Depuis mardi 30 janvier, le bâtiment A de l’Université Paris 8, Vincennes-Saint Denis, a été réquisitionné par un groupe d’étudiants, des bénévoles et des migrants qui dormaient dans la rue, pour le transformer en un lieu d’habitation. Une action concrète qui cherche à résoudre le problème immédiat des quelques migrants qui vivent dans la rue dans des conditions inhumaines, mais qui cherche aussi à mettre en lumière les résultats désastreux d’une politique de migration incompétente qui ne respecte pas les droits humains et les droits des demandeurs d’asile.

« Ces derniers mois, la France a déporté de nombreuses personnes. Nombre d’entre nous se sont suicidés. Il y a trois mois, un ami sous le coup du règlement de Dublin, déprimé, s’est allongé sur les rails d’un train qui l’a percuté. Il y a dix jours à Calais, la police a frappé et gazé des éxilé.e.s dormant dans la rue. », explique dans un communiqué le collectif qui se fait appeler « Les Exilé.e.s Occupent Paris 8″. Et ils ajoutent « Ce que le système d’immigration français attend de nous ce sont nos empreintes, pas nous ».

Avant de rentrer dans le bâtiment occupé, les règles sont très claires: sur la porte les consignes sont affichées: « Pas de photos, pas d’enregistrements et pas de vidéos à l’intérieur », car l’anonymat des personnes est fondamental. Deuxième consigne, « Pas d’alcool ».

À l’intérieur la première salle qu’on trouve est le réfectoire. Au premier regard, cela ressemble à une auberge de jeunesse classique : des gens qui se font à manger, d’autres qui font la vaisselle, d’autres encore qui parlent dans différentes langues, des panneaux écrits en français, en anglais, en arabe et en guèze, des gens qui se croisent du regard et qui sourient. En apparence une « international hostel », sauf quand les migrants se mettent à parler de leurs périples et de leurs conditions de vie, et très rapidement on revient à la réalité. Ce ne sont pas des backpackers, mais des gens qui ont fui la guerre, la mort, la faim et l’injustice. « Tu sais, quelqu’un aurait pu me tirer dessus s’ils me voyaient avec une cigarette », commente un Somalien pendant qu’il demande un briquet.

Refugiés, migrants et exilés. A quel moment décide-t-on qu’il est plus moral de fuir un fusil que la faim ?

A l’action concrète de donner un toit et un endroit pour manger, s’ajoutent d’autres actions d’ordre plus symbolique, mais non moins importantes. Le collectif donne par exemple des interviews aux journalistes seulement si un exilé est présent car comme ils l’expliquent, « nous ne voulons pas parler à leur place ». La consigne « pas de photos et pas de vidéos », ne protège pas seulement l’anonymat des personnes à l’intérieur, mais aussi la dignité des occupants car les gens qui logent là sont des êtres humains, pas des animaux de foire.

Et quand on demande pourquoi utiliser le terme « exilé.e.s » et non refugié.e.s ou migrant.e.s, une étudiante de Paris 8 nous explique que le mot réfugié correspond seulement à un statut administratif, celui de la personne reconnue par les autorités comme « méritant » le droit d’asile. Il s’utilise en général par opposition aux personnes qui n’ont pas de  papiers.

D’autre part, les migrants ne sont pas forcément des personnes pauvres, explique l’étudiante de Paris 8, car on peut être riche et migrer vers d’autres pays. « Les Français et les Européens migrent dans d’autres pays », souligne-t-elle.

« Mais les exilés sont contraints de quitter leur pays, ils ou elles n’ont pas le choix », explique-t-elle. « Ce que nous voulons montrer, c’est qu’il n’y a pas de différence entre un exilé réfugié et un exilé économique. A quel moment décide-t-on qu’il est plus moral de fuir un fusil que la faim ? »

Un bénévole explique que les voyages des exilés deviennent de plus en plus difficiles à cause des restrictions migratoires imposées dans toute l’Europe. « Les exilés sont vus comme une menace. Ils sont maltraités, malmenés. Ils arrivent tous traumatisés de leur voyage ».

Nombre de récits le confirme, comme celui d’un réfugié guinéen qui veut garder l’anonymat. « En Guinée c’est la guerre entre musulmans et chrétiens. Après avoir perdu mes deux parents j’ai décidé de fuir. Donc, je suis passé par la Côte d’Ivoire, le Mali et puis l’Algérie. Là je suis resté un an, j’ai travaillé pour un patron mais il ne m’a pas payé, on travaillait dans le BTP de 7h du matin jusqu’à 16h, et après ça je devais faire des petits boulots ailleurs pour pouvoir gagner un peu d’argent pour me nourrir. J’ai décidé de partir pour la Lybie, mais ils m’ont emprisonné, on travaillait toute la journée, du matin au soir. Avec un compatriote guinéen on a pu s’échapper et on a pris le bateau pour l’Italie », pendant quelques instants il reste en silence et son regard se perd dans des souvenirs qu’il voudrait sûrement oublier. Puis il continue, «  Je suis arrivé le 2 avril 2016 en Italie, où j’ai déposé ma demande d’asile, pendant le temps d’attente j’ai été dans un camp de refugiés. L’Etat nous a versé une allocation de 75€ par mois. Maintenant je vis en France, car j’ai de la famille ici ».

Pour le collectif Les Exilé.e.s occupant Paris 8, il est important que des actions comme la réquisition du bâtiment A de la fac, puisse se reproduire partout en France. « Nous espérons que d’autres personnes pourront occuper d’autres endroits pour venir en aide aux migrants. Parfois, quand la loi ne vous protège pas, il faut faire des choses illégales. Il est normal de s’indigner et de se révolter contre une administration inhumaine », explique un bénévole.