Pressenza a rencontré le président et co-fondateur de HOP, une association qui lutte contre l’obsolescence programmée.

 Lien à la première partie : ICI 

 Voici la deuxième partie :

Dans la courte vie de l’association, vous avez déjà engagé des procès contre Epson et Apple pour des mauvaises pratiques liées à l’obsolescence programmée. Comment une association comme HOP peut-elle s’attaquer à des entreprises de cette taille ?

C’est vrai que ça parait un peu fou, mais nous verrons si nous gagnons. Nous sommes nombreux à nous intéresser à cette problématique. En seulement 3 ans, il y a déjà environ 30000 personnes qui soutiennent cette association. Nous sommes déjà très reconnus dans le système institutionnel. Les entreprises viennent nous voir afin d’être bien vues par le pouvoir citoyen. Nous sentons que ça avance. En l’occurrence sur Epson et Apple, nous sentions qu’il y avait des pratiques d’obsolescence programmée, mais il faut avoir un dossier bien documenté. Pour le cas d’Epson, des bénévoles ont enquêté pendant des mois. Ils sont allés voir des réparateurs, qui voient des milliers d’appareils, alors leur voix compte. A partir de là, nous avons construit des dossiers démontrant des pratiques d’obsolescence programmée telles qu’elles sont définies par la loi. Une fois que nous avons eu ces preuves, nous avons lancé une plainte au pénal, qui a eu un retentissement médiatique extraordinaire. Alors les entreprises ont peur, elles n’ont pas intérêt à ce que nous parlions beaucoup. Envoyé Spécial [NDE. Le programme de TV] a fait ce 29 mars 2018 passé une émission sur le sujet. Deux millions de personnes l’ont regardé. Ils ont suivi HOP et son enquête sur les imprimantes. Suite à cela, nous avons reçu des milliers messages de soutien. Par ailleurs, après le dépôt de nos plaintes, les cours en bourse de ces sociétés ont fortement chuté. Le sujet a un impact médiatique fort, car nous étions relayés par un grand nombre de médias. Les fabricants commencent à se rendre compte qu’ils doivent soigner leur réputation, et qu’ils doivent se positionner en faveur de produits durables. Cela n’est pas dans leurs pratiques actuelles. Ensuite, nous souhaiterions que notre plainte puisse aboutir à une condamnation. Ca démontrerait que le sujet est vraiment sérieux et qu‘il est répréhensible. Les entreprises doivent être condamnée et payer pour cela.

Est-ce que ces deux entreprises ont riposté ?

Non, mais ils se défendent en faisant des communiqués. Ils disent que ce n’est pas de l’obsolescence programmée. Par exemple, les arguments qu’ils utilisent pour répondre à notre plainte sur une pièce qu’ils appellent le tampon absorbeur d’encre, est qu’il s’agit d’un élément nécessaire pour la sécurité de l’imprimante, et qu’il améliore le confort, mais qu’il n’est obligatoire de le racheter. Donc ils démentent, mais pour nous, c’est une défense faible. Le communiqué arrive seulement quelques mois après le dépôt de la plainte. Cela montre qu’ils avaient envie de réduire au silence cette question, et puis ce ne sont pas des arguments qui répondent réellement à tout ce que nous prouvons. Pour l’instant, nous ne pensons pas qu’ils soient en position de force sur le fond, mais après le procès le dira.

De son côté, Apple n’est pas revenu vers nous, mais ils ont riposté avec des offres commerciales, en proposant des batteries moins chères, des gestes pour démontrer qu’ils sont de bonne volonté. Les clients croient au discours d’une marque responsable ce qui les rend encore plus captifs.

J’aimerais tout de même ajouter, que pour l’association HOP il est important de ne pas se focaliser seulement sur les plaintes, qui sont importantes d’un point de vue médiatique, mais nous avons aussi une activité qui est plus constructive, et qui propose d’autres modèles économiques.

 C’est exactement sur ce sujet qu’on souhaitait vous interroger maintenant. HOP a deux missions principales, Influencer et Sensibiliser, nous avons déjà abordé rapidement cette première mission et les actions que vous meniez, mais parlez-nous s’il vous plaît de votre travail de sensibilisation.

Nous n’arrivons pas à faire tout ce que nous devrions faire par rapport à l’ampleur des enjeux, mais c’est positif. Cela montre que la montagne est haute et que nous gravissons les échelons petit à petit. Nous sentons qu’il y a un espace pour construire un pouvoir citoyen sur des produits durables, réparables. Ce qui est intéressant, c’est d’une part dénoncer, comme nous le faisons, proposer d’autres lois, comme nous le faisons aussi, mais aussi accompagner les acteurs. Les acteurs qui restent ça va être les citoyens. Comment en tant que citoyen, il est possible consommer autrement ? Nous avons  beaucoup de messages auxquels nous répondons quotidiennement.  Comment faire jouer la garantie d’un bien acheté ? Vers qui se tourner quand on veut réparer ou quand on veut acheter d’occasion ? Il y a beaucoup de comportements de consommation responsable : éviter d’acheter n’importe quoi, mais aussi louer, partager les biens, acheter d’occasion, etc.

Nous ne pouvons pas fournir une solution globale à une personne précise qui ne sait pas quel four acheter. Aujourd’hui, il n’y a pas ces informations pour lui dire : voilà un four qui est durable, voilà dans ta ville ce que tu peux faire. Cela nous allons le construire dans l’année, une sorte de baromètre des produits durables, c’est le projet phare de l’année. Nous ne pourrons pas le faire tout de suite sur tous les produits, mais le but est que progressivement, on sache lorsqu’on va sur notre site produitsdurables.fr quel type de bien dure le plus longtemps d’après le retour des réparateurs, des magasins, des services après-vente avec garantie. C’est un de nos projets en termes de sensibilisation des citoyens. Nous sensibilisons aussi à travers toutes les conférences que nous faisons au moins une par semaine, auprès d’acteurs divers. Parfois, il y a 10 personnes, parfois il y en a 100.

Nous transmettons les bonnes pratiques. Nous accompagnons les entreprises. Nous avons monté un club d’entreprises engagées pour des produits durables et réparables, avec une dizaine de membres. Nous voulions un club très fermé. L’idée étant d’être au côté des entreprises déjà engagées, dans la réparation ou dans le modèle de fonctionnalité, c’est à dire de location, donc des entreprises déjà assez vertueuses, pour les aider à échanger leurs pratiques et à mieux communiquer sur leurs offres et services pour qu’elles prennent la place des dominants actuels. Ce club a été lancé l’année dernière. Il fonctionne déjà bien et il peut s’étendre progressivement, car se positionner sur des produits durables va devenir aussi une attente des gens, si certaines entreprises veulent faire des efforts, autant les pousser dans ce sens. Et de l’autre côté, il y aura le bâton, en disant nous pouvons en poursuivre d’autres et nous restons libre de faire ce que nous voulons en tant qu’association citoyenne. Avec en plus le fait de publier, de réfléchir à un niveau plus ‘académique’.

Nous avons fait un ouvrage l’an dernier, il s’appelle ‘Du jetable au durable’. Le but était de légitimer notre position, de la mettre sur papier. Nous avons fait un colloque l’an dernier, avec des chercheurs et des entreprises, le but était d’asseoir cette problématique et de la mettre à l’agenda de la recherche pour montrer qu’il s’agit d’un sujet sérieux, au coeur de la construction du monde de demain. Aujourd’hui, sur tout ce qui est changement climatique, par exemple lors de la COP21. A-t-on vu de vraies réflexions ? De vraies mesures sur des produits durables ? La réponse est non. On parle d’énergie uniquement. C’est très important. Mais finalement toute l’énergie utilisée pour fabriquer des biens inutiles et qui deviennent des déchets, c’est là que nous avons un gisement d’économie d’énergie incroyable. L’économie qui répond au changement climatique est une économie où les produits durent longtemps. Ce sujet n’est pas à l’agenda. Il faut donc viser aussi les pouvoirs publics et le milieu académique pour asseoir la réflexion et la quantifier, car nous n’avons pas les réponses, nous n’avons pas encore d’experts mondiaux sur ces thèmes. Il faut commencer par mettre en relation toutes les personnes qui réfléchissent sur des sujets connexes, pour les amener vers le sujet de l’obsolescence programmée.

L’externe et l’interne vont toujours ensemble. Tu as une implication extérieure forte, tu cherches une amélioration sociale, un bien être général. Qu’est-ce qui te donne la motivation, qu’est-ce qui te donne de la force dans les moments difficiles. Qu’est qui te fait remonter, et en tant que personne et au niveau de l’association HOP.

Il est vrai que nous agissons tous pour des buts. Je sais que je suis né dans des conditions favorisées, que je ne mérite pas nécessairement tout ce que j’ai. En faisant un peu de sociologie, on se rend compte que c’est assez facile de faire de bonnes études et d’avoir un bon salaire quand on est né dans un certain milieu. D’une certaine manière, je me dois de contribuer à une planète plus juste. J’ai toujours essayé de m’investir dans des associations. Pourtant certains moments sont difficiles, je dois concilier mon travail de président bénévole chez HOP et mon autre travail à côté, plus d’autres choses, cela représente beaucoup d’investissement. Dans ces moments-là, à cet mon engagement m’aide à positiver, je me dis, d’une part c’est utile parce que nous avançons et d’autre part cela me rend plus heureux. Je rencontre des gens passionnants, des gens biens et cela me permet d’avoir une reconnaissance pour un certain combat. La générosité et l’implication sur ces sujets sont les deux aspects qui m’intéressent. Je me dis, quand je serai vieux et que je réfléchirai à ma vie, je serai content, même si je n’ai fait qu’un pourcent de ce que j’aurais voulu faire, je serai quand même content d’avoir fait ce 1%, en espérant que ce soit plutôt 10%.

Pour conclure

Ce qui m’importe c’est que nous parlions de l’ensemble de nos activités, et puis que nous montrions que c’est un combat environnemental, social, plus qu’un combat de consommateur qui se sent un peu arnaqué parce qu’il a acheté quelque chose qui s’est cassé. Le fait de toucher ce sentiment d’arnaque, c’est bien parce que nous pouvons toucher beaucoup de gens, mais derrière, le but est de faire réfléchir à la société de consommation, à la croissance économique, et donc à l’absurdité. Nous pensons qu’à partir des petits objets, nous pouvons arriver à des réflexions très larges. Le pari est de faire prendre conscience de l’impact environnemental, de tous nos déchets, de la consommation énergétique. De plus socialement, l’obsolescence programmée touche davantage les modestes, car souvent ils n’ont pas le choix et achètent des objets d’entrée de gamme. Ils sont plus focalisés sur le prix, sauf qu’à la fin ils payent plus parce qu’ils doivent renouveler plus fréquemment leurs achats. Le fait de combiner ces réflexions environnementales, sociales vers un autre projet de société à partir de petits objets que tout le monde connait et pas que des objets électroniques, par exemple nous travaillons aussi sur le collant. Nous travaillons aussi sur des questions de vêtement ou sur les voitures, ça peut être des sujets variés, c’est ça le pari et nous espérons progresser.

 

Vidéo de 4’30’ ‘

 

Mise en forme finale de la version écrite, Sévérine Aouizerate