Par Martin Cadoret (Reporterre)

Pour pallier la déception des Français à l’égard des institutions, de nombreux mouvements politiques entendent revitaliser la démocratie en remettant le citoyen en son cœur. Le phénomène témoigne d’une volonté de changement. Reporterre fait l’inventaire de toutes les initiatives.

« Nous sommes ceux que nous attendons. » C’est le slogan du mouvement #MaVoix, qui vise à proposer des candidatures citoyennes aux législatives. Une manière d’enterrer le concept d’homme providentiel cher à la Ve République. Personne ne viendra vous sauver, alors engagez-vous et tentez de faire bouger les lignes, voilà ce que disent #MaVoix et nombre d’organes protéiformes, parmi lesquels Nuit debout, Stades citoyens, MaPresidentielle.fr, Les Jours heureux, Le Chant des colibris… Leur point commun : vouloir recréer de l’adhésion au politique en partant de son unité, le citoyen.

Tous partent du constat que la politique s’est éloignée des gens. « 99 % des jeunes pensent que les politiques sont corrompus, se lamente Charlotte Marchandise, la candidate issue de la primaire citoyenne de MaPrimaire.org. Il y a vraiment une urgence démocratique face à ce rejet des partis. J’ai moi-même reçu des parrainages d’élus Les Républicains qui me disent qu’ils ont honte de ce qu’il se passe. »

Pour répondre à ce dégoût, « moraliser » la vie politique devient impératif. Sur MaPresidentielle.fr, une plateforme qui collecte les propositions de tout un chacun en vue de la présidentielle, Maxime, le cofondateur du site, compte « environ 70 % de propositions liées à la gouvernance ». « Les gens ne veulent plus de cumul des mandats ni de cumul des indemnités », analyse-t-il.

Chacun a son remède à la crise démocratique. Les Jours heureux, collectif de plusieurs associations inspirées du programme du Conseil national de la Résistance, met en tête de gondole la nécessité d’une nouvelle Constitution et la création d’un fonds pour une démocratie citoyenne. À Nuit debout, on se concentre sur une proposition : la création d’un « jury citoyen », chargé de rendre des avis sur diverses politiques. « On va demander à tous les candidats de s’engager à convoquer une assemblée tirée au sort après les élections. Un temps de débat public médiatisé, articulé à des assemblées locales, ça serait la manière la plus intelligente et démocratique d’aborder la politique », explique Matthieu, qui confie que le mouvement réfléchit déjà avec des universitaires à comment lancer de tels jurys.

« Recréer du vivre ensemble, de la solidarité »

Être d’accord sur la manière de mieux gouverner, c’est bien, mais proposer des solutions, c’est mieux. Et sur ce point, tous s’accordent sur une idée : faire remonter au niveau national les initiatives qui marchent au niveau local. « Les gens ne veulent plus forcément qu’on fasse pour eux, mais demandent d’activer des leviers pour pouvoir agir, créer plus de circuits courts, plus de fermes bio, plus de monnaies locales », détaille Mathieu Labonne, directeur du Mouvement colibris. L’association a lancé son « appel pour le monde de demain », qui vise à rassembler le plus largement autour des valeurs d’écologie et de solidarité, celles prônées par le film Demain, réalisé par Cyril Dion, cofondateur des Colibris. D’ici à l’élection présidentielle, une tournée de 6 dates est organisée dans toute la France, avec pour but de faire émerger ces solutions, de débattre — sans oublier le plaisir, avec des concerts d’artistes « compagnons de route », comme Matthieu Chédid, Dominique A, Tété ou Tryo.

Même volonté de partager les choses qui marchent au cœur du mouvement d’Alexandre Jardin, Bleu blanc Zèbre. Le site partage des « bouquets de solutions » sur toutes les thématiques, du logement à l’emploi en passant par l’environnement, sorte de catalogue des bonnes idées souvent mises en place par des associations à l’échelle des territoires. Car, selon Charlotte Marchandise, « quand on travaille au niveau local, les divisions idéologiques n’entrent pas en ligne de compte ».

Le risque ? Se retrouver dans une posture attrape-tout à la Emmanuel Macron. « On retrouve cela chez lui, cette idée de dire que les bonnes idées ne sont ni de droite ni de gauche, note Christian Le Bart, politologue spécialisé dans les questions de participation politique. Faire la critique du caractère stérile de l’opposition droite-gauche, c’est vieux comme la démocratie. Et aujourd’hui, cette tendance se retrouve assez massivement dans un contexte de déclin des grandes idéologies. Le socialisme, le libéralisme… ça n’excite plus grand monde ! »

Mais même s’ils ne le revendiquent pas, force est de constater que ces mouvements se situent plutôt à gauche de l’échiquier politique, avec un accent constant mis sur l’écologie et la solidarité. « L’intérêt de ces démarches, c’est de sortir du gros million de personnes qui partagent ces valeurs, en passant à une écologie plus positive, pour recréer du vivre-ensemble, de la solidarité », détaille Mathieu Labonne, du Mouvement colibris.

Chaque mouvement a sa manière de porter ce renouveau démocratique

Vu de loin, on aurait presque l’impression que tous ces mouvements se font concurrence dans leur volonté de porter la parole des « vraies gens ». Mais ce qui ressort de notre enquête, c’est qu’ils sont tous en contact les uns avec les autres. Les mesures de Jours heureux ont été votées par une cinquantaine d’associations parmi lesquelles Nuit debout, les Colibris… De même, Charlotte Marchandise assure être en lien avec les Colibris et les Jours heureux. « On participe d’un même élan, d’un même printemps citoyen, et on est évidemment en coopération », explique la candidate de MaPrimaire.org. Des temps de rassemblement sont même prévus, comme Stades citoyens, qui vise à réunir tous ces collectifs pour une agora géante au Stade de France le 22 avril.

Pour Mathieu Labonne, cette dynamique de coopération est inédite. « Précédemment, il y avait la tentation de se rassembler à plein pour porter un projet commun. Mais ça ne marche pas très bien parce que chaque mouvement a sa raison d’être. Plutôt que de faire ça, on travaille beaucoup plus en mode archipel, on crée des ponts avec les autres associations. On ne converge plus vers un projet commun, mais vers un champ lexical avec des valeurs d’écologie et de solidarité. C’est quelque chose de nouveau, de plus décentralisé. Comme dans une symphonie où tout le monde peut jouer sa partition. »

À l’approche de la présidentielle, chaque mouvement a sa manière de porter ce renouveau démocratique. Il y a ceux qui choisissent d’interpeller les candidats pour qu’ils prennent en compte cette parole citoyenne : Nuit debout, avec son idée de Jury populaire, ou encore les Jours heureux, qui incitent les candidats à se positionner sur ses 25 mesures. « On voudrait faire ce qu’a réussi le Conseil national de la Résistance, c’est-à-dire faire changer de trajectoire un pays, mettre une pression positive sur les candidats », assure Martin Rieussec, porte-parole du mouvement. De même, MaPresidentielle.fr aimerait aussi amener les candidats à se situer par rapport aux mesures les plus suivies sur le site. « Si nous sommes quelques dizaines de milliers, ils ne pourront pas faire autrement que de jouer le jeu », espère Maxime, le cofondateur.

Et puis, il y a ceux qui souhaitent passer à la vitesse supérieure, en faisant émerger de nouvelles têtes. Charlotte Marchandise a été la première, pour la présidentielle. À son tour, elle s’engage à soutenir pour les législatives les candidatures citoyennes, et, pourquoi pas, celles de # MaVoix. Christian Le Bart, politologue spécialiste des questions de participation politique, note cette « effervescence citoyenne », « signe de bonne santé de notre démocratie ». Mais il se montre sceptique quant à la capacité de ces candidatures citoyennes de faire bouger les lignes. « Déjà, il y a le filtre des institutions qui va entraver ces tentatives de renouvellement, ne serait-ce que via le système des parrainages pour la présidentielle », avance le politologue. De fait, Charlotte Marchandise a bien du mal à réunir 500 parrainages — seuls 7 ont déjà été validés par le Conseil constitutionnel.

« Un véritable intérêt pour tous ces mouvements citoyens »

« Et puis, il y a un deuxième filtre, plus pervers, c’est que les électeurs eux-mêmes ne sont pas tant que ça désireux de faire élire des gens qui leur ressemblent et qui sont à l’extérieur du système politique. De ce point de vue, les électeurs sont schizophrènes. Si les barons locaux font des mandats de 30 ans, c’est aussi parce que les électeurs votent pour eux », explique le politologue.

Le dernier défi de ces mouvements, c’est aussi la question de la participation populaire, de savoir comment dépasser l’entre-soi de militants associatifs, pour toucher le citoyen lambda. « On a à cœur d’aller aussi dans les banlieues, ou dans les villages ruraux aux alentours des grandes villes. Et les gens sont hypercontents qu’on soit là. Ils se disent : “Pour une fois, peut-être qu’on va être entendu” », raconte Charlotte Marchandise. « Il faut aussi donner envie d’en être, en montrant que c’est heureux à vivre. François Ruffin, quand il dit “on n’a pas l’argent, mais on a le nombre”, c’est le message qu’il faut faire passer », abonde Martin Rieussec, des Jours heureux.

Dans un sens, le pari est sans doute déjà gagné. Le sociologue Antoine Bevort, qui mesure l’audience des sites de ces mouvements, constate « un véritable intérêt pour tous ces mouvements citoyens ». « Ils ne se situent pas trop mal par rapport aux autres sites de partis, surtout avec une présence médiatique beaucoup plus faible. » Une dynamique sur laquelle il faudrait capitaliser pour la poursuivre au-delà des élections, selon Mathieu Labonne. « Le changement de société, de toute façon, va se faire. Ce devoir de pédagogie, on veut le poursuivre dans la durée », conclut-il. Et même si leurs candidats ou leurs idées ne sont pas pris en compte aux élections, c’est au moins le symbole que quelque chose de fort est en train de se dérouler sur le plan démocratique.

INVENTAIRE NON EXHAUSTIF DES INITIATIVES CITOYENNES POUR RENOUVELER LAMOCRATIE

Les mouvements « généralistes » :

Les mouvements « à candidats » :

Les mouvements « à projets » :

 

Source : https://reporterre.net/Ces-mouvements-citoyens-qui-veulent-renouveler-la-democratie?#