Un tunnel rempli de déchets radioactifs s’est effondré  près d’une ancienne installation militaire d’extraction de plutonium et d’uranium sur le site de  stockage atomique de Hanford dans l’Etat de Washington aux USA.  Depuis 2008 le français Areva est l’un des intervenants impliqués dans les opérations de démantèlement/assainissement du site.

Mardi 9  mai 2017 au matin, sur le gigantesque site militaire atomique en cours de démantèlement de Hanford aux Etats-Unis (Etat de Washington à 275 km au sud-est de Seattle) le sol s’est effondré près d’une ancienne installation d’extraction de plutonium et d’uranium « Purex » (Plutonium Uranium Extraction Plant). Juste au-dessus de la jonction de deux tunnels ferrés sous-terrains remplis de substances et de déchets radioactifs.

Le premier tunnel construit avec du béton et du bois à partir des  années 1950 est recouvert d’un peu plus de 2 mètres de terre. Il mesure près de 110 mètres et contient 8 wagons chargés de déchets radioactifs poussés là par une motrice lors de la « guerre froide ». 28 wagons également chargés de déchets radioactifs se trouvent dans le second tunnel de près de 200mètres. Les deux tunnels étaient scellés depuis le milieu des années 1990.

Les 5 000 travailleurs présents ont reçu l’ordre de se confiner, de fermer toutes les ventilations et de  » s’abstenir de manger et de boire « .  Le survol de la zone a été interdit. En début d’après-midi, les employés  » non essentiels  » au fonctionnement du site ont été renvoyés chez eux.

Le département de l’Énergie des États-Unis (DoE), qui est aujourd’hui propriétaire du site, indique que l’effondrement du 9 mai 2017 aurait été découvert lors d’une inspection de routine. On ne sait donc pas depuis combien de temps les déchets radioactifs se trouvent à l’air libre. La béance mesure près de 40 m2. La direction assure qu’aucune fuite radioactive n’a été constatée et qu’aucun blessé n’est à déplorer. A voir. Un dispositif  de mesure  de  radioactivité  par télécommande à  distance est déployé à côté du tunnel. Ce qui laisse à penser que le danger de contamination radioactive est présent. De banals travaux sur une route située près du tunnel auraient pu provoquer cet effondrement.

Omerta, secret, toxicité, contaminations, rejets mortels…

Fermé en  1987, grand comme quinze fois Paris, et avant de devenir une  poubelle nucléaire le site atomique de Hanford avait été construit en 1943 pour produire, dans le cadre du « projet Manhatan », le plutonium pour la première bombe nucléaire testée lors de l’essai atomique Trinity, et pour « Fat Man », la bombe utilisée lors du bombardement de Nagasaki au Japon deux ans plus tard. Hanford abrita le premier réacteur nucléaire au monde (réacteur B) destiné à produire du plutonium de qualité militaire.

Ultra-secrète, cette production s’est poursuivie 46 ans sous le contrôle du Département de la défense, pour le compte du gouvernement fédéral des États-Unis et de l’armée. Or « le processus de fabrication du plutonium est extrêmement “inefficace” : une énorme quantité de déchets liquides et solides est générée pour une très petite quantité de plutonium produite ».

Le village de Hanford situé le long du fleuve Columbia (2) avait été évacué de force par l’armée et presque totalement détruit  pour laisser place au Complexe nucléaire. Jusqu’à près de 180 000 personnes ont collaboré à la mise au point des engins de terreur.  Par la suite, pas moins de 9  réacteurs nucléaires supplémentaires et cinq complexes de traitement du combustible usé – installations nucléaires chimiques de haut danger –  y ont été construits. Pour produire plus de plutonium, encore, destiné aux 60 000 ogives de l’arsenal nucléaire américain pointant sur l’URSS. Hanford abrite encore de nos jours la centrale nucléaire « Columbia » et plusieurs centres de recherche et développement atomiques.

Un site atomique emblématique de l’impossible assainissement du nucléaire

30 ans après sa fermeture, le site atomique de Hanford est une immense terre lunaire jonchée de cadavres d’installations radioactives et trouée de tunnels de fortune dans lesquels ont été empilés et entassés à la queue leu-leu des tonnes de matières radioactives certaines installés sur de simples wagons-plateformes.

En  1989 l’Etat et les autorités fédérales ont conclu un accord pour nettoyer le site atomique, ses 177 cuves (149 d’entre-elles ne possèdent qu’une seule coque de protection), ses installations titanesques dispersée sur plus de 1 518 km2 (surface égale à la moitié de celle du département français du Rhône), ses 200 000  mètres cubes de déchets chimiques et radioactifs.

Ce plus grand chantier de décontamination et démantèlement au monde, qui mobilise aujourd’hui environ 11 000 employés – notamment depuis 2008 du groupe français Areva (1) – n’avait jamais dépassé 50 000 ouvriers et employés durant sa phase de construction. Le coût du nettoyage du site est estimé à plus de 100  millions de dollars (92 millions d’euros) d’ici à 2060. Mais est, à l’image des chantiers atomiques de construction et de démantèlement français, en grand dépassement de coûts et de délais. De 300 à 500 milliards de dollars pour des experts indépendants. Avec menace sur la santé des travailleurs, des riverains et l’écosystème.

Depuis1996 ce plus grand site de stockage de déchets nucléaires des États-Unis (près de 220 000 m3 en 2003) recueille un tiers de tous les déchets radioactifs du pays. Mais pas uniquement car dans le sud du site, où se rejoignent le fleuve Columbia et la Yakima River, plusieurs centres de stockage de déchets et sources radioactives hors ceux gérés par le « DoE » sont aussi implantés : les déchets radioactifs proviennent de Framatome-Areva NP, Allied Technology Group Corporation et Perma Fix et PN service.

Des incidents et accidents à répétition

De nombreux incidents ont déjà émaillé la sordide histoire du site atomique militaire de Hanford. Ils sont emblématiques et de la domination sur les populations et de l’impossibilité de traiter sur le moyen et le long terme les dégueulis radioactifs.
Depuis 1943 et jusque dans les années 1960, Hanford a relâché directement ses déchets gazeux et liquides contaminés dans la nature : plus de 3,8  millions de litres de boues radioactives ont été ainsi dispersés dans le sol (quantités reconnues par les pouvoirs publics mais nettement supérieures selon les associations antinucléaires locales).

En  1990 a été révélé qu’une terrible contamination au plutonium s’était produite à la fin des années 1940. Dans l’omerta la plus sombre des autorités et même avec leur accord afin de tester, grandeur nature, des instruments de détection. La population considérée comme cobaye humain de l’industrie nucléaire. Premier scandale parrainé par le gouvernement fédéral. Près de 13 500 habitants des districts situés sous le vent, dans les Etats de Washington et de l’Oregon, ont ainsi été contaminés volontairement par des substances radioactives supérieures à 33  rads*. Les normes sanitaires maximales étant  fixées entre 1 et 5  rads par an.

Le 22  février 2013, le gouverneur de l’Etat de Washington avouait que six réservoirs souterrains « clandestins » de liquide radioactif avaient laissé s’échapper une partie de leurs matières hautement toxiques.

En  2016, une fuite qualifiée de  » catastrophique  » par le personnel s’est produite sur une cuve gigantesque de déchets nucléaires. Alors que des efforts surhumains et à hauts risques se poursuivaient pour vider la cuve, le département américain de l’énergie a tenté de minimiser l’accident en cours en assurant qu’il avait été  » anticipé « . Mais le site, notamment l’eau souterraine, est bel et bien contaminé par le tritium radioactif.

Il y a dix ans, en 2007, les autorités reconnaissaient une contamination radioactive en iode 129 radioactive sur plus de 65km2 et en tritium sur plus de 120 km2. Bien au dessus des seuils de potabilité. Des concentrations élevées d’uranium se produisent aussi au droit de l’installation Areva. La concentration maximale d’uranium dans un puits Areva en 2013 a atteint 36,5 Μg/L (Rapport annuel 2013 sur les eaux souterraines Areva, Richland, Washington). Les concentrations d’uranium dans les puits de site descendants d’Areva étaient aussi problématiques en 2014. Les taux de Strontium radioactif 90Sr sont systématiquement plus importants à l’aval du site d’Hanford dans l’eau du fleuve Columbia qu’en amont.

« Ce nouvel incident du 9 mai 2017 démontre la dangerosité du site » déclare l’organisation antinucléaire Beyond -Nuclear, qui dénonce aussi une  » gestion des déchets radioactifs hors de contrôle « .  Il s’agit d’un  » coup de semonce  » pour l’ONG Hanford Challenge qui ajoute que  » Le message qu’on peut en tirer est qu’une vieille installation ne rajeunit pas » et représente « un fléau pour les générations futures « . Des travailleurs ont développé des maladies respiratoires et neurologiques. Et comme les réservoirs souterrains doivent être ventilés par mesures de sécurité : les travailleurs s’en trouvent encore plus exposés. L’ONG a déposé plainte aux côté du syndicat des salariés et de l’Etat de Washington pour  «  manque   de   protection   des   travailleurs   engagés   dans   les   travaux d’assainissement et exposés à des risques d’inhalation de substances toxiques ». Sans compter la santé des habitants actuels de « Tri-Cities » (constituée des trois villes de Richland, Kennewick et Pasco) l’agglomération située en bordure nord-ouest de Hanford qui compte… 230 000 habitants.

(1) Areva est partie prenante à Handford : http://www.hanford.gov//pageAction.cfm/Search?q=areva  et http://www.areva.com/FR/activites-1108/areva-hanford-assainissement-et-dmantlement-du-site-de-stockage-us.html  et http://www.hanford.gov/files.cfm/DOE-CX-00141.pdf et http://www.hanford.gov/page.cfm/purex#PUREX1

(2) le plus grand cours d’eau de la région Nord-Ouest Pacifique de l’Amérique du Nord par sa longueur, par la taille de son bassin versant et par son débit à l’embouchure (le plus important de tous les fleuves nord-américains se jetant dans le Pacifique), ce qui le rendait intéressant pour refroidir les nombreux réacteurs et la centrale nucléaire du site, et diluer les rejets chimiques et radioactifs.

*rad : unité de mesure (remplacée en 1975 par le gray de symbole Gy, mais très utilisée aux Etats-Unis) de la dose radiative d’un rayonnement ionisant équivalente à 100 ergs d’énergie absorbés dans un gramme de matière. 1 rd = 0,01 Gy = 1 cGy = 10 mGy

L’article original est accessible ici