Par Frédéric Thomas  

Fin mars, le Salvador, par un vote historique a été le premier pays au monde à bannir toute exploitation de métaux sur son territoire. Si cette loi s’inscrit dans un contexte particulier, elle participe également de questionnements mondiaux et rouvre le débat sur les enjeux et impacts de l’activité minière.

Le mercredi 29 mars dernier, à une très grande majorité, l’Assemblée nationale du Salvador a voté une loi interdisant toute forme d’exploitation de mines de métaux, tels que l’or et l’argent, ainsi que l’usage de cyanure, de mercure et d’autres métaux utilisés dans ce type d’extraction. Cette loi marque la fin de toute activité des transnationales du secteur dans le pays. Les quelques 300 familles engagées dans l’exploitation minière artisanale ont, quant à elles, un délai de deux ans pour mettre fin à leur activité. S’il existe, de par le monde, des moratoires sur l’exploitation minière, par exemple dans certaines provinces de Philippines, dans plusieurs municipalités de Tolima, en Colombie, et sur tout le territoire du Costa Rica, cette loi n’en constitue pas moins une première mondiale.

UN LONG COMBAT

La décision de l’Assemblée nationale est le fruit d’un long combat et d’une triple convergence : celle du gouvernement de gauche du Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN), des organisations sociales et de l’Église catholique. Dès 2006, s’était mise en place une Table nationale, forum regroupant l’ensemble des acteurs de la société civile critiques, envers l’exploitation minière. Celle-ci allait régulièrement coïncider avec l’Alliance environnementale, qui centrait ses revendications sur le droit alimentaire et l’accès à l’eau. Ce sont ces acteurs et ces mobilisations qui sont à l’origine immédiate de la récente loi. Encore très influente dans le pays, l’Église catholique  [1] allait, elle aussi, prendre fait et cause contre l’activité minière. Quelques jours avant le vote de la loi, afin de maintenir la pression, elle avait ainsi remis aux députés une pétition de plus de 30.000 signatures de soutien à l’interdiction minière.

La dynamique positive de renforcement, de démultiplication et d’élargissement des mobilisations sociales  [2], porteuses d’un changement de cap, venait cependant buter sur le refus de la classe politique et de l’armature étatique. Pas moins de six initiatives législatives ont été déposées, au cours de ces douze longues années de discussion, de négociation… et de répression. Le député du FMLN, Guillermo Mata, a ainsi parlé d’une « loi baignée dans le sang »  [3], en référence aux quatre défenseurs socio-environnementaux, en lutte contre des méga-projets, tués en 2009 et 2011. Une proposition de loi de la Table nationale avait été déposée en octobre 2013 et cinq municipalités du Nord du pays, directement affectée par l’exploitation minière, ont, au cours de ces dernières années, organisé des consultations populaires où, à chaque fois, plus de 95% des votants se sont prononcés contre la présence de mines sur leurs territoires  [4].

Mais il aura fallu attendre un changement de rapport de force, avec l’arrivée au pouvoir du FMLN en 2009, mettant ainsi fin à vingt ans d’hégémonie de la droite, pour que les choses avancent. Le FMLN, favorable à cette loi, ne disposait pas pour autant d’une majorité au sein de l’Assemblée nationale (il détient 31 voix sur 84). Cependant, la pression des organisations sociales croissait en fonction de l’évidence des dégâts environnementaux provoqués par l’activité minière, ainsi que du caractère illusoire des bienfaits que celle-ci était supposé apporter au pays, si bien qu’en fin de compte, l’interdiction de toute forme d’exploitation de métaux a été votée par une majorité des 4/5ème à l’Assemblée nationale.

LE CONTEXTE SALVADORIEN

Le Salvador est le plus petit pays d’Amérique centrale et aussi le plus densément peuplé (près de 300 habitants/km²). En 1992, suite aux accords de paix, la guérilla du FMLN se mue en parti politique. Le pays sort d’une longue guerre civile… Mais pas des causes à l’origine de cette guerre. La pauvreté affecte 41,6% de la population – 49,3% en milieu rural [5] –, la criminalité des bandes de jeunes armés (les maras) est vertigineuse, et près de 2 millions de Salvadoriens vivent – illégalement ou non – aux États-Unis, soit pratiquement un tiers de la population du pays  [6]. Les envois de fonds familiaux des Salvadoriens à l’étranger (les remesas) représentaient d’ailleurs 17,1% du PIB en 2016  [7] …

L’économie salvadorienne est peu diversifiée et dépendante. Le pays exporte principalement des produits de l’industrie textile des zones franches (maquiladoras) – représentant plus de 30% de toutes ses exportations –, à destination essentiellement des États-Unis – qui concentrent 45% des exportations (et 38% des importations)  [8]. Le Salvador reproduit de la sorte une division internationale du travail de type coloniale, en « offrant », au sein d’une économie orientée vers l’exportation, une main d’œuvre et des ressources naturelles bon marché – sucre, café, or, argent… –, et important des biens intermédiaires (autour de 50% des importations). Cette « spécialisation » est entretenue et renforcée par l’Accord de libre-échange avec les États-Unis – CAFTA (Dominican Republic-Central America Free Trade Agreement) – et l’Accord d’association (entré en vigueur en 2014) avec l’Union européenne.

L’industrie minière ne représente que 0,3% du Produit intérieur brut (PIB) et 0,1% des emplois, alors que l’agriculture (1/3 de la population vit en milieu rural), pour sa part, représente 10,8% du PIB et emploie 19,1% de la population. Mais si l’exploitation minière pèse peu matériellement – contrairement à de nombreux autres pays latino-américains –, elle aiguise les appétits – le nord du pays, bordant le Guatemala et le Honduras, se trouve sur « la ceinture métallique » où sont concentrées les réserves d’or et d’argent – et attire les investissements directs étrangers, encouragés par la Loi minière néolibérale mise en place en 1995 et réformée en 2001. Dès lors, 7% du territoire est sous concession minière et qu’en 2013, il existait plus de 70 demandes d’exploration ou d’exploitation [9]. Surtout, les mines occupent une place centrale en Amérique latine dans l’imaginaire du développement [10].

DE L’EAU OU DE L’OR ?

La conscience écologique au Salvador est à la hauteur de la dégradation environnementale. Selon un rapport du Bureau du procurateur pour la défense des droits humains (PDDH), alors que le pays souffre déjà d’un stress hydrique – 600.000 familles en milieu rural n’ont pas accès à l’eau potable – et qu’au moins 89% des cours d’eau sont polluées, dans 80 ans, la disponibilité d’eau per capita se réduira de 83%, rendant le pays invivable. En cause, la déforestation – la couverture forestière est seulement de 13% –, l’urbanisation, le modèle économique lié à la passivité de l’État qui a permis cette dégradation de l’environnement ; la plus grave dans la région après Haïti, selon l’ONU  [11].

Or, l’exploitation minière est au cœur de ce modèle économique prédateur et l’une des principales responsables de la pollution des cours d’eau. Non seulement, elle accapare énormément d’eau au cours de l’extraction, mais elle utilise en outre des produits hautement toxiques, en premier lieu le mercure et le cyanure, dont les résidus restent dans l’environnement (sans compter le risque de catastrophes écologiques). L’exemple du projet El Dorado de la compagnie minière canadienne Pacific Rim est emblématique à cet égard : elle prévoyait un usage quotidien de 2 tonnes de cyanure et de près de 900.000 litres d’eau, soit la même quantité, en un jour, qu’une famille paysanne consomme en quasi 20 ans  [12] !

Sous la pression des organisations sociales et en raison du danger qu’il faisait peser sur l’environnement, ainsi que des irrégularités dans l’octroi du permis d’exploitation, le nouveau gouvernement du FMLN a maintenu, à partir de 2009, un moratoire sur le projet de Pacific Rim. Celle-ci a alors poursuivi l’État salvadorien auprès du Tribunal privé d’arbitrage de la Banque mondiale (ICSID), réclamant au Salvador 301 millions – réduit ensuite à 250 millions $ –, soit 2% de son PIB. En octobre 2016, Pacific Rim, acquise en 2013 par la transnationale australo-canadienne Oceana Gold, a été débouté et condamné à payer à l’État salvadorien 8 millions $… qui couvrent seulement les ¾ des frais de justice de ce dernier  [13] !

UN CAS PARTICULIER OU UN PRÉCÉDENT ?

L’interdiction de l’exploitation minière métallique au Salvador constitue-t-elle une exception, qui s’explique principalement par la faible importance du secteur minier dans son économie ? Et, de ce fait, ne pourrait être reproduite ailleurs, notamment dans la plupart des pays latino-américains, riches en ressources naturelles ? La question n’est pas neutre. Alors que les transnationales minières et l’ensemble des États de la région insistent sur son caractère circonscrit à la réalité singulière du pays centroaméricain, toutes celles et ceux, qui cherchent une voie post-extractiviste – extractivisme entendu comme exploitation intensive de ressources naturelles pas ou peu transformées, destinées principalement à l’exportation  [14] – entendent s’inspirer de cette loi.

Si le faible poids des revenus de l’exploitation de métaux dans son économie fait, en effet, du Salvador un cas particulier, l’enjeu d’une telle loi n’en relève pas moins de tendances structurelles, qui renvoient à une conception dominante du développement, propre à l’ensemble du continent latino-américain. Notons d’abord que l’impact de cette loi est limité par son caractère national, alors que les dégradations environnementales de l’exploitation minière du côté hondurien et guatémaltèque, à quelques kilomètres du Salvador, ne s’arrêtent pas à la frontière. Ensuite, l’ensemble des pays de la région sont confrontés aux mêmes problèmes d’usage et de préservation de l’eau – d’où les combats menés un peu partout sur le continent au nom de la défense de l’eau –, de risque pour la santé, de conflits socio-environnementaux, de non diversification de l’économie et de dépendance envers les prix des matières premières et le marché international. Enfin, la loi fait apparaître à contre-jour la triple question de la paysannerie, des politiques agricoles et de la souveraineté alimentaire, hypothéquée par l’extractivisme ; question qui traverse tout le continent. Bref, ce qui est en jeu est bien le modèle de développement mis en œuvre par l’ensemble des pays latino-américains.

Fin avril, s’est d’ailleurs tenu un Forum régional des défis et impacts de l’exploitation minière métallique en Amérique centrale, affirmant que la loi salvadorienne était un exemple à suivre pour les autres pays du sous-continent  [15]. Des analystes et écologistes ont également fait le lien entre cette interdiction nationale et un veto local  [16] . Quelques jours plus tôt avant que ne soit promulguée la loi salvadorienne, se tenait, dans la municipalité de Cajamarca, dans le département de Tolima, en Colombie, une consultation locale qui a rejeté à une écrasante majorité (97%) l’exploitation minière sur ses terres. En conséquence, la transnationale sud-africaine AngloGold Ashanti a annoncé qu’elle suspendait toutes ses activités minières dans la région  [17] .

Mais l’écho de la loi au Salvador dépasse aussi le continent. Ainsi, à plus de quinze mille kilomètres de là, un article du Manila Times aux Philippines titrait sur la loi salvadorienne, en affirmant qu’elle peut amener à reconsidérer le code minier philippin. « Évidemment, les Philippines se trouvent dans une situation différente – le pays est bien plus riche en minerais que le Salvador – mais les mêmes questions de viabilité des ressources de minerais, du degré d’intégration possible ou non des activités minières dans l’économie locale et nationale, et du cycle de vie des mines peuvent être réexaminées de manière critique, et devraient l’être »  [18] .

L’interdiction de l’exploitation de métaux en Salvador crée un précédent. D’une part, elle fait exploser la fausse évidence de l’équation : exploitation des ressources naturelles = croissance = développement = bien-être, invitant par-là à rouvrir le débat, à repenser le concept même de développement et à bousculer l’imaginaire néo-développementaliste  [19]. D’autre part, elle démontre que les moyens existent, qu’il est possible de s’appuyer sur des instruments juridiques déjà en place et que les mouvements sociaux ont leur efficacité ; bref, que ce qui manque avant tout, c’est la volonté politique. Enfin, cette loi peut servir – et servira – de levier pour ouvrir l’horizon des possibles et dégager des alternatives.

Notes

[1] Luis Barrientos, « El Salvador, el país donde la iglesia católica va contra la minería metálica », 15 mars 2017,  http://distintaslatitudes.net/ .

[2] Grito Mesoamericano, La resistencia frente a la minería metálica en El Salvador,  http://www.gritomesoamerica.org/ .

[3] « El Salvador prohíbe la minería metálica »,  https://apnews.com/ .

[4] Lire notamment « Los pueblos que se enfrentan a la amenaza minera », 30 mars 2015,  http://vanguardiasv.net/  et « Convocan a la quinta consulta ciudadana contra la minería en El Salvador », 12 décembre 2016,  http://noalamina.org/ .

[5] Sources Cepal 2014,  www.estadisticas.cepal.org/

[6] Lire BBC Mundo, « Las verdaderas cifras de los hispanos en EE.UU. y cuánto poder tienen », 15 mars 2016,  http://www.bbc.com/mundo/  et Gabriel Lesser, Jeanne Batalova, « Inmigrantes Centroamericanos en los Estados Unidos », 21 avril 2017,  http://www.migrationpolicy.org/ .

[7] Banco central de reserva de El Salvador, « Las remesas familiares cierran 2016 con el monto más alto de la historia y el mayor crecimiento de los últimos diez años »,  http://www.bcr.gob.sv/

[8] Sources Cepal 2015 et  http://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/slv/

[9] Fundacion Friedrich Ebert / FES America central, El Extractivismo en America central. Un balance del desarrollo de las industrias extractivas y sus principales impactos en los países centroamericanos, 2015.

[10] Maristella Svampa, Debates latinoamericanos. Indianismo, desarrollo, dependencia y populismo, Argentine, Edhasa, 2016.

[11] Voir  http://www.efeverde.com/noticias/la-vida-salvador-sera-inviable-80-anos-crisis-agua/ . Le rapport complet du PDDH est accessible ici :  http://www.pddh.gob.sv/ .

[12] Voir  https://www.ocmal.org/wp-content/uploads/2017/03/Impactos_El_Dorado_El_Salvador.pdf . De plus, seuls 150 emplois locaux, qui plus est peu qualifiés et à durée déterminée, devaient être créés dans le cadre du projet.

[13] Voir sur cette question  http://www.ips-dc.org/seven-years-millions-dollars-decision-announced-pac-rim-mining-company-vs-el-salvador/ .

[14] Eduardo Gudynas, Extractivismos. Ecologia, economia y politica de un modo de entender el desarrollo y la Naturaleza, Claes/Cedib, Cochabamba, 2015.

[15] Regional Forum “Impacts and Challenges of Metal Mining in Central America”, Statement on the impact of metal impact mining on the Central American populations,  http://us7.campaign-archive2.com/

[16] CENSAT Agua Viva, « Desde las entrañas de la tierra y junto a los gritos del agua, Cajamarca dijo NO a la minería »,  http://censat.org/ .

[17] Lire à ce sujet, « AngloGold Ashanti se va (por ahora) de Cajamarca », Semana,  http://sostenibilidad.semana.com/ .

[18] Ben Kritz, « El Salvador mining ban may cause a rethink in PH », Manila Times, 18 avril 2017,  http://www.manilatimes.net/ .

[19] Frédéric Thomas, « Bref retour sur la question du « développement » »,  www.cetri.be .

L’article original est accessible ici