Pressenza a rencontré Florent Delaunay (*), voici ses propos sur le disque « News of the inner world », musique pour la Danse, l’Image et l’Esprit, disponible à partir du 17 août.

 

Pressenza : Quel est le message que vous voulez transmettre avec ce disque, avec cette musique ?

Florent Delaunay : Ces musiques sont simplement des traductions d’expériences fondamentales que j’ai faites depuis une quinzaine d’années. Alors il s’agit plus d’une façon de témoigner d’un chemin d’expérience, un chemin de vie. La dimension spirituelle occupe le centre de ces compositions, c’est-à-dire que ces musiques s’adressent à un espace particulier du monde intérieur, là où sont gardées – et parfois oubliées ou dégradées – les expériences qui nous signifient la réelle liberté, qui nous orientent vers ce qui est fondamentalement humain, vers la naissance de l’Esprit, vers sa transcendance. Il peut s’agir aussi d’atteindre plutôt un espace vide, qui attend d’être illuminé intérieurement par une expérience particulière.

J’ai compilé ces musiques, écrites entre 2003 et 2016, avec une certaine logique pour réaliser ce disque. Ainsi, pour répondre plus précisément à votre question, si ces musiques et ce disque contenaient un message à transmettre, ce serait : intéressons-nous à notre beau monde intérieur, prenons conscience dans la vie quotidienne de notre « regard intérieur »  tel que Silo le nomme ; décryptons la logique de l’enchaînement de nos états intérieurs ; ressentons clairement les chemins qui nous mènent vers la souffrance et ceux qui nous mènent vers le bonheur.

 

P : Chacun des morceaux traite d’un thème spécifique. Par exemple, dans la « Danza de las esferas », Looking for Sacred moments touche le thème de l’espace infini et la transcendance de la conscience. Diriez-vous que nous avons besoin de plus de spiritualité et de moins de dogmes ?

 FD : Je dirais qu’il est bon de se demander périodiquement ce dont nous avons réellement besoin. Et si dans ce type de méditation nous découvrons des dogmes intérieurs – ou sociaux, ce qui d’un point de vue humain est la même chose – qui ne servent ni notre propre bonheur ni celui des autres, alors il est bon de faire l’expérience de les dissoudre intérieurement, de les lâcher. Bien sûr, cela aura ses effets corollaires dans notre paysage humain immédiat, dans nos actes, et dans le monde social.

Quant à la spiritualité, je pense que nous autres humains l’exprimons de multiples manières. J’ai l’impression qu’à notre époque, plus il y a de dogmes extérieurs  – les dogmes de l’argent par-dessus tout – plus la spiritualité grandit. Mais la spiritualité me semble être un besoin humain en soi, indépendant de l’existence des dogmes, qui eux sont un besoin des centres de pouvoir.

 

P : Les grands axes de votre composition musicale évoquent l’échec, puis la compassion, la montée de l’énergie et la suspension. Pouvez-vous développer ces notions, plus précisément celle qui lie l’échec avec la compassion ?

FD : Oui, ces thèmes constituent le chemin intérieur de 5 des 12 titres de l’album, ceux de la chorégraphie « La Danza de las esferas ».

Les thèmes que vous rappelez sont des expériences qui nous produisent des sensations distinctes et précises. Imaginons que notre énergie vitale soit distribuée et circule entre différents étages et profondeurs ou superficies dans notre corps. Imaginons que notre conscience situe et grave tout ce qui nous arrive en différents lieux de notre intérieur. Par exemple, lorsque nous avons une compréhension importante, nous ne l’expérimentons pas au niveau des pieds mais plutôt au niveau de la tête n’est-ce pas ? Il en est de même pour les expériences de l’échec et de la compassion. Seraient-elles situées plutôt au niveau de la cage thoracique, du cœur ? Assurément. Ces expériences peuvent avoir différentes intensités d’énergie. Un petit échec quotidien est bien différent de l’effondrement d’une croyance centrale en nous, qui nous laisse justement… effondré… espérons seulement pour un temps…

Eh bien d’un point de vue spirituel, lorsque surgit un tel effondrement, je pense que c’est un moment très important car deux chemins s’ouvrent à nous : celui de l’acceptation, qui nous incite à la compassion et à la réconciliation, ou celui du refus, qui nous mène à la vengeance, à la revanche. Nous pouvons aussi prendre le chemin du déni, de l’anesthésie de soi-même, comme pour fuir cette expérience, pas très agréable reconnaissons-le. Ces deux derniers chemins sont souvent liés. Ne dit-on pas que « la vengeance est un plat qui se mange froid » ? Cela dit beaucoup sur ce type de registre intérieur commun à tous.

Donc, imaginons que, l’échec libérant en nous une quantité phénoménale d’énergie, d’émotions, nous méditions plutôt que de nous débattre en refusant ce qui nous arrive. Si « j’ai cru toute ma vie que… », alors quelle énergie incroyable avons-nous accumulé dans cette croyance !… Bien, tout cela tombe. Nous pourrions décider de donner à cette énergie une direction nouvelle en nous-mêmes, afin qu’elle envahisse nos profondeurs inconnues. Peut-être, dans ces conditions, ferions-nous à un moment l’expérience d’une « suspension » de notre moi habituel. C’est-à-dire que pendant un temps difficile à apprécier, nous sentirions une grande lucidité, un grand silence, une grande paix, une totalité hors du temps et de l’espace connus. En sortant, en revenant de cette « suspension », nous aurions une sorte de souvenir étrange et seulement là nous y mettrions des mots dessus. Cela aurait sûrement de grandes conséquences dans notre vie et notre quotidien. Mais nous pourrions aussi approfondir cette expérience et aller encore au-delà de cette suspension. C’est un autre thème…

Mais parfois ces expériences, communes à beaucoup de personnes, sont dégradées ou mises de côté. Les expériences de l’échec et de la compassion me semblent être fondamentales dans un chemin spirituel. Et je ne dis pas l’expérience de la souffrance n’est-ce pas ? Ce sont des thèmes importants je crois, liés l’un à l’autre par nos intentions.

 

P : Quelle quête proposez-vous avec le disque ? Vers « l’être » ou vers le « faire » ?

FD : Je pense d’abord proposer un moment de silence du monde extérieur. Un petit moment, disons 45 minutes environ (rires), peut-être pour ne rien chercher justement, pour arrêter le mouvement incessant des quêtes et des actions, et pourquoi pas, pouvoir méditer ensuite sur des thèmes que chacun considère importants pour sa vie. Ou bien juste y trouver des émotions agréables ou réconfortantes ; ou encore y trouver un élan pour danser ; une émotion particulière qui fait jaillir en soi de belles images. Ce sont des musiques pour la danse, l’image et l’Esprit ; ce sont des « nouvelles du monde intérieur », et chacun découvre les relations qu’il y a entre son « être » et son « faire »… Avec ou sans le disque d’ailleurs.

 

P : De nos jours, de plus en plus de personnes se posent des questions sur le sens de la vie et le besoin de contribuer au changement. Pensez-vous que cette musique va y contribuer ?

FD : Je pense que ce qui peut contribuer au changement est d’éliminer les contradictions dans sa propre vie, de vouloir la construire avec des actes qui nous rassemblent, intérieurement et socialement, et qui ne déchainent pas dans le monde des mauvais traitements vers les autres. C’est-à-dire une attitude très opposée à celle prônée par la culture matérialiste et les pouvoirs. La musique en général rassemble n’est-ce pas ? Souhaitons qu’elle continue à le faire dans la direction de l’humanisation de la Terre, non dans l’exaltation de la dégradation de l’humain et de son environnement.

Cette musique a pour seule ambition – du moins c’est dans cet esprit que je l’ai composée – d’orienter l’écoute vers certains « lieux » de soi-même, avec soin et attention. Nous verrons bien ce qu’elle produit. Mais je dirais que le désir de contribution au changement n’est pas le point de départ de mes compositions. Ce serait plutôt le remerciement, la gratitude, et l’envie de partager ce que j’ai senti de beau, de joyeux, de transcendantal en moi, chez d’autres et dans le monde.

 

P : Quelle est, ou sont vos sources d’inspiration ?

FD : Cet album est une synthèse d’expériences diverses. Sa source d’inspiration principale est la spiritualité du Message de Silo par sa libre interprétation. Je dois y rajouter quelques œuvres, des lieux et des rencontres : La rencontre avec Peter Deno et Paula Percivalle tout d’abord, d’où est née la musique de la Danza de las esferas ; ensuite des moments partagés avec certaines personnes chères à mon cœur ; il y a aussi la musique et l’œuvre de Gurdjieff ; les films « 2001, l’odyssée de l’espace » et « 2010 » ; et puis des lieux particuliers comme les Parcs d’étude et de réflexion que je cite dans le livret de l’album, la ville de Mendoza en Argentine, la forêt togolaise, et enfin Ankara, Istanbul, Sofia, Skopje, Belgrade, Sarajevo et Zagreb. De ces dernières villes, j’ai d’ailleurs encore assez d’inspirations pour réaliser un prochain album.

Peter Deno et Paula Percivalle. Crédits image : Jean-Marc Barra 

P : Une anecdote ? Un moment particulier qui vous a touché ?

FD : Oui ! Tous ces moments particuliers où j’ai vu des personnes s’animer autour de la réalisation de ce projet et qui l’ont amplifié, rendu plus fort, moins « personnel » : Les musiciens solistes bien sûr, et ce lien spécial qui se tisse avec eux depuis un an et demi : Mélody Debono, Roxane Martin, Miquèu Montanaro, Léa Platini, Djamel Taouacht, Fernando Alvarez, Pascal Gandolfo, et Karine Porciero, avec qui j’avais déjà collaboré en 2011 ; les merveilleux ingénieurs du son avec qui j’ai travaillé : Audrey Andreu, Cédric Culnaert et Loris Bernot, Emilie Daelemans, Robin Melchior l’orchestrateur, Steve Journey et son orchestre Symphonifilm, Bruce Cherbit au studio Audiolane, et l’immense travail de régie orchestré par Michelle Salaméro sans qui ce projet n’aurait pas pris la dimension qu’il a aujourd’hui ; Arnaud de Buchy mon éditeur, qui a été un appui fondamental, ainsi que Richard Maccotta de Culture Provence Verdon, qui a fait démarrer le projet et l’a valorisé grandement.

Crédits image : Jean-Marc Barra, Brigitte Cano et Ingrid Mareski.

Si vous me permettez, je voudrais également citer les artistes plasticiens qui ont apporté leur art dans le livret du CD, et c’est une émotion particulière que de les réunir ici, car ils et elles font partie de différentes époques de ma vie : Marie-Edith Charni-Robinne de Paris, Tiwazo, de Bordeaux, rencontré en l’an 2000 à Marseille, Leyla Turkay de Cologne, une amie chère de 1987 que j’ai retrouvée pour ce projet, et Simone Casu d’Attigliano en Italie.

Un moment qui m’a touché a été de découvrir certaines photos réalisées par Jean-Marc Barra, par vous même Brigitte (rires) et par Ingrid Mareski. Je suis très sensible au regard photographique, et vous trois avez été des faiseurs de fraicheur et de beauté dans la fournaise des séances d’enregistrement. Toutes les photos seront en septembre sur le site de l’association Arnava, récemment créée à Paris par mes amis proches pour organiser les futures productions autour de ce projet.

Enfin, comme anecdote, je me souviens du témoignage de notre harpiste, Roxane Martin, qui commentait lors d’une interview en septembre 2016, après notre première phase d’enregistrement, que la musique de la Danza de las esferas devrait se jouer dans un espace rond, avec le public autour, dans une salle comme une sphère. Or Roxane ignorait à ce moment que cette Danza était justement née et est dansée principalement dans les Salles sphériques des Parcs d’étude et de réflexion dans différents pays et continents, où le public est assis sur les bancs disposés en cercle. Comme quoi la musique communique plus qu’elle même.

Peter Deno et Paula Percivalle. Crédits image : Paula Aiello. 

(*) L’auteur

http://fdelmusic.wixsite.com/florent-delaunay/biography

 

Album News of the inner world : Sortie le 17 août 2017

Distribution : contact@arnava.art

 

Enregistrement de la Danza de las esferas, lien Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=tmicua7_t7Y&t=1679s