Pía Figueroa a participé au Forum Humaniste Européen qui s’est tenu récemment à Madrid, les 11, 12 et 13 mai 2018, en tant qu’oratrice à la table ronde « Journalisme Indépendant et Engagement Social ». Pía est co-directrice de l’Agence de presse internationale Pressenza qui se dédie aux informations liées à la paix et la non-violence. Humaniste de longue date et auteur de plusieurs monographies et livres.

Quelle est votre impression du Forum Humaniste Européen ?

Entre hier et aujourd’hui, j’ai l’impression de vivre dans une époque extrêmement paradoxale. Hier, nous parlions du nombre de fois où nous avons été très près d’un conflit nucléaire, et aujourd’hui nous sommes beaucoup plus près qu’à tout autre moment d’un conflit nucléaire. Et à la table sur les droits humains, Antonio Carvallo a mentionné le nombre d’Anglais qui sont morts ces dernières années parce qu’ils n’ont pas pu obtenir des soins médicaux en temps opportun. Si cela se produit en Angleterre, imaginez combien il y en a en Afrique !

D’une part, nous courons de grands risques et les populations n’ont pas accès aux besoins de base, d’autre part, d’énormes mouvements sont apparus, qui ont réussi à faire participer de nombreuses personnes cherchant les axes pour la construction d’une société plus juste et solidaire.

En ce qui concerne les médias indépendants, quel devrait être, selon vous, leur rôle dans la transformation sociale ?

Le même paradoxe dont nous parlions se produit dans les médias. D’une part, nous voyons des informations qui sont absolument manipulées par les grandes entreprises, par les intérêts économiques avec les fameuses ‘fausses nouvelles’, qui ne sont rien d’autre que de la manipulation des médias, et d’autre part, depuis 2010 – 2011, il y a eu un développement croissant des nouveaux médias. Chaque petit village a ses propres médias, sa propre radio communautaire, son propre site web, ses propres médias électroniques, sa propre chaîne de streaming, des millions d’auteurs ont leur propre blog, ce sont des médias qui ne sont pas manipulés par les grandes entreprises et pourtant il y a un grand nombre d’activistes sociaux et d’amis, de partenaires, parfois de même idéologie, qui aspirent à être couverts par les médias traditionnels et non par les nouveaux médias indépendants.

J’ai eu de nombreuses conversations avec mes amis activistes et ils aspirent tous à être couverts par la chaîne de télévision la plus pro-système du monde et non par les nouvelles agences de presse. Les attachés de presse des dirigeants les plus révolutionnaires envoient leurs communiqués de presse à CNN, mais pas aux médias indépendants. C’est un paradoxe, nous ne croyons pas en ces médias, alors qu’il y a nos valeurs qui s’y trouvent. Nous avons construit de nouveaux médias que nous appelons alternatifs parce que nous traitons l’information de différentes manières, nous sommes fidèles, nous ne modifions pas une virgule, et pourtant nous n’avons pas la crédibilité des médias qui manipulent toute l’information et ne donnent pas de place à ce que le journaliste génère dans la base sociale.

Nous sommes quotidiennement dans cette contradiction en ce qui concerne l’information. Tant que nous ne changerons pas notre façon de croire, tant que nous ne cesserons pas de croire au système dans notre tête, nous le soutiendrons.

Alors que Pressenza existe depuis 10 ans, j’ai commencé à écrire à de grands amis humanistes de longue date, en leur demandant : Êtes-vous abonné à Pressenza ? Recevez-vous nos nouvelles tous les jours ? Ils m’ont dit : « Oh ! Non, je les soutiens financièrement, mais les lire à quoi bon! Il est écrit ce que je pense !

Non, nous rendons compte des mouvements sociaux, nous sommes la voix du nouveau, nous publions les photos que personne d’autre ne publie, nous donnons naissance aux rêves d’un autre modèle de société, il ne suffit pas d’être amis. Abonnez-vous ! Abonnez-vous !

Il est très difficile d’être une agence de presse sur les thèmes de la paix et de la nonviolence dans un monde aussi violent. Nous aimons le drame, nous aimons cette touche de violence permanente que nous voyons dans les médias. Quel est le changement auquel nous aspirons ? Nous aspirons à ne pas croire, à générer une autre histoire, à aimer vraiment les nouvelles non violentes, des nouvelles qui traitent l’information d’une manière différente. Le changement culturel aura lieu lorsque les mouvements et les médias seront capables de communiquer qu’il y a une autre façon de vivre.

Pour moi, cela est la construction de cette époque : la convergence des nouveaux médias avec les nouveaux mouvements sociaux.

Que pouvons-nous faire immédiatement ?

Sur ce qu’il faut faire immédiatement, il me semble que nous travaillons déjà tous ensemble, nous sommes partenaires dans les mêmes luttes. Pressenza dispose d’un réseau de près de 400 médias et mouvements associés et il y a un an, à Barcelone, nous avons organisé une conférence où nous avons convenu de faire ce que l’on appellerait une « boîte à médias », une sorte de lieu où tout mouvement pourrait laisser l’information et tout média pourrait prendre l’information, une sorte d’agence d’agences.

Ma proposition est de reprendre l’idée de faire de la nouvelle « agence », une sorte de média collaboratif entre tous les médias indépendants. Il s’agit d’unir nos forces face à un moment paradoxal où tout ce qui est ancien est plus présent qu’avant, avec son énorme violence et où le nouveau essaie d’émerger sans que nous y croyions encore suffisamment.

 

Traduit de l’espagnol par l’équipe Pressenza