Pressenza présente en 8 parties la publication « L’Assemblée générale de l’ONU ouvre la porte à un traité d’interdiction des armes nucléaires ». Voici la septième partie : Le reste du monde

Le but est de comprendre :

  • Pourquoi 123 Etats sont arrivés à obtenir la tenue en 2017, d’une conférence ayant pour objectif la négociation d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète.
  • Comment la majorité des Etats, réunit derrière « l’initiative humanitaire », est arrivée à faire voter la résolution L41.
  • Les objectifs de ce futur traité : redynamiser le processus multilatéral sur le désarmement nucléaire ; combler le vide juridique qui entoure les armes nucléaires ; renforcer les normes de non prolifération.
  • Les conséquences sont nombreuses – outre l’interdiction de l’arme nucléaire – les industriels et les banques seront impactés par cette norme, tout comme les Etats non signataires. 

 

Par Jean-Marie Collin, Chercheur associé GRIP – Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité.

Cette publication a été réalisé avec le GRIP (*).

Liens aux parties déjà publiées :

1. L’initiative humanitaire, une approche « étape par étape »

2. La résolution L.41

3. Les objectifs d’un futur traité

4. Les conséquences

5. Les votes des puissances nucléaires

6. Les votes des membres de l’OTAN et des États bénéficiant d’une dissuasion nucléaire élargie

7. Le reste du monde

8. Les pressions diplomatiques

 

7. Le reste du monde

Si l’on observe une carte, on voit que ce sont les États de l’hémisphère sud qui ont voté en faveur de la L.41 ; au nord, seule l’Asie centrale avec quelques États européens ayant fait ce choix.

Sur les 33 États d’Amérique latine et des Caraïbes, 29 ont voté favorablement, deux (Guyana, Nicaragua) se sont abstenus et deux (Honduras, Haïti) ne se sont pas prononcés. Les 4 grandes organisations de ce continent se sont positionnées favorablement pour l’interdiction des armes nucléaires :

La Communauté caribéenne (CARICOM, soit 14 États, dont la Guyana est membre fondateur) : « Le CARICOM est fermement convaincu qu’une interdiction mondiale des armes nucléaires peut contribuer à la réalisation et au maintien d’un monde sans armes nucléaires et appuie donc la recommandation faite à l’Assemblée générale par le OEWG de lancer un processus multilatéral pour la négociation d’un instrument contraignant pour l’interdiction des armes nucléaires en vue de leur élimination totale51. »

L’Organisme pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes (OPANAL) : « nos membres s’attendent à ce que les événements marquant le 50e anniversaire du Traité de Tlatelolco soient plus qu’une célébration. Ils pourraient bien être le tremplin d’une année qui peut apporter des progrès spectaculaires dans notre effort commun pour éliminer la plus grande menace à notre survie52 ».

La Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC) : « La CELAC accueille en outre de manière positive le rapport de la dernière session du OEWG en août dernier, dans lequel ce groupe a recommandé à l’Assemblée générale de convoquer une conférence en 2017 ouverte à tous les États, aux organisations internationales et à la société civile afin de négocier un instrument juridiquement contraignant pour interdire les armes nucléaires, conduisant à leur élimination totale53».

L’Union des nations sud-américaines (UNASUR) : « En ce qui concerne le désarmement nucléaire, l’UNASUR se félicite de la recommandation adoptée par le OEWG pour que la 71e Assemblée générale convoque une conférence en 2017 ouverte à tous les États, aux organisations internationales et à la société civile pour négocier avec eux l’accord le plus large possible d’un instrument juridiquement contraignant pour interdire les armes nucléaires54 ».

Dépositaire de la résolution L.41, le Brésil a souligné (intervention du 17 octobre) que ce processus devait être considéré par le P5 comme s’inscrivant dans leur démarche du « step by step », puisque « ce traité fera partie d’un processus graduel qui commencera par définir des interdictions fondamentales qui seront suivies par des dispositions d’élimination et de vérification ». Une étape juridique qui est nécessaire pour l’Équateur, car cela créera « une base juridique et une norme juridique pour engendrer leur élimination ».

L’Afrique, avec 54 États (soit 28% des membres de l’ONU), s’est positionnée favorablement à la L.41 : « À cet égard, le Groupe se félicite du rapport de l’OEWG chargé d’élaborer des propositions visant à poursuivre les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire55 ». Au total, il y a eu 44 « Oui, 3 abstentions (Mali, Maroc, Soudan) et aucun vote négatif. Relevons que 7 États (Bénin, Djibouti, Liberia, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Seychelles, Sud Soudan) n’ont pas pris part au vote. Il est a priori envisageable que certains de ces États votent « Oui » lors du vote de l’Assemblée générale (décembre 2016), et notamment le Sénégal. Son représentant avait ainsi déclaré lors du Débat général (10 octobre) en Première commission : « Ma délégation se félicite du rapport de l’OEWG, soutient ses recommandations, y compris la convocation d’une conférence des Nations unies en 2017 ». Alors que pour l’Afrique du Sud, ce futur traité d’interdiction fournira une base solide pour conclure de futurs arrangements juridiques pour assurer et maintenir un monde exempt d’armes nucléaires ; le Maroc (son opposé géographique et proche des États-Unis) explique son vote (abstention) par l’absence de consensus (tant sur le rapport de l’OEWG que pour cette résolution), tout en ne rejetant pas ce futur processus. Mais, l’Ambassadeur B. Eloumni semble faire preuve d’un peu plus de sensibilité pour l’approche du P5, celle du « step by step », si l’on en croit sa remarque (27 octobre) « Nous demeurons attachés à l’élimination totale des armes nucléaires par un processus complet mais patient et efficace »…

Le positionnement des États de la zone exempte d’arme nucléaire d’Asie centrale est également éclaté entre deux votes pour (Turkménistan, Kazakhstan), deux votes d’abstention (Kirghizstan, Ouzbékistan) et une absence de positionnement pour le Tadjikistan. Remarquons aussi l’absence de vote de la Mongolie, seul État au monde reconnu comme État exempt d’arme nucléaire par le P5.

L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) est le seul groupe régional dont tous les membres ont voté « Oui », démontrant une forte solidité de groupe, une poursuite du soutien aux recommandations émises par le OEWG et une volonté de mettre un terme à la paralysie globale : « Nous avons le choix soit de faire avancer collectivement les mécanismes pour le plus grand bien de l’humanité, soit de rester dans l’impasse en l’absence de volonté politique, ce qui risque de nuire à l’humanité56. » La Malaisie, qui est l’un des principaux acteurs de ce groupe, a souhaité bien faire entendre (intervention du 11 octobre) que ce processus va permettre de « renforcer l’engagement en faveur du désarmement nucléaire prévu à l’article VI du Traité, tout en soutenant le pilier non-prolifération du Traité. Par conséquent, les arguments et les craintes que le processus mine le TNP sont injustifiés et infondés ».

Parmi les européens, non membres de l’OTAN, les votes positifs de l’Autriche et de l’Irlande sont peu surprenants au vu de leurs engagements passés. On note en revanche chez les micros États une division nette entre les « Oui » (Lichtenstein, San Marin, Malte) et les « Non » (Andorre, Luxembourg, Monaco). Si le Vatican pouvait voter, on sait qu’il aurait approuvé cette résolution, vu son intervention (11 octobre, débat général), qui relève la recommandation n° 67 établie par le OEWG et souligne que « nous devons travailler instamment et sans relâche pour trouver le chemin juridique à l’élimination de toutes les armes nucléaires ».

L’éclatement de la Scandinavie est une spécificité européenne. Trois États (Norvège, Suède, Finlande), trois votes différents : Non, oui, abstention.

L’opposition Norvégienne est récente, la Norvège ayant lancé « l’Initiative humanitaire » avec la première conférence humanitaire en 2013. Mais, ce refus est sans doute « obligatoire » comme membre de l’OTAN. Oslo pense aussi que sans la participation des États nucléaires, ces négociations n’auront pas d’impact.

La Suède a largement fait évoluer sa position, depuis la nomination de M. Wallström, comme ministre des Affaires étrangères. Elle a fait savoir que son vote devait se placer dans un contexte plus large, celui à la fois de la détérioration de la sécurité et de l’impasse existante dans le désarmement nucléaire. Elle ajoute qu’étant « favorables à toute mesure légale efficace qui ferait une différence, conduisant à un désarmement efficace […] nous croyons que nous avons l’obligation d’essayer, conscients des défis que cela implique ». Un vote qui résonne comme une volonté de ne fermer aucun processus. Si l’on étend l’analyse l’ensemble des pays nordiques, le Danemark et l’Islande, membre de l’OTAN, ont voté « Non ». Mais la déclaration (17 octobre) de l’ambassadeur islandais faite au nom de ces 5 États, souligne le travail réalisé à l’OEWG : « Malgré le manque d’accord, les délibérations du Groupe de travail ont montré un ferme engagement faire progresser le désarmement nucléaire57. »

  1. « U.S, Japan oppose and China abstains as U.N. votes to launch talks on nuclear arms ban », Japan Times, 28 octobre 2016.
  1. Intervention de Trinidad et Tobago au nom du CARICOM, 3 octobre 2016.
  1. Intervention du Secrétaire General de l’OPANAL, 11 octobre 2016.
  1. Intervention de la République dominicaine au nom de la CELAC, 7 octobre 2016.
  1. Intervention de la République de Bolivie au nom de l’UNASUR, 13 octobre 2016.
  1. Intervention du Nigéria au nom du Groupe Afrique.
  1. La République d’Indonésie au nom de l’ASEAN, 26 octobre, 2016.
  1. Explication de vote de la Suède sur la résolution L.41, 27 octobre 2016.

 

(*) Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est un centre de recherche indépendant fondé à Bruxelles en 1979.

Composé de vingt membres permanents et d’un vaste réseau de chercheurs associés, en Belgique et à l’étranger, le GRIP dispose d’une expertise reconnue sur les questions d’armement et de désarmement (production, législation, contrôle des transferts, non-prolifération), la prévention et la gestion des conflits (en particulier sur le continent africain), l’intégration européenne en matière de défense et de sécurité, et les enjeux stratégiques asiatiques.
En tant qu’éditeur, ses nombreuses publications renforcent cette démarche de diffusion de l’information.

En 1990, le GRIP a été désigné « Messager de la Paix » par le Secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez de Cuéllar, en reconnaissance de « Sa contribution précieuse à l’action menée en faveur de la paix ».