable, et que tout ce comportement prédateur que nous avons, va se retourner contre nous, et on va payer très cher tout cela. Notre espèce est aujourd’hui profondément menacée, mais ce n’est pas grave. A partir du moment où j’ai compris que l’importance c’était l’ensemble, l’interaction de toutes les espèces, ma préoccupation sur l’avenir s’est transformée. Avant j’étais pessimiste, aujourd’hui je suis optimiste. Pas pour mon espèce, car je crois qu’elle va directement contre le mur. Je crois qu’on est une espèce programmée. On va finir nécessairement. On ne mérite pas d’être là. Mais, pour la planète, elle est incroyablement intelligente. J’ai voyagé pendant huit ans pour faire le travail photographique Genesis, et j’ai découvert des choses incroyables. Par exemple, je me suis aperçu de l’énorme mensonge qu’on m’a toujours raconté : que les humains étaient l’une des seules espèces rationnelles du monde. C’est un grand mensonge car toutes les espèces sans exception son profondément rationnelles. Il y a une intelligence évolutive incroyable. […] Les hommes, même quand ils ont une manière de penser, qu’on peut définir comme raisonnable, sont dans un comportement de prédation.

Alain Mingam :

Comment l’Instituto Terra peut servir d’exemple pour enclencher un possible changement ?

Sebastião Salgado :

Ce qu’on fait, est juste un petit geste par rapport au mouvement collectif majeur qu’on devrait déclencher. On retrouve aujourd’hui par tout dans la planète une quantité d’images, d’articles, de films qui montrent la nécessité d’un changement. Un individu tout seul ne peut pas créer un mouvement, nous avons besoin d’une masse de gens qui pousse dans la même direction, et je pense qu’on commence à avoir une conscience du danger dans lequel se trouve notre espèce dans cette planète.

Ce qu’on est en train de faire au Brésil avec l’Instituto Terra, c’est un énorme projet de récupération de sources dans notre vallée. Nous avons planté plus de 2.5 millions d’arbres dans notre périmètre, et plus de 10 millions dans notre région, grâce à notre pépinière qui produit plus d’un million de plantes natives par an. De toute façon ce projet n’est rien par rapport à l’énorme défi qui nous attend. Malgré nos résultats, il ne faut pas tomber dans un piège écologiste, des citadins depuis leur tour d’ivoire. Il faut qu’on amène ce comportement à tout le monde. Nous ne pouvons pas tomber dans l’auto-complaisance, d’être content de soi-même, car nous-mêmes, qui sommes engagés dans ce projet avons plein de défauts : Nous avons une voiture, nous voyageons dans le monde, nous consommons au-delà de ce que nous avons le droit de faire.

Alain Mingam :

Comment as-tu réussi à passer dans ton esprit de la noirceur de l’humanité à l’espoir suscité par la beauté de la nature ? Comment le projet Genesis a-t-il contribué ?

Sebastião Salgado :

Le déclencheur n’a pas été Genesis. Je sortais d’un moment difficile dans ma vie. J’étais dans une dépression profonde. Je suis retourné à la ferme de mes parents au Brésil, et j’ai trouvé une nature dégradée, c’était une catastrophe écologique. Nous avons détruit toute la diversité pour mettre rien dedans. Avec Lélia, nous avons démarré un projet qui semblait impossible. Nous ne pensions pas qu’un seul arbre pouvait pousser dans une terre aussi aride. Et progressivement, nous avons remarqué des centaines de milliers d’arbres qui commençaient à grandir. Et qu’autour d’un seul arbre on voyait une quantité d’insectes, une quantité d’oiseaux, parce qu’un arbre, même s’il est petit, il a ses feuilles, il a ses fleurs, il a ses petits fruits, il est capable d’apporter à lui tout seul une contribution immense à la nature. Alors avec le retour de la biodiversité sur ce morceau de terre aride,  je peux dire que je suis né à nouveau. C’est à ce moment, que j’ai décidé d’aller vers la planète pour voir, ce que je n’avais jamais vraiment vu, et c’était parti. Pendant 8 ans, j’ai voyagé de l’Antarctique à l’Arctique. Mais, le plus grand voyage ce n’était pas dans ces déplacements, c’était à l’intérieur de moi-même. D’arriver à comprendre, ce qu’était l’évolution. Je ne suis pas croyant, mais voir qu’il y a dans la nature un ordre général, organisé par l’évolution… C’est d’une sagesse, c’est d’un rationalisme de voir l’organisation de toutes les espèces ensemble, et que moi je fais partie de ça. Comprendre que je fais partie de ce grand mouvement, c’était le déclencheur le plus important pour sortir de la noirceur de mes pensées. Aujourd’hui, je m’inquiète moins pour mon espèce. Le plus important c’est cette harmonie qu’il y a dans la planète. La planète saura se réinventer, ce que l’espèce humaine a dégradé, l’écosystème naturel va le réparer. Je me pose énormément de questions à propos de notre propre espèce. Nous avons notre fils Rodrigo, qui est là avec nous, qui est né trisomique. Rodrigo a un « problème » dans la paire de chromosomes N°21, il en a 3 chromosomes au lieu de 2. C’est la seule différence avec la plupart des humains, la seule. Mais, cette organisation de chromosomes, nous a permis d’avoir un humain pas agressif. Il n’est pas prédateur. Il est doux dans les relations. Je me pose la question si dans notre espèce il n’y a pas eu une désorganisation de nos chromosomes qui a eu pour effet la création d’un animal si agressif. Il faudrait comprendre en détail l’histoire de l’homme, depuis l’homo-sapiens pour vérifier cela.

______________________________________________________

Une brève présentation de Sebastião Salgado

Sebastião Salgado est un photographe humaniste franco-brésilien. Il a couvert les plus grands conflits et catastrophes de la deuxième moitié du 21ème siècle. Il intègre successivement les agences photographiques Sygma (1974-1975), Gamma (1975-1979) et Magnum (1979-1994).

Son travail témoigne de la brutalité de l’être humain, de sa capacité de prédation et de destruction. Il a vécu au milieu de ces événements jusqu’à se rendre malade et tomber dans une profonde dépression. Un passage difficile qui sera également source de prise de conscience et de transformation. C’est à l’issue de cette période de crise qu’il tourne son regard vers la nature. A la fin des années 90, il travaille pendant 8 ans sur un projet photographique intitulé GENESIS, qui montre des paysages et des hommes épargnés par l’assaut dévastateur de la société moderne.

Il fonde avec sa femme Lélia, l’Instituto Terra, une organisation environnementale dédiée au développement durable de la Vallée de la rivière Doce, au Brésil.

Pour savoir davantage sur le travail de Sebastião Salgado, je vous invite à regarder le film « Le Sel de la terre », réalisé par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado. Voici un lien vers la Bande-annonce Le Sel de la terre.