Le 3 septembre la République populaire démocratique de Corée (RPDC) ou Corée du Nord a procédé au plus puissant essai nucléaire de son histoire. Elle affirme que c’est une bombe H*. Si l’information reste à vérifier, il n’en demeure pas moins que l’explosion a provoqué un tremblement de terre localisé de 6 points sur l’échelle de Richter. Cela est révélateur dans tous les cas de la puissance de l’explosion. C’est le dix-septième essai de tir balistique depuis le début de l’année, preuve de la détermination du pays à se doter d’une capacité nucléaire dissuasive. L’attitude de Trump, incohérente, qui souffle tantôt le chaud, tantôt le froid, appelant un jour à des négociations, le lendemain à des sanctions très dures voire évoquant l’option d’une intervention militaire, conforte le régime nord-coréen dans sa politique.

Comment freiner l’escalade entre la Corée du Nord et les États-Unis (EU) ?

Le régime de Pyongyang poursuit un double objectif : un objectif extérieur de dissuasion et un objectif intérieur d’autolégitimation auprès des cadres, souvent militaires, du régime et de la population. La possession d’un arsenal nucléaire est bien-sûr en soi dissuasif pour tout agresseur potentiel. La Corée ayant été colonisée par le Japon entre 1910 et 1945, la possession d’une arme nucléaire, arme qui a finalement vaincu le Japon impérial, c’est aussi symboliquement une revanche sur l’histoire. Les spécialistes internationaux soupçonnent fortement le Pakistan et la Chine d’avoir aidé clandestinement le programme nucléaire nord-coréen et l’Iran d’avoir fourni la technologie balistique. Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un le programme nucléaire nord-coréen s’est accéléré. L’autosuffisance économique, la capacité de se défendre et enfin celle de parler à égalité avec les EU sont traditionnellement les trois piliers de la politique nord-coréenne. Avec la possession de l’arme nucléaire le régime semble donc rechercher une façon d’obliger les EU au dialogue.

Bien qu’alliés historiques, Etats-Unis et Corée du Sud divergent dans leur approche de la question. Le nouveau président sud-coréen, Moon Jae-in, est favorable au dialogue avec son voisin du nord. Sa prédécesseuse, Park Geun-hye, fille du dictateur Park Chung-he, avait rompu tout dialogue avec le régime communiste entre 2013 et 2017. Mais les EU affichent une volonté de fermeté et veulent implanter un système anti-missile qui vise la Corée du Nord mais aussi indirectement la Chine. Le projet américain de bouclier anti-missile crée par conséquent de fortes tensions avec la Chine. En attendant, les EU plaident pour des sanctions draconiennes contre Pyongyang. Les sanctions économiques votées par les Nations Unies (NU) se sont pourtant révélées jusqu’à présent assez peu efficaces. D’une part la frontière chinoise semble poreuse pour les trafics illégaux. D’autre part certains états à travers le monde continuent plus ou moins clandestinement à commercer avec la Corée du Nord. Il faut ajouter à cela le fait que la Corée du Nord a préparé depuis longtemps sa population à vivre en état de guerre avec toutes les restrictions que cela implique.

De nouvelles sanctions ont été votées par les Nations Unies à la demande des Etats-Unis. La Chine a voté le dernier train de sanctions économiques onusien alors que 80 % du commerce extérieur de Pyongyang se fait avec la Chine. Il faut rappeler que les relations sino-nord-coréennes ne sont plus au beau fixe depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, qui a succédé à son père en 2011. Kim Jong-Un est le premier dirigeant nord-coréen à ne pas s’être rendu à Pékin après son accession au pouvoir. Il est clair que la nucléarisation de la Corée du Nord n’est pas vue favorablement par la Chine. Cette situation pourrait par ricochet inciter la Corée du Sud ainsi que le Japon à se doter à leur tour d’armes nucléaires. L’actuel premier ministre conservateur japonais Shinzo Abe est d’ailleurs connu pour encourager le renforcement militaire de son pays voire la révision de la constitution pacifiste japonaise dans un sens plus militariste. Nous serions typiquement face au genre de scénario de prolifération nucléaire incontrôlable tant redouté.

Dans tous les cas cependant, il semble fort peu probable que la Chine soutiennent une quelconque intervention militaire américaine contre son voisin. La Corée du Nord veut s’assurer que dans l’hypothèse d’une éventuelle réunification de la péninsule de Corée au bénéfice de la Corée du Sud aucune troupe américaine ne continuerait à stationner dans le pays.

La Russie souhaite également la reprise du dialogue et Moscou insiste sur l’inutilité de nouvelles sanctions pour toutes les raisons évoquées plus haut. Elle fait remarquer que les manœuvres militaires massives et régulières entreprises par les EU et la Corée du Sud attisent le sentiment de menace chez le régime de Pyongyang

Aux EU aussi, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre en faveur de la diplomatie. En août dernier l’ancien président américain Jimmy Carter rappelait que le régime de Pyongyang souhaitait un pacte de non agression avec les EU et au final la signature d’un traité de paix entre les deux Corées. La levée des sanctions permettrait d’autre part à la population nord-coréenne d’être soulagée, rassurerait le régime et ouvrirait la voie à des négociations.

Les alliés des Etats-Unis, Corée du Sud et Japon sont quant à eux inquiets à l’idée d’un conflit. En cas de guerre entre les EU et la Corée du Nord, la Corée du Sud, et également le Japon, seraient directement impactés. N’oublions que Séoul se trouve à 40 km de la frontière nord-coréenne.

La crise nord-coréenne, faut-il le rappeler, est une sonnette d’alarme vis-vis du monde entier en ce qui concerne le danger nucléaire. Jean-Marie Collin rappelait récemment que 9 nations, celles qui sont dotés de l’arme nucléaire, font peser sur toutes les autres un risque de déflagration mondiale. C’est la raison pour laquelle en juin et juillet dernier 120 états se sont réunis au sein des NU pour voter une interdiction des armes nucléaires. Bien qu’aucun état détenteur de l’arme nucléaire n’ait signé ce traité, la démarche est un pas en avant pour faire prendre conscience aux nations du monde de l’urgence de la situation.

C’est aussi l’occasion de se rappeler les cinq propositions de base de la Marche Mondiale pour la Paix et la Non-Violence qui parcourut plus de 50 pays en 2009-2010. Ces propositions nous paraissent appropriées pour répondre à la crise actuelle.

Tout d’abord, il est urgent que les protagonistes de la crise procèdent à un désarmement nucléaire progressif et total visant l’élimination de ce type d’arme. Ensuite, ils devraient s’engager dans un processus global de désarmement conventionnel. Rappelons que les deux états coréens et les pays qui leur sont frontaliers possèdent les plus puissantes forces militaires conventionnelles de la planète. Ces démarches doivent s’accompagner de la signature de traités de non-agression entre les états en question, les deux Corées bien-sûr, mais aussi la Chine, le Japon, les EU et la Russie. La pacification des relations internationales dans cette partie du monde devraient ouvrir la voie au retrait des troupes américaines de ses bases sud-coréennes et japonaises puisque plus rien ne pourrait justifier leur maintien. Enfin ces états devraient procéder à l’inscription du renoncement à la guerre comme moyen de résoudre les conflits dans leurs constitutions respectives en commençant par s’inspirer par exemple de la remarquable constitution pacifiste japonaise.

 

Les auteurs consultés :

Pascal Dayez-Burgeon, chargé de mission au CNRS, ancien diplomate en Corée et auteur de « La dynastie rouge. Corée du Nord 1945-2015 » aux éditions Perrin.

– Jean-Marie Collin, vice-président de « Initiatives pour le Désarmement nucléaire » (IDN) et membre de l’ICAN France (la Campagne Internationale pour Abolir les armes nucléaires).

Marianne Peron Doise, chercheuse à l’IRSEM. Spécialiste de la Chine, du Japon et des questions de sécurité.

Juliette Morillot, spécialiste de la péninsule coréenne. « La Corée du Nord en 100 questions ».

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique. « La revanche de l’histoire ».