Il ne fait aucun doute que le fait d’avoir des législations et des politiques nationales progressistes est un pas dans la bonne direction vers la réalisation des droits des femmes et des filles. Mais c’est insuffisant d’avoir simplement les politiques sur papier sans leur donner la vie et sans actualiser leur mise en œuvre.
Si les droits des femmes en Afrique devaient être mesurés par le nombre de lois et de politiques initiées à ce jour pour atteindre cet objectif spécifique, les femmes africaines seraient les êtres humains les plus libérés marchant sur la surface de la terre ! Force est de constater qu’on est loin du compte. Les décideurs politiques de l’Afrique, à des niveaux élevés, continuent de mettre les droits des femmes dans l’ordre du jour mais avec l’impact négligeable ou à peine positif pour la femme africaine.
L’Afrique se targue d’avoir des cadres politiques solides et progressistes sur les droits des femmes. La liste se présente comme le fantasme de nombreux passionnés de droits des femmes à travers le monde. L’Afrique a le principe de l’égalité des sexes dans l’Acte constitutif de l’Ua de 2002, dans le Protocole de l’Ua à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuple relatif aux droits des femmes en Afrique de 2003 (Protocole de Maputo), dans la Déclaration solennelle sur l’égalité entre les sexes en Afrique de 2004 et dans le plan d’action de Maputo sur les droits de santé sexuelle et reproductive. Les Etats membres de l’Union Africaine sont également signataires ou sont parties à presque tous les cadres internationaux sur les droits des femmes, y compris la Commission extrêmement progressive sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Cedef), la Déclaration et le Programme d’action de Beijing et les déclarations et le plan d’action de la Conférence internationale annuelle mondiale sur le développement de la population (Cipd).
La volonté présumée de l’Afrique à respecter le statut des femmes en Afrique ne s’arrête pas ici. Cette année, l’Union africaine a consacré l’année aux «droits de l’homme, avec un accent particulier sur les droits des femmes», à la suite de l’accent que l’Ua a mis, en 2015, sur « l’Année de l’autonomisation et du développement des femmes vers l’Agenda 2063 de l’Afrique ». Cette attention délibérée par l’Union africaine était exactement à mi-chemin durant ce mois de juillet lorsque le sommet de l’Ua s’est réuni à Kigali. Il y a seulement six mois de plus à parcourir avant que la thématique régionale prenne d’autre parcours que celui des femmes africaines – six mois de plus durant lequel le continent doit sûrement amplifier l’appel à la mise en œuvre complète de tous ces cadres politiques merveilleux.
Il ne fait aucun doute que le fait d’avoir des législations et des politiques nationales progressistes est un pas dans la bonne direction vers la réalisation des droits des femmes et des filles. Mais c’est insuffisant d’avoir simplement les politiques sur papier sans leur donner la vie et sans actualiser leur mise en œuvre. Mme Yasmeen Hassan, le directeur exécutif mondial, Equality Now (Egalité maintenant) résume ainsi l’importance d’avoir et de pratiquer les bonnes lois et politiques : «La loi est une déclaration de votre valeur par votre gouvernement. Les lois qui traitent inégalement les hommes et les femmes, les filles et les garçons relèguent les femmes et les filles à un statut inférieur dans la société. Le défaut de proscrire les pratiques qui nuisent aux femmes et aux filles les laisse sans recours en face des violations à leur encontre. La loi est la façon de tenir votre gouvernement responsable pour votre protection. »
Comme militante des droits des femmes particulièrement intéressée à faire en sorte que les bonnes lois et politiques fonctionnent réellement pour les femmes africaines, je me suis rendue compte, bien que déçue, qu’il n’est pas toujours une garantie que ces cadres politiques conduisent à la réalisation effective de leurs droits humains. Prenez par exemple les droits des femmes à l’autonomie et à l’intégrité physiques, en se concentrant sur la question de l’avortement. Selon une fiche d’information par l’organisation internationale Guttmacher.org, on estime que 56 millions d’avortements provoqués ont eu lieu chaque année dans le monde entier au cours de 2010-2014. Le taux global d’avortement en Afrique était de 34 pour 1000 femmes en 2010-2014. Les taux sous régionaux variaient de 31 en Afrique de l’Ouest à 38 en Afrique du Nord. Il y a eu peu de cas de changement des taux d’avortement dans ces sous-régions depuis 1990-1994. La recherche montre aussi que presque tous les décès liés à l’avortement ont eu lieu dans les pays en développement, avec le plus grand nombre se produisant en Afrique.
Il existe des instruments spécifiques internationaux et régionaux des droits des femmes qui exigent spécifiquement des avortements sans danger et médicalement nécessaires. Ceux-ci comprennent le Programme d’action de la Cipd en 1994, la plate-forme pour l’action de 1995 de la Conférence des femmes de Beijing, et notre propre instrument – le Protocole de Maputo de 2005.
L’article 14 du Protocole de Maputo est clair concernant les droits à l’avortement sans risques sur les cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.
Le Protocole de Maputo a été jusqu’ici signé par environ 34 pays africains avec très peu d’entre eux commençant le processus de ratification dans son intégralité.
Ceci est en soi un cas classique d’avoir de bonnes lois et politiques, mais qui sont cependant presque «inutiles» quand il s’agit de garantir effectivement ce droit à la femme. En Janvier 2016, au cours du Sommet de l’Ua, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp) a lancé un appel à la dépénalisation de l’avortement à travers l’Afrique. Cela montre à quel point l’avortement à risque est reconnu au niveau mondial, régional et national comme un problème grave de santé publique ainsi que une violation des droits humains. Cependant, en raison de la stigmatisation, même les pays qui ont adopté des lois nationales pour légaliser l’avortement sont toujours confrontés aux cas d’avortements à risque procurés et bâclés par un nombre préoccupant de femmes.
En raison de la stigmatisation culturelle et religieuse à travers le continent, les droits de santé sexuelle et reproductive pour les femmes continuent de recevoir des coups de bâton comme les femmes continuent de subir les conséquences de cette stigmatisation.
Cependant sur une note encourageante, et surtout en raison de cadres politiques ambitieux qui sont de plus ancrés dans les systèmes de divers gouvernements, les taux de mortalité infantile et maternelle ont diminué pour les femmes et les enfants dans la région, baissant de 37% et 42% respectivement depuis 1990 selon le Programme de développement des Nations Unies, le PNUD.
Toutefois, cela ne signifie pas que les pays africains peuvent maintenant se relaxer à l’égard de la prestation de droits et la protection des femmes. En effet, avec les écarts flagrants entre les sexes dans les plateformes économiques, politiques et sociales, beaucoup reste encore à faire.
Les femmes et les filles en Afrique sont ignorantes, désemparées ou privées de l’occasion d’accéder à des droits économiques, politiques, sociaux et culturels. Les femmes sont exposées à la violence basée sur le genre (Vbg), aux pratiques néfastes traditionnelles et religieuses. Elles sont privées de droit à l’emploi dans une condition favorable et juste, de droit à l’alimentation, au logement et aux soins de santé de qualité, ainsi qu’à des avantages de sécurité sociale et de l’emploi. Les femmes manquent davantage l’accès à la propriété et à des avantages équitables des ressources telles que la terre et d’autres moyens de production qui sont nécessaires pour le développement durable. Malgré le fait que tout ceci est prévu et stipulé au sein de tous les cadres politiques tels que mentionnés ci-dessus, ils sont grossièrement ignorés.
Il est donc temps pour les gouvernements africains de mettre leurs actions là où sont leurs promesses et d’accomplir le besoin urgent du respect total des droits humains pour les femmes en Afrique.
Dinah Musindarwezo est le directeur exécutif du Réseau de développement et de communications des femmes africaines (Femnet).