Pressenza a rencontré à Toulouse des membres actifs du mouvement des Colibris. Inspiré par le penseur et militant de l’agroécologie Pierre Rabhi,  ce mouvement qui prône la création d’une « société de la sobriété heureuse » grandit en France depuis quelques années et multiplie les initiatives. Nous allons essayer de comprendre le sens de sa démarche.

Depuis quand existe le mouvement des Colibris et quelle est son origine ?

Le mouvement Colibris a été initié en 2007 par Pierre Rabhi et quelques proches. En 1999-2000 avait été lancé le mouvement Terre et Humanisme, avec pour thème les pratiques agricoles autonomes et l’aide internationale dans ce domaine. En 2002, Pierre Rabhi s’était lancé dans une pré-campagne électorale. Sa pré-campagne ne lui avait pas permis de réunir les 500 signatures requises mais avait donné naissance à plus de 80 comités départementaux de soutien, les Colibris. En 2003 a été créé le « Mouvement de l’Appel Pour une Insurrection des Consciences ».

Vous citez souvent Pierre Rabhi. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?

Pierre Rabhi est né en Algérie en 1938 puis est arrivé en France durant la guerre d’Algérie. D’abord ouvrier spécialisé à Paris, il imagine bientôt avec Michelle, sa femme d’origine parisienne, un projet loin de la ville, autour de l’agriculture. Après s’être installés en Ardèche dès 1960, ils développent des compétences en agriculture biodynamique. En 1978, Pierre Rabhi devient chargé de formation en agroécologie. En 1988, il est également reconnu comme expert international sur les thèmes de la sécurité alimentaire et de la lutte contre la désertification.

Est-il le seul inspirateur du mouvement ?

Le mouvement Colibris puise son inspiration aujourd’hui avant tout dans les initiatives et les projets de tous les petits Colibris qui le font vivre et le vivifient. Il est ouvert aux idées émanant de tout le vivier associatif et citoyen sur les thèmes liés à la transition. Le mouvement croit beaucoup aux interactions fécondes entre les acteurs et les initiatives, etc…

Comment est organisé le mouvement et comment se finance-t-il ?

Depuis 2009, Colibris fonctionne grâce à une gouvernance participative qui implique cinq catégories de membres qui prennent part aux orientations du mouvement :

  • Les membres cotisants (qui font un don mensuel à l’association)
  • Les coordinateurs bénévoles des groupes locaux
  • Les partenaires et réseaux affinitaires (Terre et Humanisme, Université du Nous, Printemps de l’Éducation, La Nef, Énercoop… )
  • Les fondateurs
  • L’équipe opérationnelle (salariés et prestataires)

Ces cinq collèges sont représentés dans toutes les instances dirigeantes de Colibris.

Le Cercle d’Orientation (CO), équivalent de l’Assemblée Générale, est composé de tous les fondateurs et les opérationnels, d’un représentant de chaque partenaire et de chaque groupe local protocolé (les groupes les plus avancés) et de 50 cotisants tirés au sort. Au total ce sont environ 120 personnes qui constituent ce cercle chargé de veiller aux orientations stratégiques.

Le Cercle de Pilotage (CP) est l’équivalent du Conseil d’Administration. Il a pour mission de garantir la raison d’être et la bonne santé de l’association, et travaille ainsi en lien avec l’équipe opérationnelle à animer la gouvernance participative du mouvement. Il nomme aussi le « Premier Lien » de l’équipe opérationnelle (directeur dans le jargon de gouvernance sociocratique). Actuellement composé de 8 membres élus par l’ensemble du Cercle d’Orientation, les nouveaux statuts votés en septembre 2016 permettront qu’en juin 2017, chaque collège élise deux membres au sein du CP.

Colibris est un mouvement citoyen autonome et indépendant. Environ 70% des ressources (soit 700 000€ environ) sont issues des dons de particuliers, dont la majorité sont des cotisants (c’est-à-dire qu’ils effectuent un don mensuel à Colibris).

Les ressources supplémentaires (soit 300 000€ environ) sont issues de la Boutique des Colibris, de subventions de fondations choisies pour leur éthique, d’une partie des droits d’auteur de Pierre Rabhi, de prestations liées à des conférences ou des expertises…

Vous semblez avoir pour devise « Inspirer, soutenir, relier ». Qu’est-ce que cela signifie ?

« Inspirer », c’est produire et diffuser des outils de sensibilisation et d’information sur les dernières initiatives écologiques et citoyennes qui participent à construire la société de demain :

  • par le magazine Kaizen,
  • par la production et la diffusion de documentaires tels « Solutions locales pour un désordre global » de Coline Serreau ou plus récemment « En Quête de Sens » de Nathanaël Coste et Marc de la Ménardière et « Demain », de Cyril Dion et Mélanie Laurent.
  • par l’Université des Colibris qui, grâce à ses MOOC, sur la conception d’une Oasis ou sur l’amélioration de l’éducation autour de soi par exemple, inspire des milliers d’internautes.

« Relier », c’est, avec le réseau social des Colibris, permettre aux internautes de trouver et partager des ressources pour la construction d’un projet. C’est proposer un annuaire d’acteurs locaux. C’est aussi, avec les rencontres mensuelles Colibris, permettre aux porteurs de projets de se connaître, de se faire connaître et de présenter leurs besoins, de rencontrer d’autres personnes motivées par leur projet.

« Soutenir », c’est soutenir l’élan des citoyens souhaitant œuvrer pour la transition en leur proposant des modalités d’action, en leur montrant que faire sa part pour la transition est à la portée de tous, par les fiches pratiques Colibris, par les MOOC ou le projet « Oasis en tous lieux » par exemple.

En cas de conflits entre les membres, comment les résolvez-vous ?

Des divergences de points de vue apparaissent comme dans tous les groupes. Quand il y a une divergence entre le groupe local et le national, nous faisons remonter nos remarques au national où elles sont recueillies par une personne du national qui a en charge le lien avec les groupes locaux. Quand il y a une divergence de point de vue au sein des membres actifs du groupe local, ce qu’on appelle « le Cercle Coeur », l’originalité des Colibris est dans la volonté de résoudre les tensions par des voies pacifiques, notamment la communication nonviolente à laquelle le national nous incite à nous former.

Sur le plan national, le mouvement Colibris s’est doté d’une charte relationnelle reposant sur « les 4 accords toltèques » [1. Que ta parole soit impeccable. 2. Quoi qu’il arrive, n’en fais pas une affaire personnelle; 3. Ne fais pas de suppositions. 4. Fais toujours de ton mieux.]

Dans les relations au quotidien en externe et en interne, les valeurs relationnelles sont fondées sur l’authenticité (transparence, respect), la bienveillance (parler avec l’intention de vouloir le bien pour moi et pour les autres), l’équivalence (accorder la même valeur à chaque point de vue), le respect (accueillir ce que dit l’autre, puis lui poser des questions plutôt que faire des suppositions).

Pour pacifier les relations, nous essayons de ménager toujours une place pour l’humour respectueux, la légèreté et les réjouissances. Nous célébrons aussi les moments sans tension et les moments où une tension a été levée.

Que veut dire le terme de  « sobriété heureuse » que vous utilisez souvent ?

Le terme de « sobriété heureuse » désigne un nouveau modèle économique et sociétal, alternatif à la société de consommation. C’est aussi avant tout une éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être. Ce modèle vise une prospérité sans croissance car la croissance est insoutenable pour la planète et se traduit par un mode de vie fondé sur une simplicité volontaire axée sur la satisfaction des besoins vitaux : manger sainement, se loger décemment, vivre en bonne santé, se déplacer moins et de manière plus respectueuse de l’environnement.

Qu’entendez-vous par « transition intérieure », autre terme qui revient fréquemment ?

La transition intérieure est fondée sur la conviction qu’il ne peut advenir de changement dans un groupe humain que s’il commence par une prise de conscience intérieure. Sur la nécessité d’évoluer intérieurement vers plus de paix, de bienveillance, d’esprit positif et constructif. Chaque Colibri espère ensuite pouvoir diffuser un peu de cette paix et de bienveillance autour de lui et donner envie aux autres pour suivre leur propre chemin de transition intérieure.

Avez-vous une conception particulière de l’être humain ?

Par exemple, nous nous retrouvons dans l’idée que corps et esprit sont étroitement liés et donc qu’agir sur le corps, ne pas rester que dans l’intellect, permet de faire évoluer le mental, et réciproquement. Nous insistons aussi sur la dignité et sur la nécessité de respecter nos besoins profonds : les besoins de reconnaissance, de respect, de sécurité affective, d’amour, etc…

Peut-on dire que vous défendez un modèle de société ? Si oui, quelles en seraient les valeurs cardinales ?

Comme nous l’évoquions plus haut, nous défendons un modèle de société lié à la notion de sobriété heureuse. Nous participons à la création d’une société fondée sur les valeurs de dignité, d’équité, de respect, de bienveillance. Nous aspirons à une société où seraient exaltées les valeurs de solidarité, de coopération, de complémentarité, de liberté plutôt que celles de compétition, de concurrence, de rapports de force, de domination.

Quelle serait la place de l’économie et de l’argent dans cette société ?

Ce serait une société dans laquelle l’économie est au service d’un projet de société heureuse, une économie relocalisée où les citoyens puissent être véritablement acteurs de l’économie, dans laquelle ils puissent reprendre l’initiative.

Portez-vous finalement une démarche politique ?

Colibris est un mouvement apolitique. Nous avons cependant conscience de la nécessité de changements au niveau politique et souhaitons participer à la création d’une société plus écologique et humaine.

Certaines de nos idées peuvent être reprises par des personnalités politiques sans que nous en soyons responsables.

Nous défendons des valeurs d’humanisme, d’écologie et de tolérance et nous opposons en conséquence à tout projet contraire à ces valeurs, notamment les idées d’extrême droite.

L’idée est de faire au lieu de seulement attendre que les gouvernants fassent. Par ailleurs, le mouvement Colibris s’inspire pour son mode de gouvernance de la sociocratie : organisation en cercles, décision par consentement, élection sans candidat.

Nous lançons cette année le Chant des Colibris, l’appel du monde de Demain, pour accompagner les citoyens dans la transition : www.lechantdescolibris.fr