À en croire les déclarations de la Commission Européenne et des dirigeants du Canada, le CETA serait bon pour l’emploi, le climat, la démocratie, les services publics, et notre santé… Vraiment ?

1. CETA : Bon pour l’emploi !

Plus d’emplois ? Vraiment ?

Article 23.1 du traité : « Les Parties […] reconnaissent la contribution que pourrait apporter le commerce international au plein emploi productif »

La rédaction est au conditionnel. Et pour cause !

  • Une étude académique, celle de la Tufts University, évalue à 200 000 le nombre d’emplois perdus en Europe (et 45 000 en France) à cause du CETA.
  • Aucun accord de libre-échange n’a jamais permis le développement de l’emploi. Le bilan de l’ALENA est éloquent : les pertes d’emplois estimées aux États-Unis et au Canada dépassent le million. Au Mexique, l’agriculture paysanne a été laminée par cette vaste mise en concurrence : ce sont au moins quatre millions d’emplois qui sont estimés perdus du fait de l’ALENA et alors que la population est passée de 85 à 125 millions le nombre d’emplois est resté quasiment identique à celui de 1994.
  • Un accord de libre-échange entre deux régions du monde économiquement autosuffisantes aboutit non pas à une hausse des emplois mais à une modification de la répartition des parts de production et de marché en faveur des entreprises les plus puissantes. Il donne alors lieu à des fusions/absorptions, des économies d’échelle et occasionne donc chômage et délocalisations.

Pas de dumping social ? Vraiment ?

Art. 23.4.1 du traité : « Les Parties reconnaissent qu’il ne convient pas de stimuler le commerce ou l’investissement par l’affaiblissement ou la réduction des niveaux de protection prévus par leur droit et leurs normes en matière de travail. »

Mais aucun dispositif contraignant n’est prévu à cet égard. Or, contrairement à ce qui est avancé par la théorie économique classique (Ricardo) selon laquelle toute région du monde a intérêt à ouvrir ses frontières pour libéraliser ses échanges commerciaux, une mise en concurrence des entreprises aboutit à une fuite des capitaux et des investissements là où le poids de la fiscalité et les cotisations sociales sont les plus faibles… conduisant à un dumping social et fiscal généralisé.

Art. 23.3.4 du traité : « Chaque Partie réaffirme son engagement à mettre effectivement en œuvre, dans son droit et ses pratiques et sur l’ensemble de son territoire, les conventions fondamentales de l’OIT que le Canada et les États membres de l’Union européenne ont ratifiées respectivement »

En droit, « réaffirmer son engagement » n’a jamais signifié mettre effectivement en œuvre. Et là non plus, aucun mécanisme contraignant n’est prévu.

Bénéfique pour les PME ? Vraiment ?

Art. 13 de l’Instrument interprétatif conjoint : « Le CETA est également bénéfique pour les PME »

Les PME subiront de plein fouet la concurrence de transnationales bien plus aguerries dans un contexte de concurrence exacerbée. Elles devront pour survivre s’adapter très vite à des normes nouvellement imposées, avec des coûts humains et financiers qui pourront s’avérer rédhibitoires. Par contre, les marchés nouvellement ouverts aux exportations ne leur profiteront guère, les transnationales étant là encore bien mieux placées pour capter ces opportunités.

Art. 13 de l’Instrument interprétatif conjoint : le CETA étend « grandement l’accès des PME aux marchés publics au niveau de gouvernements central, provincial/régional et local »

Ce sont avant tout les transnationales, de droit européen ou canadien, qui pourront profiter de ces nouvelles opportunités offertes par cette plus grande ouverture des marchés publics. Ceci confirme et grave dans le marbre une impossibilité de préférer les producteurs régionaux dans un appel d’offres public, condamnant ainsi toute relocalisation des activités par ce biais. Ceci d’autant plus que les collectivités, dans un contexte d’austérité budgétaire forte, vont continuellement favoriser la concurrence accrue pour réduire le plus possible les coûts, sans prendre en compte des dimensions sociales et écologiques indispensables !

2. Un « nouveau » mécanisme d’arbitrage, moins dangereux que l’ISDS ?

« Le vieux mécanisme d’arbitrage a disparu du CETA » ( Matthias Fekl, Secrétaire d’État au commerce extérieur). Matthias Fekl va même jusqu’à dire que les membres de l’ICS seront « comme des magistrats ». Pour preuve, dit-il, « des règles strictes sont prévues dans l’accord qui leur interdit le conflit d’intérêts ». (France Inter, Le téléphone sonne, 24 avril 2016).

Article 8-30 du traité : « Les membres du Tribunal sont indépendants. Ils n’ont d’attache avec aucun gouvernement. Ils ne suivent les instructions d’aucune organisation ou d’aucun gouvernement en ce qui concerne les questions liées au différend. »

Cette obligation est cependant dépourvue de toute sanction. Dans l’article 8-30 du traité, comme dans l’instrument interprétatif conjoint, aucune sanction n’est prévue si des membres de l’ICS pratiquent le conflit d’intérêts. Ils peuvent être retirés du groupe d’arbitres chargé de trancher le conflit à la demande d’une Partie (art 8-30-3), si toutefois celle-ci s’aperçoit du conflit d’intérêts. C’est tout. Donc, il ne s’agit pas de magistrats. Un magistrat, un vrai, est soumis à un statut qui le contraint à spontanément refuser de juger une affaire où il connaît un conflit d’intérêt direct ou indirect. S’il omet de se soumettre à cette obligation, il risque la destitution et des poursuites pénales. Rien de tel ici.

D’ailleurs, le sens du conflit d’intérêts des arbitres est en général fort élastique. Un exemple parmi des centaines : en 2007, le CIRDI donne finalement tort à l’Argentine d’avoir rompu avec Vivendi un contrat portant sur le réseau d’eau de Tucuman, la condamnant à payer 105 millions de dollars. En 2010, l’Argentine a demandé l’annulation de ce jugement, estimant que la composition du panel de trois arbitres n’était pas impartiale, soulignant que l’arbitre suisse, en l’occurrence Madame Gabrielle Kaufmann-Kohler, était membre du directoire de la banque suisse UBS actionnaire de Vivendi. Le Comité d’annulation du CIRDI n’a pas vu de problème …

En outre, le traité n’interdit pas aux membres de l’ICS d’avoir des activités de conseil et de courtage juridique avant leur nomination, ni de les poursuivre ensuite. Où a-t-on vu des magistrats, des vrais, conseiller des particuliers sur leurs chances d’obtenir des décisions de justice qui leur soient favorables pour peu qu’ils suivent leurs conseils (rémunérés) ?

Composition et nature de l’ICS

Art 8-27-4 du traité : « Les membres du Tribunal possèdent les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour la nomination à des fonctions judiciaires, ou sont des juristes possédant des compétences reconnues. Ils auront fait la preuve de leurs connaissances spécialisées en droit international public. Il est souhaitable qu’ils possèdent des connaissances spécialisées plus particulièrement dans les domaines du droit de l’investissement international, du droit commercial international et du règlement des différends découlant d’accords internationaux en matière d’investissement ou d’accords commerciaux internationaux. »

On se demande : Qui, avec un tel profilage, pourrait bien être nommé, en dehors des habituels arbitres ?
Seule réponse du Conseil européen du 30 octobre qui a décidé de la signature du CETA : les États membres feront des propositions pour la moitié des membres de l’ICS. Nous voilà bien avancés !

Art 8-23-14 du traité : « À moins que le Comité mixte de l’AECG n’adopte une décision en vertu du paragraphe 15, les montants des honoraires et frais des membres du Tribunal qui siègent dans une division constituée pour instruire une plainte, autres que la rétribution visée au paragraphe 12, sont ceux déterminés conformément à l’article 14(1) du Règlement administratif et financier de la Convention du CIRDI en vigueur à la date du dépôt de la plainte, et sont répartis par le Tribunal entre les parties au différend conformément à l’article 8.39.5. »

En langage compréhensible, cela veut dire que les membres de l’ICS seront payés comme des arbitres : dés lors qu’ils seront désignés pour trancher un cas, les règles du CIRDI s’appliquent. Le CIRDI, c’est le Centre international des règlements des différends sur l’investissement, un des trois grands organes mondiaux d’arbitrage. Ce n’est que lorsqu’ils ne travailleront pas qu’ils toucheront une indemnité d’attente (art 8-23-12). Des arbitres payés comme… des arbitres, et c’est le texte du CETA lui-même qui le dit !

Nous prendrait-on pour des benêts à essayer de nous faire croire qu’il s’agira d’une Cour publique composée de magistrats, d’un tribunal au sens où le commun des mortels l’entend ? L’ICS c’est tout au plus une instance arbitrale permanente. Qu’une « cour » d’appel fonctionnant sur les mêmes bases soit instituée ne change rien à l’affaire.
Ceci a amené l’Association européenne de juges (représentant 44 associations nationales de juges) et l’Association allemande de juges (représentant 16 000 juges allemands et procureurs) à mettre en cause la compatibilité de l’ICS avec la législation de l’Union européenne.

Un code de bonne conduite futur ?

Seule réponse du Conseil européen pour faire face aux critiques (déclaration du 26 octobre) : la mise sur pied d’un Code de bonne conduite par la Commission européenne et le Canada. Plus tard, après la mise en route du CETA et si le Canada est d’accord, sur une base inconnue dont on a tout lieu de craindre qu’elle accouchera d’une coquille vide, une de plus.

C’est faire aveuglément confiance dans le sens de l’éthique d’une Commission dont les membres ne voient aucun mal à ce que José Manuel Barroso cumule ses indemnités de retraites en tant qu’ex-président de la Commission européenne avec son nouveau salaire chez Goldman Sachs.

3. Coopération réglementaire

Art 21-3 du traité : « La coopération en matière de réglementation vise les objectifs suivants : (…) b) instaurer la confiance, approfondir la compréhension réciproque de la gouvernance réglementaire et tirer partie de l’expertise et des points de vue respectifs (…) ; c) faciliter le commerce et l’investissement bilatéraux d’une façon qui (…) : (i) met à profit les arrangements de coopération existant ; (ii) réduit les différences inutiles entre les réglementations ; (…) »

Art. 3 de l’Instrument interprétatif conjoint : « L’AECG offre au Canada et à l’Union européenne et ses États membres une plate-forme visant à faciliter la coopération entre leurs autorités de réglementation …  »

La coopération réglementaire : un organe de gouvernance …

Au delà du terme pudique de « plate-forme » introduit par l’Instrument interprétatif conjoint, il s’agit de la mise en place d’un organe : le « Forum de coopération réglementaire » (FCR). Cet organe, non élu et soumis à aucun contrôle démocratique, sera constitué de « hauts fonctionnaires « nommés par la Commission européenne et par le gouvernement du Canada. C’est une première dans l’histoire du libre-échange et cela rend d’autant moins admissible l’absence de débat sur le CETA.

À l’avenir, dès lors qu’une réglementation envisagée pourrait avoir un impact potentiel sur le commerce et l’investissement, c’est-à-dire toutes, le FCR devra en être systématiquement informé et donner son avis. Les réglementations futures devront se baser sur « le cas échéant, une base scientifique commune » (art 21-4-n-IV) et « contribuer à l’amélioration de la compétitivité et de l’efficacité de l’industrie » (art 21-3-d)

… taillé sur mesure pour les lobbys

Art. 21.8 du traité : « Afin de connaître les points de vue d’entités non gouvernementales sur des questions ayant trait à la mise en œuvre du présent chapitre, chaque Partie ou les Parties peuvent consulter, s’il y a lieu, les parties prenantes et les parties intéressées, y compris des représentants du milieu universitaire, de groupes de réflexion, d’organisations non gouvernementales, des milieux d’affaires, des consommateurs et d’autres organisations. Ces consultations peuvent être menées par tout moyen que la ou les Parties jugent approprié ».

Une réglementation environnementale, sociale ou de protection des consommateurs est envisagée ? Le FCR demandera alors l’avis des secteurs économiques de l’autre côté de l’Atlantique, notamment des lobbys d’affaires. Ceux-ci pénétraient déjà le processus de décision publique, dorénavant ils seront directement associés à la rédaction d’une réglementation dés son origine. D’ailleurs, le FCR faisait partie des demandes jugées cruciales par les lobbies d’affaires.
Cette participation des lobbies d’affaires au FCR sera hautement facilitée par le fait que la carrière de ces hauts fonctionnaires se déroule indifféremment dans les secteurs public ou privé et, comme pour tous les comités d’experts mis en place par la Commission européenne, le conflit d’intérêt sera généralisé.
L’alibi de la présence de quelques organisations syndicales, de protection de l’environnement et du consommateur au sein du FCR ne tient pas : elles ne pèseront pas plus qu’elles ne pèsent aujourd’hui à Bruxelles dans le cadre de l’UE, car elles seront noyées dans la masse, ne disposant pas des énormes moyens des lobbys d’affaire, financiers, relationnels et d’influence.

La coopération réglementaire optionnelle ? Vraiment ?

Art 21.2.6 du traité : « Les Parties peuvent entreprendre des activités de coopération en matière de réglementation sur une base volontaire. «

Certes, mais à qui fera-t-on croire que la Commission européenne ne s’engagera pas systématiquement dans la coopération réglementaire, dés que les feux des projecteurs ne seront plus sur le CETA ?

Sous le sabir du langage technocratique de la « bonne gouvernance », la réalité c’est la captation de la décision publique par les lobbies d’affaires.

Coopération réglementaire un vecteur pour l’interconnexion CETA-TAFTA. Assurément !

Art. 21.6.3 du traité : « Les Parties peuvent, par consentement mutuel, inviter d’autres parties intéressées à participer aux réunions du FCR »

Le profil de ces « autres parties » n’est pas difficile à imaginer quand on connaît l’intrication des économies du Canada et des États-Unis.

Reconnaissance mutuelle des normes

Art. 21.3 du traité : « … d) vise à assurer la compatibilité des approches réglementaires, y compris, si cela est possible et approprié, par : … B) la reconnaissance de l’équivalence ou la promotion de la convergence »

Art. 21.4 du traité : « … g) examiner les occasions de réduire au minimum les différences inutiles entre les réglementations, par des moyens consistant notamment à : … ii) parvenir à une solution harmonisée, équivalente ou compatible, iii) envisager la reconnaissance mutuelle dans des cas particuliers ; … »

En complément, la reconnaissance mutuelle des normes autorise la libre circulation des biens matériels et services même si les normes ne sont pas les mêmes des deux cotés de l’Atlantique : pour rester compétitives, les entreprises de droit européen soumises à la concurrence de productions réalisées à bas-coûts réclameront et obtiendront de leur législateur l’harmonisation des normes, nécessairement vers le bas.

4. Les politiques publiques

Droit à réglementer non garanti

Article 4.4 du traité : « Les Parties s’engagent à coopérer (…) pour faire en sorte que leurs règlements techniques soient compatibles entre eux. »

Jusqu’alors les réglementations en vigueur n’empêchaient aucunement le Canada d’être parmi les partenaires commerciaux privilégiés de l’Union Européenne, et réciproquement. Par exemple, le Canada est le second exportateur de céréales vers l’Union Européenne depuis de nombreuses années. En voulant favoriser la compatibilité on réduit nécessairement la capacité des États à adopter des réglementations spécifiques.

Avec l’accès au marché, la reconnaissance mutuelle des normes, la convergence réglementaire, le mécanisme d’arbitrage, cet accord est d’abord un accord qui vise à ouvrir certains marchés qui échappent encore à la voracité des entreprises transnationales (courrier, santé, …), mais aussi à faire en sorte que les différences réglementaires entre les territoires soient arasées.

Or, les choix réglementaires traduisent toujours des choix politiques : quelle protection de l’environnement, quels choix sociaux (en matière agricole, de protection du consommateur), quels choix politiques (transition énergétique ou pas) voulons nous ? Les « règlements techniques » sont la traduction concrète de ces choix.

Certes, il n’est pas directement interdit à un gouvernement de réglementer dans son pays mais en revanche, des pressions encore plus fortes que celles actuellement à l’œuvre entre les lobbys de Bruxelles et les législateurs verront le jour grâce aux dispositifs de coopération réglementaire. Ces derniers, en associant les lobbys à leur processus leur permettent de peser directement sur les législateurs et leurs décisions.

De plus, pas crainte de se retrouver confrontés au mécanisme d’arbitrage Investisseur-État, les gouvernements réfléchiront à deux fois avant d’adopter des mesures de restriction, limitation ou régulation.

Accès au marché

Article 8.4 du traité : « Une Partie n’adopte ni ne maintient, en ce qui concerne l’accès aux marchés (…), de mesure qui (…) impose des limitations concernant : le nombre d’entreprises (…) la valeur totale des transactions ou des actifs (…) le nombre total d’opérations ou la quantité totale produite (…) la participation de capital étranger ».


Cette disposition pose explicitement l’incapacité des États à pouvoir réglementer et leur impose clairement d’ouvrir leurs marchés sans limite.

La réglementation de chaque État devra assurer le même traitement à toute entreprise qu’elle relève de son droit ou du droit de l’autre Partie (clause du « traitement national’)

Certes dans l’article 8.9(1) est dressé une liste des secteurs pour lesquels un État garde sa capacité à mettre en œuvre ses propres dispositions législatives concernant

 » la protection et la promotion de la santé publique, des services sociaux, de l’éducation publique, de la sécurité, de l’environnement et de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, la protection des données et de la vie privée, ainsi que la promotion de la diversité culturelle ».

Bien que cette liste connaît de nombreux manques notamment sur le droit du travail ou encore sur la fiscalité, sa principale dangerosité réside dans le fait qu’aucun de ces secteurs ne sera exclu des potentiels contentieux à arbitrer. Et c’est bien cela le vrai danger ! En refusant de sanctuariser ces secteurs, la capacité des investisseurs à remettre en cause des décisions publiques est à nouveau renforcée.

Commerce et normes environnementales et sanitaires

Art 5.2 du traité – b) : les Parties s’engagent à « faire en sorte que les mesures sanitaires et phytosanitaires (« SPS ») des Parties ne créent pas d’obstacles injustifiés au commerce »

Ainsi, une mesure jugée comme « obstacle au commerce » pourra être dénoncée en vertu de l’accord, ce qui remet frontalement en cause le droit de réglementer. En instaurant le mécanisme de coopération réglementaire sur la question des normes sanitaires et alimentaires, le CETA permet aux lobbys agro-industriels d’organiser la décomposition progressive des mécanismes de protection et de restriction.
Par exemple, les pratiques de limitation d’utilisation de certains pesticides, pourront être perçus comme des « obstacles injustifiés au commerce » et ainsi être remis en cause via le système juridictionnel sur les investissements.

Art 5-4 du traité : « les Parties confirment leurs droits et obligations au titre de l’Accord SPS ».

Ce court article semble anodin, il a en réalité une grande conséquence : l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires de l’OMC s’applique. C’est au titre de l’application de ce texte que le Canada a obtenu la condamnation de l’Union européenne en 1998 parce qu’elle refusait l’importation du bœuf aux hormones. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’UE sera amenée à accepter ce qu’aujourd’hui ses dirigeants affirment hypocritement refuser.

5. Services publics menacés

Article 15.3 : « Une Partie fait en sorte que les entreprises de l’autre Partie se voient accorder l’accès aux réseaux ou services publics de transport des télécommunications et l’usage de ces réseaux (…)

 

  • Chaque Partie fait en sorte que les entreprises de l’autre Partie aient accès à tout réseau ou service public de transport des télécommunications offert à l’intérieur ou au delà de ses frontières, y compris les circuits loués privés, et en aient l’usage. »

Alors qu’ils sont déjà largement battus en brèche, le CETA ouvre les services publics à la concurrence aux entreprises de droit canadien.
La clause du traitement national (voir § accès au marché) se heurte frontalement à la notion de services publics bénéficiant de subventions.

L’originalité du CETA réside dans le fait que la libéralisation qu’il prévoit est basée sur le principe d’une « liste négative ». Pour être exclu de l’ouverture au secteur privé, ou pour pouvoir revenir en gestion publique, tout secteur ou sous-secteur doit être mentionné sur une liste d’exceptions.
A titre d’exemple, la France n’a formulé comme seule réserve à l’ouverture des trois niveaux d’éducation que la vérification des compétences des enseignants fournis par les entreprises d’éducation canadienne s’installant en France. C’est pour le moins léger.

Quoique l’Instrument interprétatif conjoint stipule que l’accord ne pourra empêcher à un État de remettre sous gestion publique un service privatisé, aucune garantie n’y est décrite. En cas de conflit entre une collectivité voulant remettre un service en gestion publique et l’entreprise privée ainsi écartée, c’est la jurisprudence de l’ICS qui tranchera : de quoi être inquiet !

Satisfaction des grandes entreprises prestataires de services

Les fédérations des industries prestataires de services européens et canadiens ne s’y trompent pas : « La coalition euro-canadienne des industriels prestataires de services est convaincue que cet accord marque un grand succès pour l’avenir des politiques commerciales du Canada et de l’UE » (European Services Forum & Canadian Services Coalition).
Cette coalition compte parmi ses membres le MEDEF, et des entreprises comme HSBC ou DHL qui ont à coup sûr une grande volonté de préserver les services publics !

6. Agriculture et alimentation

Ce qui est dit : le CETA « sauve » les indications géographiques protégées

Annexe 20-A du traité : une liste d’IGP est fournie.
179 dénominations de l’Union européenne sont « sauvées » dont 42 dénominations françaises. Compte tenu de la redondance des dénominations, 31 dénominations françaises sont concernées, soit 24 appellations d’origine protégée sur 99 et 7 indications géographiques protégées sur plus d’une centaine.

Mais la question des appellations d’origine n’est en rien une question centrale :

  • même sans le CETA, la situation de droit actuelle ne permet pas que soient vendus sur les marchés européens des produits comportant les noms des Appellations d’origine.
  • la part du marché canadien dans l’exportation des AOP/IGP française est très modeste rapportée à celles des autres marchés (UE, États-Unis, reste du monde)
  • fondamentalement, les AOP et IGP n’ont pas vocation à nourrir le monde. Elles sont issues d’un savoir-faire local, d’une aire géographique. De ce fait, leur production est vouée à être limitée. Si on veut exporter plus, il faudrait intensifier et industrialiser la filière et/ou en élargir la zone de production, c’est à dire dénaturer le cahier des charges, à l’encontre même de ce que sont ces appellations.

Ce qui n’est pas dit : ouverture des marchés, concurrence, augmentation des quotas d’importations

Ouverture des marchés :
chapitre 2 relatif à l’accès au marché ;
annexe 2A : calendrier détaillé de suppression/allègement des droits de douane par produit.

La quasi-totalité des suppressions de tarifs douaniers interviendra à l’entrée en vigueur de l’accord. Une petite minorité sera progressivement démantelée sur des périodes allant de 3, 5 et 7 ans en fonction des produits. Le reste fera l’objet soit d’une protection totale ou de contingents tarifaires qui seront mis en place de façon progressive, sur 5 ans.

Annexe 2A du traité
L’UE s’engage à des quotas d’importation sur la viande bovine et porcine :
Bovins : 65 000 tonnes annuelles de viande de bovins entrant en plus sur le territoire de l’UE.
Porc : 75 000 tonnes de viande de porc, d’ici 7 ans.

Ces quantités représentent respectivement 0,8% et 0,4% de la production européenne. Ces chiffres a priori modestes sont en fait suffisants pour déstabiliser encore davantage, via la guerre des prix qu’ils déclenchent, des filières déjà à la limite de la rentabilité et qui risquent ainsi d’être délocalisées et/ou supprimées : outre que le défaut britannique dû au Brexit entraînera une hausse de 40% des importations pour les 27 autres pays de l’UE, les importations canadiennes seront concentrées sur les morceaux à haute valeur ajoutée soit 16,2% de la production européenne.

Conséquences prévisibles : pertes d’emplois, concentrations pour résister à la concurrence, exigence des producteurs de s’aligner sur les normes sanitaires canadiennes ; en somme, toujours plus de productions de mauvaises qualité dans des conditions sanitaires et sociales déplorables, sur fond de réglementation de plus en plus laxiste dans la protection de l’environnement.

Cette situation est définitive

Article 2-7 du traité : « Dés l’entrée en vigueur de l’Accord, une Partie ne doit pas augmenter les droits de douanes existants au moment de cette entrée en vigueur ou adopter de nouveaux droits de douanes sur les marchandises en provenance de l’autre partie «

Les clauses de sauvegarde prévues dans l’accord et réaffirmées comme telles dans les Déclarations du 26 octobre demeurent insuffisantes : les articles 3-4 et 28-3 du traité prévoient l’autorisation de restrictions aux importations en cas de risque sanitaire, environnemental ou de sécurité publique et un mécanisme de sauvegarde spéciale en cas de risque majeur de déstabilisation sur un segment de marché. Or, par définition, les clauses de sauvegarde d’un accord ne sont à utiliser qu’en cas de crise grave, exceptionnelle et prouvée sur critères technocratiques. Elles ne sont pas des instruments d’une politique permanente et donc ne sauraient répondre aux problèmes de fond que pose l’ouverture des marchés à la concurrence.

Ce qui n’est pas non plus dit : OGM, traitement chimique des viandes etc.

Article 5.2 du traité : « Les objectifs de ce chapitre sont :
(a) protéger la vie ou la santé humaine, animale et végétale dés lors que cela facilite le commerce ; (b) s’assurer que les mesures sanitaires et phytosanitaires prises par les parties ne créent pas de barrières injustifiées au commerce ;
(c) assurer la mise en œuvre de l’accord sanitaire et phytosanitaire de l’OMC.
 »

Donc, les réglementations de protection de la vie et de la santé humaine, animale et végétale sont acceptés à la condition que cela facilite le commerce et qu’aucune mesure de protection ne constitue une « barrière injustifiée » au commerce. C’est affirmer clairement une hiérarchie : d’abord le commerce, ensuite la protection de la santé de la population … !
Le Canada étant le 5e producteur mondial d’OGM, le lobby canadien Soy Canada réclame déjà, en s’appuyant sur le traité, l’introduction de 5 OGM !

Rappelons par ailleurs que le Canada a déjà obtenu en 1998, avec les États-Unis, la condamnation de l’Union européenne parce qu’elle refusait l’importation du bœuf aux hormones. C’était dans le cadre de l’OMC et de son accord sanitaire et phytosanitaire, accord intégré par l’article 5-2 du traité. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la viande traitée aux hormones arrivera dans nos assiettes.

7. Climat & environnement

Un maintien d’un niveau élevé de protection de l’environnement ? Vraiment ?

Art. 9, Instrument interprétatif conjoint : « Aux termes de l’AECG, l’Union européenne et ses États membres ainsi que le Canada sont tenus d’assurer et d’encourager des niveaux élevés de protection de l’environnement, et de s’efforcer d’améliorer continuellement leur législation et leurs politiques en la matière de même que les niveaux de protection sur lesquels elles reposent.  »

Il est exact que cela est dans le texte même de l’accord. Le problème est qu’aucun dispositif contraignant n’y est prévu pour s’en assurer …
Par contre les dispositifs contraignants du cœur de l’accord qui libéralisent commerce et investissement ne seront pas sans conséquence graves sur le climat et l’environnement. Notamment :

  • CETA amplifiera l’extraction et la consommation des énergies fossiles polluantes, comme le pétrole extrait des sables bitumineux en Alberta,
  • CETA favorisera encore plus la main-mise de l’agro-business (voir § agriculture)
  • CETA fera croître les transports transatlantiques de nombreux biens auparavant produits et consommés du même coté de l’Atlantique, dans le pays producteur, voire localement (voir § emploi et travail).

CETA sera donc un booster pour l’extractivisme, l’agro-business, les transports de marchandises et les pollutions qui s’ensuivent.

Quant au « Comité sur le commerce et le développement durable » institué par le CETA, il ne rassure pas plus que ne rassure le FCR et les autres comités du traités. Pour les mêmes raisons : non indépendance et conflits d’intérêts des experts, poids des lobbys d’affaire.

CETA en contradiction complète avec l’Accord de Paris

Art. 9, Instrument Interprétatif conjoint : « … la mise en œuvre de l’Accord de Paris constituera une importante responsabilité partagée de l’Union européenne et de ses États membres ainsi que du Canada  »

La division internationale des activités (encore une fois économiquement non nécessaire puisque concernant deux grandes régions du monde auto-suffisantes) dopée par CETA entraînera une production accrue de gaz à effet de serre.
Au-delà de déclarations d’intention non contraignantes, sur ce thème comme sur les autres, mais utiles pour vendre le CETA, une contradiction totale avec l’Accord de Paris, pourtant ratifié avant par l’Union Européenne et par la France … !

L’arbitrage de l’ICS et l’organe de convergence réglementaire seront un puissant frein à la mise en œuvre des mesures nécessaires à la transition énergétique et écologique qu’il faudrait pourtant audacieuses . Toujours l’incohérence avec l’Accord de Paris.

Le « donneur d’ordre » : les transnationales

Corollaire de la justification par le PIB et l’emploi, CETA permettrait à « nos entreprises », aux « entreprises françaises », de pouvoir prospérer. En fait d’entreprises concernées, seules les transnationales y ont effectivement intérêt (voir § PME) et ce sûrement pas dans un sens donnant plus d’emploi (voir § Emploi). Logiquement du reste, toutes les transnationales « françaises » se sont chaudement félicitées dès la signature du CETA le 30 octobre.

Mais les qualifier de « françaises » est-il vraiment justifié ?
La nationalité d’une entreprise en terme d’apport à la « richesse nationale » peut se mesurer selon trois critères essentiels : la composition et la nature de son actionnariat, sa contribution à l’imposition, l’implantation de ses établissements, les deux premiers critères déterminant où va le surproduit, le troisième où sont versés les salaires.

Pour ce qui est de l’imposition des transnationales, il est de notoriété publique qu’elles sont les championnes de l’optimisation et de l’évasion fiscales, y compris via les paradis fiscaux. C’est aussi le cas de ses actionnaires individuels principaux.

Pour ce qui est de la composition de l’actionnariat et l’implantation des établissements (dont la multiplication à travers le monde est favorisé par ce type d’accord), quelques exemples d’entreprises de différents secteurs et dont le commun des mortels pense qu’elles sont « françaises » :

  • Total : actionnariat complètement internationalisé avec 87,1 % pour les « investisseurs institutionnels » (eux-mêmes souvent internationalisés) dont 16,2 % en France, 12,0 % au Royaume Uni, 18,3 % dans le reste de l’Europe, 32,1 % en Amérique du Nord et 8,5 % dans le reste du monde ; établissements : 100.000 collaborateurs dans 130 pays.
  • Vinci : idem avec avec76,1 % pour les « investisseurs institutionnels » dont 16,5 % en France, 19,0 % aux États-Unis, 12,1 % au Royaume Uni, 18,2 % dans le reste de l’Europe, 32,1 % en Amérique du Nord, 4,0 % pour Quatari LLC et 6,3, % dans le reste du monde ; établissements : 185.000 collaborateurs dans 113 pays.
  • Sodexo : 61,5 % pour les « investisseurs institutionnels » dont 47,2 % basés à l’étranger (en intégrant les 18,5 % de Sofinsod dans les 37,71 % de Bellon SA), 420.000 collaborateurs dans 80 pays.
  • Veolia : hormis la Caisse des Dépots et Consignation (4,62 %) et Dassault (4,76%), les salariés (1,1%) et des actionnaires individuels (10,9%), un actionnariat très divisé et très internationalisé d’investisseurs institutionnels et de fonds de pension emmené par Quatar investment Authority (4,63%) avec présence chinoise remarquable ; 173.000 collaborateurs sur les 5 continents (21 % de salariés en France).
  • Carrefour : Galfa (famille Moulin) : 10,06 %, sociétés du groupe Arnault (Blue Partners, Cervinia, Europe, Bunt) basées au Luxembourg : 13,82 %, auto-détention : 1,07 %, salariés : 1 % ; fonds de pension et sociétés d’investissements et public (74,07%) ; 380.000 collaborateurs (environ 25 % en France) dans 35 pays
  • BNP : investisseurs institutionnels européens : 44,9%, investisseurs institutionnels hors Europe : 25,8%, SFPI (holding belge) : 10,3% ; Blackrock Inc. (US) : 5,1% ; Grand Duché du Luxembourg : 1,0%, Salariés (4,9%), actionnaires individuels : 4,4% ; autres : 3,6% ; 189.000 collaborateurs sur 5 continents (31% en France)

Alors des « entreprises françaises », vraiment ? Ou plutôt des entreprises transnationales, justement, qui vu leur force s’affranchissent toujours plus des États et souhaitent institutionnaliser cet état de fait, notamment à travers les tribunaux arbitraux (voir § ICS) et les organes de convergence réglementaires (voir § coopération réglementaire) ?

 

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