Dans un billet publié dans son blog le 26 août dernier, Monsieur Jean-Luc Mélenchon nous donne à réfléchir sur le Nouvel Humanisme qu’il dit reprendre à son compte dans le courant de la France Insoumise.

https://www.pressenza.com/fr/2017/08/linsoumission-est-nouvel-humanisme/

Quelle grande et bonne nouvelle que « l’insoumission » ne soit pas entendue comme une force vive traduisant seulement la colère ou le sentiment d’injustice, mais qu’elle soit appréhendée dans ses racines historiques et les biographiques personnelles et individuelles comme traduction de l’intentionnalité de l’être humain, qui cherche « à se construire lui-même », qui se lance toujours à la conquête – ininterrompue dans toute l’histoire humaine – de sa liberté !

Quelle bonne chose que cette invitation continuelle à la réflexion, à l’étude tant de l’histoire que des contextes actuels, et à l’action dont les fondements sont l’échange et l’intelligence collective ! Les « universités d’été » de la France Insoumise à Marseille du 24 au 28 août ont souhaité en être un exemple.

Quel espoir enfin que soit porté dans le champ politique un véritable projet de société !

Les « AMFiS » d’été à l’université de Marseille ont fait preuve d’une grande effervescence en effet, pas seulement du fait des 3000 participants bien décidés à apprendre, à contribuer de leurs apports et à échanger sur les expériences significatives, mais aussi parce que tout y était convoqué : la jubilation intellectuelle d’une pensée non superficielle (conférences, ateliers interactifs), l’émotion dans une ambiance chaleureuse de camarderie et la contribution à un autre type de relations interpersonnelles (rencontres, échanges, repas festif) et la force motrice de ceux qui agissent résolument (mobilisations et démonstrations dans la ville, préparation des actions de la rentrée). On a pu voir là une grande cohérence entre les propos du leader et les activités du Mouvement « insoumis » et de ses membres, cohérence déjà très remarquée dans le travail soutenu des 17 Députés « Insoumis » à l’Assemblée Nationale.

 

On se réjouira donc que Jean-Luc Mélenchon (dans l’article ci-dessus mentionné et mis en lien) dirige sa réflexion vers les origines de l’Humanisme (auquel il associe la non résignation), en souhaitant avec lui que ce « d’où l’on vient » puisse orienter le « où l’on va ».

C’est donc dans le confort de l’ouverture au dialogue que nous nous exprimons très brièvement ici, rappelant les conditions requises pour que ce dialogue soit constructif :

  • Le thème est le Nouvel Humanisme, et il ne s’agit pas tant d’appropriation de l’étiquette que de la définition et de la nécessité historiques d’une telle nouvelle idéologie.
  • Par ailleurs, nous ne doutons pas un instant de l’extrême importance accordée à ce sujet, de notre part, comme de celle du chef de file de la France Insoumise.
  • Quant aux termes qui mériteraient des commentaires tant idéologiques que philosophiques, l’extension de cet article n’en permet pas le développement : nous renverrons donc plutôt à quelques-unes de nos références bibliographiques.

Dans ce souci que nous partageons de comprendre d’où nous venons, pour mieux définir encore où nous allons, nous demandons :

Dans le « fil rouge » de l’histoire décrit dans l’article de Monsieur Mélenchon cité en référence, quid du Nouvel Humanisme déjà ainsi nommé, se reconnaissant lui aussi comme une continuité de l’histoire depuis la Renaissance italienne, qui mit en œuvre une grande quantité d’actions sociales, politiques et culturelles depuis la fin des années 60 dans le monde entier, et s’est illustré en 2009 par une Marche Mondiale de la Paix et de la non-violence à Punta de Vacas en Argentine ?

Monsieur Salvatore Pulleda, dont l’ouvrage Interprétations historiques de l’Humanisme, de la Renaissance jusqu’à nos jours[1], décrit tout le processus pour arriver à ce nouveau courant né en Argentine. Il met aussi en exergue à partir de quelle définition de l’être humain, – et pas seulement de l’homme dans sa relation nouvelle à la nature -, cette reconnaissance à ce courant de l’Histoire non seulement se trouve légitimée mais aussi se présente comme une alternative réellement révolutionnaire.

Car il s’agit bien de cela : définir ce qu’est l’humain, dans son essence conscience-monde, dans la qualité intrinsèque de sa conscience (active et non passive, intentionnalité humaine) afin de pouvoir établir, à partir de là, les relations-monde, les structures, les projets personnels et politico-sociaux qui s’imposent, pour pouvoir prétendre favoriser son plein déploiement d’une part, et apporter des éléments profonds et utiles au dépassement de la souffrance, d’autre part.

Silo ne fut pas seulement ce penseur argentin qui sut, dès les années 1969, appeler et convoquer à ce « Nouvel Humanisme », attirant l’attention sur le fait qu’un véritable changement ne pourra pas se produire si l’on ne questionne pas, en profondeur, le phénomène humain dans son essence, si l’on n’étudie pas en profondeur son fonctionnement (conscience-monde) et, en conséquence, son propre comportement, si l’on s’en tient à la seule « raison ». De même, il invitait déjà à remarquer toujours et en toutes choses le regard de l’observateur, c’est-à-dire son propre regard, que l’on soit un individu dans sa vie quotidienne, un scientifique mû par une intuition, un historien cherchant à analyser des processus, un politicien avec un projet de société.

En cohérence à ces Contributions à la Pensée[2], le Nouvel Humanisme de Silo, décliné également dans d’autres ouvrages sous des angles d’approche aussi variés que le sont les domaines de l’activité humaine[3], généra un courant de centaines de milliers de personnes, réparties sur toute la planète, dont les membres très actifs développèrent tout type d’actions concrètes politico-sociales, une ample littérature, des médias alternatifs et plusieurs maisons d’édition, de fortes campagne (alertant par exemple de l’urgence du désarmement nucléaire) mais également des Parcs d’Étude et de Réflexion dans près de 50 pays.

Ce courant, à la fois antécédent historique et contemporain, présente cependant une différence notable avec le Mouvement actuel de la France Insoumise (soutenue néanmoins par bon nombre de « siloïstes », plus communément appelés « humanistes » durant les cinq dernières décennies) : il pose la non-violence comme absolue nécessité, à la fois comme direction, comme valeur et comme méthodologie d’action.

Le sujet n’est pas ici de définir ce qu’est la violence ni ce qu’est la non-violence. Pour ce faire, nous renvoyons à l’ouvrage paru récemment Violence, conscience et non-violence, de Philippe Moal[4]. Il s’agit plutôt de s’interroger si ce courant se revendiquant aujourd’hui d’un Nouvel Humanisme, si porteur d’espoir, si prometteur, le sera longtemps s’il ne considère pas ce thème de la violence et sa réponse : la non-violence. Le monde actuel agonise non seulement sous les coups portés avec une méthodologie violente par les puissants (violence physique, économique, psychologique, raciale, religieuse et de genre), mais aussi parce que c’est précisément cette violence qui génère de façon durable la résignation, pour reprendre ce que Monsieur Mélenchon souligne lui-même dans son discours de clôture des universités d’été. Or, le premier des sujets que l’on admet avec grande résignation, c’est la vision d’un être humain « naturel », et par conséquent « naturellement violent ». « L’humain d’abord ! »[5], ce n’est possible que si, peu à peu, l’on n’admet plus aucune justification à la violence, si viscéralement et intellectuellement, elle est rejetée par la personne humaine, si ce rejet se transforme progressivement en l’émergence d’une force et d’une conduite morales supérieure à toute morale : « Traiter les autres comme l’on voudrait être traité », principe suprême de la non-violence.

Le chemin est long, mais si dans cette direction convergent les progressistes, les idéalistes et les avant-gardistes de toute provenance, ces perspectives s’affirmeront davantage.

La France Insoumise et son mentor, qui ont su faire converger des partis, des organisations, des citoyens non encartés, qui ont le mérite par conséquent d’articuler le peu qu’il restait des forces « révolutionnaires » de ce pays, qui ont eu l’intelligence de dépasser la dialectique générationnelle en faisant une place considérable aux jeunes, n’ont hélas affirmé ni cette position ni cette direction.

On est alors en situation de se questionner, même s’ils font la place belle dans leurs universités d’été aux modes d’organisation non-violents[6], sur la forme que pourra recouvrir « la prise de pouvoir » annoncée comme souhaitable et présentée en conférence de presse finalement comme assez imminente.

Ce Mouvement, certes naissant mais fruit d’un processus, nourri et inspiré de ces valeurs de l’humanisme, semble poussé par une volonté sans faille de travailler pour un autre monde et pour contribuer à l’avancée vers « les jours heureux ».

Nous optons donc pour la confiance qu’il saura faire cheminer en son sein la réflexion non seulement sur une nouvelle société, mais aussi sur un « nouvel homme » : celui qui construit, qui collabore avec la vie, qui projette toujours plus loin et plus haut son intentionnalité, qui en effet ne se résigne pas, qui ne se soumet ni aux lois injustes ni au non-sens de la vie, qui optera (ou sera en condition d’opter) pour la non-violence, car c’est la seule façon de faire converger la pensée, le sentiment et l’action, et qui est si puissant dans ses aspirations qu’il a osé défier tous les diktats imposés par la nature et rêver de voler, et qu’il continue aujourd’hui en continuant à se rebeller même contre l’acceptation résignée d’une mort absurde, quêtant alors la transcendance par le biais de nouvelles spiritualités convergeant avec de nouvelles sciences.

Comme l’a fait remarquer fort à propos l’une des députés de la France Insoumise lors d’une intervention à la tribune de l’Assemblée : « l’Histoire, décidément, n’a pas dit son dernier mot ! »

 

Notes

[1] Pulleda Salvatore, À propos de l’humain, Interprétations historiques de l’Humanisme, de la Renaissance à nos jours, préfacé par Mikhaïl Gorbatchev, Éditions Références, Collection Nouvel Humanisme, Paris, 2000, édition en langue espagnole en 2002, première édition en italien en 1994.

[2] Silo, Contribuciones al Pensamiento, Obras Completas, Vol. I, Editores Plaza y Valdes, Mexico, 2002. Première édition du texte en 1990. Téléchargeable sur www.silo.net en de nombreuses langues. (À paraître dans sa version française aux Éditions Références en Novembre 2017.)

[3] Pour une approche politico-sociologique, voir : Silo, Lettres à mes amis, À propos de la crise sociale et personnelle dans le moment actuel, Collection Nouvel Humanisme, Paris, Éditions Références, 2004, édition en langue originale en 1993 ; et Silo parle, Conférences et Interventions publiques, Éditions Références, Paris, 2013, édition en langue originale en 1997.

[4] Moal Philippe, Violence, conscience et non-violence, Éditions L’Harmatan, Paris, 2016.

[5] Ce slogan est apparu en 1995 lors des campagnes législatives auxquelles s’étaient présentés « les humanistes » sous l’étiquette Parti Humaniste.

[6] Conférences et ateliers sur la Méthode Alinsky : Principes pour l’organisation des citoyens et le développement du pouvoir d’agir.