Questions pour un candidat

A l’issue de la conférence internationale sur la course aux armements organisée lundi 23 janvier à l’Assemblée nationale par IDN, le Président de cette association a lu ce document adressé aux candidats à l’élection présidentielle (“Entretien d’embauche pour un poste de président”).

 
Le 7 mai 2017, la France aura un nouveau président. N’en doutons pas, comme lors de l’investiture du Président Trump, la presse ne manquera pas d’écrire sur le fameux moment où les codes nucléaires seront échangés entre le président sortant et le nouvel arrivant.

Ce président va disposer d’un arsenal nucléaire de 300 armes, dont une petite centaine sont déployées de manière permanente à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, une dizaine d’armes étant par ailleurs disponibles immédiatement au sein de la Force aérienne stratégique et éventuellement à bord du porte-avions Charles de Gaulle, si celui-ci est opérationnel…

Une des raisons fortes qui poussa le Général de Gaulle à organiser un référendum (le 28 octobre 1962) pour faire adopter l’élection présidentielle au suffrage universel direct, fut qu’il souhaitait donner au Président la légitimité pour « appuyer sur le bouton nucléaire ». Pierre Messmer justifia ainsi ce modèle électoral : « le chef de l’Etat a seul l’emploi de la force nucléaire stratégique. La conséquence dans un régime démocratique est que le chef de l’Etat doit être l’élu de toute la Nation, qu’il peut plonger dans de terribles épreuves ». Pour disposer de cette force, il doit donc avoir le consentement d’une majorité de la population, qui lui confère ce droit de vie ou de mort. On affirma même alors qu’on était passé d’une monarchie symbolisée par le sacre du roi à Reims, à une monarchie nucléaire symbolisée par la transmission des codes de lancement, au moment de la prise de fonction du nouveau président.

La doctrine officielle (« le Président est le seul à donner l’ordre ultime ») trouve son fondement dans des textes juridiques :

Le décret 64-46 du 14 janvier 1964, « relatif aux forces aériennes stratégiques » fixe la compétence du chef de l’Etat de donner l’ordre d’engagement des forces nucléaires ;
il fut remplacé par le décret 96-520 du 12 juin 1996 « portant détermination des responsabilités concernant les forces nucléaires ». Ce décret donne une place centrale au président de la République qui s’inscrit dans une chaîne hiérarchique.

A l’heure où se dessinent les visages des différents candidats, les premières annonces sur la dissuasion ne reposent sur aucune réflexion, mais sur un discours classique, daté et déconnecté des obligations de désarmement nucléaire, de la réalité stratégique, des besoins de nos militaires.

Il est donc temps d’interpeller sur l’arme nucléaire les candidats au poste le plus important de notre Etat. Reprenant la fameuse expression du journaliste Jean-Jacques Bourdin, voici un petit questionnaire pour un « entretien d’embauche pour un poste de président ».

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« Entretien d’embauche pour un poste de président »

1. Respect du Traité de non-prolifération nucléaire :

La France a réalisé un certain nombre d’actions de désarmement unilatéral et ratifié les différents traités liés à la non-prolifération nucléaire. Mais dans le même temps, elle pratique la politique de la chaise vide en refusant de siéger à un Groupe de travail ouvert sur le désarmement nucléaire en 2016 et de participer en 2017 à une démarche de l’ONU qui interdira les armes nucléaires. Elle poursuit par ailleurs un programme de modernisation de ses arsenaux.

Si vous êtes président, respecterez-vous l’engagement pris par la France en 1992 en ratifiant le Traité de non-prolifération nucléaire et son article 6 : « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace » ?

2. Désarmement nucléaire :

Le président chinois Xi Jinping vient de déclarer à l’ONU, la semaine dernière : « les armes nucléaires devraient être totalement interdites et détruites afin de construire un monde sans armes nucléaires ». Il faut noter que la Chine est la seule des puissances nucléaires reconnues par le TNP qui ne s’est pas opposée à l’ONU à la mise en œuvre d’un processus d’interdiction des armes nucléaires en 2017. Cette déclaration est un message politique clair et positif qui nécessite d’être approfondi et encouragé.

Si vous êtes président, vous engagez-vous à répondre à cette déclaration chinoise et à proposer des mesures concrètes pour avancer vers un monde sans armes nucléaires ?

3. Participation aux processus de désarmement nucléaire de l’ONU :

Le 23 décembre 2016, une très large majorité d’Etats, à l’Assemblée générale de l’ONU, a approuvé la convocation en mars et juin 2017 d’une conférence pour la négociation d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète. Ce traité doit permettre de rendre illégales les armes nucléaires, qui sont les dernières armes de destruction massive à ne pas être interdites par un traité international.

 Si vous êtes président, promettrez-vous d’envoyer des diplomates pour participer à ces négociations sur un traité d’interdiction des armes nucléaires?

4. Non-emploi en premier :

Malgré la fin de la Guerre froide, le risque d’utilisation d’armes nucléaires reste élevé, principalement parce que la doctrine d’emploi de ces armes n’a pas changé. Ainsi, les forces aériennes stratégiques (FAS) sont principalement conservées pour pouvoir appliquer la doctrine dite « d’un avertissement de nature nucléaire », comme l’a expliqué le président Hollande en 2015. Cette doctrine consiste à tirer en premier un missile de croisière nucléaire ASMP-A (doté d’une ogive nucléaire d’une puissance équivalente à 20 fois celle de la bombe d’Hiroshima). Cette frappe nucléaire unique aurait pour objectif de montrer à un adversaire potentiel la détermination de la France à utiliser, si besoin, l’ensemble de ses armes nucléaires. L’objectif serait de « rétablir la dissuasion »…

Si vous êtes président, vous engagez-vous à pratiquer une politique de non-emploi en premier de l’arme nucléaire, permettant de renforcer considérablement la sécurité mondiale et de diminuer les risques d’accident ?

L’auteur

L’association Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN), présidée par Paul Quilès, ancien ministre de la défense, a pour but d’œuvrer à l’élimination progressive et équilibrée des armes nucléaires de la planète, pour contribuer à l’édification d’un monde plus sûr.

Les principaux objectifs d’IDN sont les suivants :

  • montrer que la dissuasion nucléaire ne permet pas d’affronter les menaces du monde d’aujourd’hui, alors que l’importance de son coût réduit notre capacité d’action contre les risques réels ;
  • expliquer pourquoi la France renforcerait son influence diplomatique en jouant un rôle actif dans le processus progressif et simultané de désarmement nucléaire, notamment engagé par le Traité de Non Prolifération nucléaire ;
  • diffuser l’information la plus complète possible sur le rôle et les dangers de l’armement nucléaire dans le nouvel état du monde (livre, film, bande dessinée, site Internet, colloques…) ;
  • organiser un large soutien à cette politique, en relation avec des organisations qui partagent les objectifs d’IDN, en France et à l’étranger (European Leadership Network, Nuclear Threat Initiative, Pugwash….).
  • élaborer des propositions concrètes concernant tous les aspects du processus de désarmement nucléaire.

Le désarmement nucléaire est un enjeu déterminant pour notre pays et pour le monde, qui met en cause la sécurité de la France et des Français.

IDN – Initiatives pour le Désarmement Nucléaire, 23 rue d’Alleray, 75015 Paris
http://www.idn-france.org/               contact@idn-france.org      Twitter : @IDNuc