Les dettes réclamées à la Grèce sont odieuses

Cette étude démontre que la crise grecque qui a éclaté en 2010 est d’origine bancaire privée. Elle n’est pas le résultat d’un excès de dépenses publiques. Le soi-disant plan d’aide à la Grèce a été conçu pour servir les intérêts des banquiers privés et ceux des pays qui dominent la zone euro. L’adoption de l’euro par la Grèce a joué un rôle important dans les facteurs qui ont contribué à la crise. L’analyse contenue dans ce texte a été présentée à Athènes le 6 novembre 2016 lors de la réunion de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque.

Pour la période 1996-2008, à première vue, l’évolution de l’économie grecque ressemble à une success story ! L’intégration de la Grèce au sein de l’Union européenne et à partir de 2001 dans la zone euro a l’air de réussir. Le taux de croissance économique est élevé, plus élevé que celui des économies les plus fortes d’Europe.

En réalité, ce succès apparent cachait un vice, tout comme cela a été le cas dans un grand nombre de pays : non seulement l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, Chypre, les républiques baltes, la Slovénie, mais également la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Autriche… qui ont été très affectés par la crise bancaire à partir de 2008 |1|. Sans oublier l’Italie rattrapée par la crise bancaire quelques années après les autres.

Au début des années 2000, la création de la zone euro a généré d’importants flux financiers volatils et souvent spéculatifs |2| qui sont allés des économies du Centre (Allemagne, France, Benelux, Autriche,…) vers les pays de la périphérie (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Slovénie, etc.).

Les grandes banques privées et d’autres institutions financières des économies du centre ont prêté de l’argent aux secteurs privé et public des économies périphériques car il était plus profitable d’investir dans ces pays que dans les marchés nationaux des économies du centre. L’existence d’une monnaie unique, l’euro, a encouragé ces flux car il n’y avait plus de risques de dévaluation en cas de crise dans les pays de la périphérie.

Cela a créé une bulle du crédit privé, touchant principalement le secteur immobilier, mais aussi celui de la consommation. Le bilan des banques de la périphérie a fortement augmenté.

En Irlande, la crise a explosé en septembre 2008, lorsque d’importantes banques ont fait faillite suite à l’effondrement de Lehman Brothers aux États-Unis. En Espagne, en Grèce et au Portugal, la crise a débuté plus tard, en 2009-2010 |3|.

L’explosion de la bulle du crédit privé en 2009-2010 (provoquée par la récession internationale qui avait suivi la crise des subprimes aux États-Unis et sa contamination aux banques des économies européennes du centre) et notamment la crise du secteur bancaire ont conduit à des sauvetages (bail-out) massifs des banques privées.

Ces sauvetages ont provoqué une énorme augmentation de la dette publique. En effet l’injection de capitaux publics dans les banques et les autres mécanismes de sauvetage ont été très coûteux.

Il est clair qu’il NE fallait PAS recourir au bail-out des banques et qu’il NE fallait PAS socialiser leurs pertes privées.

Il fallait recourir au bail-in des banques : organiser leur faillite ordonnée et faire payer le coût de l’assainissement par les grands actionnaires privés et les grands créanciers privés. Il fallait également en profiter pour organiser la socialisation du secteur financier. C’est-à-dire exproprier le secteur bancaire privé et le transformer en un service public |4|.

Mais il y avait d’importants liens, et même une complicité, entre les gouvernements des pays de la zone euro |5| et le secteur bancaire privé. Les gouvernements ont donc décidé d’utiliser de l’argent public pour sauver des banquiers privés.

Puisque les États de la périphérie n’étaient pas assez forts financièrement pour organiser eux-mêmes le bail-out de leurs banques afin de mettre à l’abri les banques françaises, allemandes, etc., les gouvernements des économies du centre (Allemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Autriche, etc.) et la Commission européenne (parfois avec l’aide du FMI) ont mis en œuvre les tristement célèbres Memorandums of Understanding (MoU) ou « protocoles d’accord ». Grâce à ces MoU, les grandes banques privées et d’autres grandes institutions financières privées d’Allemagne, de France, des pays du Benelux et d’Autriche (c’est-à-dire le secteur financier privé des économies du Centre) ont pu réduire leur exposition dans les économies périphériques. Les gouvernements et les institutions européennes ont profité de cette occasion pour renforcer l’offensive du capital contre le travail ainsi que pour réduire la possibilité d’exercice des droits démocratiques à travers toute l’Europe.

La manière dont la zone euro a été construite et la crise du système capitaliste sont responsables de la crise des pays périphériques que nous pouvons observer depuis 2009-2010.


Les étapes qui ont mené à la crise grecque de 2010

À partir de 1996, sous la conduite du premier ministre Kostas Simitis (PASOK), la Grèce s’est engagée encore un peu plus dans le modèle néolibéral qui avait commencé à être appliqué à partir de 1985 quand Andreas Papandreou, après un début prometteur, a pris le même virage que François Mitterrand avec deux années de décalage |6|.

Entre 1996 et 2004, au cours des deux mandats de Kostas Simitis, a été mis en pratique un programme impressionnant de privatisations (ce n’est pas sans rappeler le bilan du gouvernement socialiste de Lionel Jospin – 1997-2002 – qui à la même période a réalisé en France d’importantes privatisations que la droite et le patronat rêvaient d’accomplir depuis les années 1980).

En matière de baisse d’impôts sur les profits des entreprises, la Grèce est allée plus loin que la moyenne de l’UE. Des mesures visant à la précarisation du travail et revenant sur les conquêtes de la période 1974-1985 ont été adoptées. De même, le gouvernement socialiste a favorisé une forte déréglementation du secteur financier (qui s’accomplissait également dans les autres pays de l’UE et aux États-Unis) qui s’est traduit par une forte augmentation de son poids dans l’économie.

Les banques grecques se sont développées dans les Balkans et la Turquie, ce qui a renforcé la trompeuse impression de réussite.

Lors de cette période, la croissance du PIB grec a été supérieure à la moyenne de l’UE, le PIB par habitant était en plein rattrapage par rapport à la moyenne, l’Indice de Développement Humain progressait. La croissance était forte dans certains secteurs de pointe comme l’équipement électrique et optique. De même dans le secteur des ordinateurs. Mais en réalité, en approfondissant l’intégration de la Grèce dans l’UE puis dans la zone euro, les dirigeants grecs et les grands groupes privés ont renforcé la subordination du pays et ont réduit ses possibilités réelles de développement économique et social.


Évolution des banques et financiarisation de l’économie grecque avant l’entrée dans la zone euro

Jusqu’en 1998, 70 % du système bancaire grec était public. Les crédits octroyés par les banques représentaient environ 80 milliards € tandis que les dépôts représentaient 85 milliards €, un signe de bonne santé (voir plus loin). Par la suite, la situation changea radicalement. Durant la période 1998-2000, les banques publiques furent vendues à des prix bradés au capital privé et quatre grandes banques émergèrent, représentant 65 % du marché bancaire |7| : la Banque nationale de Grèce, Alpha Bank, Eurobank et Piraeus Bank. Parmi ces quatre banques, la Banque nationale de Grèce restait sous contrôle indirect de l’État.

Durant la même période, sous la conduite du socialiste Kostas Simitis, la déréglementation bancaire battait son plein, tout comme dans d’autres parties du monde. Rappelons que c’est en 1999 que le Glass Steagal Act, institué par l’administration Roosevelt pour répondre à la crise bancaire de 1933 aux États-Unis, a été abrogé par l’administration démocrate de Bill Clinton. Cette abrogation, qui a mis fin à la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, a accéléré le processus de déréglementation qui a conduit aux crises de 2000-2001 et de 2007-2008. En Grèce, le gouvernement accompagna les banques privées (qui diminuèrent la rémunération des dépôts) dans une campagne de communication agressive afin d’inciter les ménages de la classe moyenne, les entreprises et les fonds de pension à investir en bourse ; ainsi le gouvernement ne taxait pas les plus-values mobilières. Cette économie casino finit par générer une bulle boursière qui éclata en 2000, occasionnant des pertes dramatiques pour les ménages, les PME et le système des retraites qui avaient investi des sommes considérables |8|. Il faut savoir également que la bulle boursière a donné l’occasion aux riches investisseurs de procéder en toute tranquillité à un blanchiment d’argent sale.


Évolution de la dette privée et publique grecque à partir de 2000-2001

La dette du secteur privé s’est largement développée au cours des années 2000. Les ménages, auxquels les banques et tout le secteur commercial privé (grande distribution, automobile, construction…) proposaient des conditions de crédit alléchantes, ont eu massivement recours à l’endettement, tout comme les entreprises non financières et les banques qui pouvaient emprunter à bas coût (taux d’intérêts réels bas dus notamment à une inflation plus forte en Grèce que dans les pays les plus industrialisés de l’Union européenne tels l’Allemagne, la France, le Benelux,…). De plus le passage à l’euro |9| avait provoqué une augmentation importante du coût de la vie pour les ménages, dans un pays où les dépenses pour l’alimentation de base représentaient près de 50% du budget familial. Cet endettement privé a été le moteur de l’économie de la Grèce comme il l’a été en Espagne, en Irlande, au Portugal, en Slovénie et dans d’autres pays de l’ancien bloc de l’Est qui ont adhéré à l’UE. Grâce à un euro fort, les banques grecques (auxquelles il faut ajouter les filiales grecques des banques étrangères) pouvaient étendre leurs activités internationales et financer à moindre coût leurs activités nationales. Elles ont emprunté à tour de bras. Le tableau ci-dessous montre que l’adhésion de la Grèce à la zone euro en 2001 a accéléré et amplifié les entrées de capitaux financiers qui correspondent à des prêts ou à des investissements de portefeuille (Non-IDEdans le tableau, c’est-à-dire des entrées qui ne correspondent pas à des investissements de longue durée) tandis que l’investissement de longue durée (IDE – Investissement direct à l’étranger) a stagné.

Graphique 1 – Entrées de capitaux financiers en Grèce (1999-2009)


Source : FMI |10|

Avec les énormes liquidités mises à leur disposition par les banques centrales en 2007-2009, les banques de l’Europe de l’Ouest (surtout les banques allemandes, françaises, mais aussi les banques italiennes, belges, néerlandaises, britanniques, luxembourgeoises…) ont continué à prêter massivement à la Grèce (au secteur privé et aux pouvoirs publics). Il faut y ajouter des banques de Suisse et des États-Unis. Il faut aussi prendre en compte le fait que l’adhésion de la Grèce à l’euro a constitué un gage de confiance supplémentaire aux yeux des banquiers d’Europe de l’Ouest qui étaient convaincus que leurs États respectifs leur viendraient en aide en cas de problème. Ces banquiers ne se sont pas préoccupés de la capacité de la Grèce à rembourser le capital prêté et ont considéré qu’ils pouvaient prendre des risques très élevés en Grèce. L’histoire leur a donné raison jusqu’ici : la Commission européenne et, en particulier, les gouvernements français et allemand, ont apporté un soutien sans faille aux banquiers privés d’Europe occidentale. Mais en acceptant de socialiser les pertes des banques, les gouvernants européens ont mis les finances publiques dans un état lamentable.

Le graphique ci-dessous montre que les banques des pays d’Europe de l’Ouest ont augmenté leurs prêts à la Grèce. Une première fois entre décembre 2005 et mars 2007 (pendant cette période, le volume des prêts a augmenté de 50 %, passant d’un peu moins de 80 milliards à 120 milliards de dollars). Puis, alors que la crise des subprimes avait éclaté aux États-Unis, les prêts ont de nouveau augmenté fortement (+33 %) entre juin 2007 et l’été 2008 (passant de 120 à 160 milliards de dollars). Ils se sont ensuite maintenus à un niveau très élevé (environ 120 milliards de dollars). Cela signifie que les banques privées d’Europe occidentale ont utilisé l’argent que leur prêtaient massivement et à bas coût la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale des États-Unis pour augmenter leurs prêts à des pays comme la Grèce |11|. Là-bas, les taux étant plus élevés, elles ont pu faire de juteux profits. Les banques privées ont donc une très lourde part de responsabilité dans l’endettement excessif des secteurs privé et public grecs.

Graphique 2 – Évolution des engagements des banques d’Europe occidentale à l’égard de la Grèce (en milliards de dollars)

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Source : BRI – BIS consolidated statistics, ultimate risk basis (repris de Costas Lapavitsas, … « The eurozone between austerity and default »)

Comme le montre l’infographie ci-dessous, l’écrasante majorité des dettes grecques externes était détenue par des banques européennes, en particulier des banques françaises, allemandes, italiennes, belges, hollandaises, luxembourgeoises et britanniques.

Graphique 3 – Détenteurs étrangers (qui sont quasi exclusivement des banques étrangères et d’autres sociétés financières) des titres de la dette grecque (fin 2008) |12|

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Source : CPIS in Costas Lapavitsas « The eurozone between austerity and default »

Selon une étude de Barclays portant sur la dette extérieure de la Grèce au 3e trimestre 2009, la répartition est grosso modo la même (attention, ci-dessous les montants sont exprimés en dollars US) |13|. L’intérêt de l’infographie ci-dessous est de montrer que les grands groupes d’assurance français étaient très exposés, de même que des fonds d’investissement basés au Luxembourg |14|.

Graphique 4 – Les créanciers de la dette grecque

La Grèce était endettée à hauteur d’environ 390 milliards de dollars US à la fin du troisième semestre de l’année 2009. Près des trois quarts de cette dette sont détenus par des institutions étrangères, majoritairement européennes.

Dans un livre publié en 2016, Yanis Varoufakis décrit les motivations des banques privées allemandes, françaises, etc. qui ont prêté massivement au sein de la zone euro aux pays de la périphérie européenne avec le soutien de leur gouvernement. Voici un large extrait : « Quand les marchés ont été convaincus que personne ne quitterait jamais la zone euro, les banquiers allemands et français se sont mis à regarder un emprunteur irlandais ou grec comme l’équivalent d’un client allemand de même solvabilité. C’était logique. Si les emprunteurs portugais, autrichiens et maltais étaient tous payés en euros, pourquoi les traiter différemment ? Et si le risque qu’il y avait à prêter à tel individu, entreprise ou État particulier ne comptait pas, puisque les prêts, aussitôt après leur signature, seraient éparpillés à travers l’ensemble de l’univers connu, pourquoi ne pas traiter de la même façon les débiteurs en perspective dans toute la zone euro ?

Puisque les Grecs et les Italiens gagnaient à présent de l’argent dans une devise qui ne pourrait jamais plus être dévaluée face à la monnaie allemande, les banques allemandes et françaises ont cru qu’il était aussi avantageux de prêter dans les pays méditerranéens qu’aux Pays-Bas ou en Allemagne.

En fait, une fois l’euro inventé, il était plus lucratif de prêter aux particuliers, aux entreprises et aux banques des États-membres déficitaires qu’à des clients allemands ou autrichiens. Pourquoi ? Parce qu’en Grèce, en Espagne, en Italie du Sud, l’endettement privé était extrêmement faible. Certes, les gens étaient en général plus pauvres qu’en Europe du Nord, habitaient des logements plus modestes, conduisaient des voitures plus anciennes, et ainsi de suite, mais leur logement était à eux, ils n’avaient pas d’emprunt en cours sur leur véhicule et ils vouaient souvent à la dette l’aversion profonde qu’engendre le souvenir encore frais de la pauvreté. Les banquiers adorent les emprunteurs qui ont peu de dettes et un petit nantissement – une ferme, ou un appartement à Naples, à Athènes ou en Andalousie. Une fois dissipée la crainte de la dévaluation des lires, drachmes ou pesetas qu’ils avaient dans la poche, ces Méridionaux sont devenus les clients que des banquiers comme Franz ont eu pour instruction de cibler. »

Dans son exposé, Yanis Varoufakis fait référence à une conversation qu’il a eue en 2011 avec Franz, un fondé de pouvoir d’une banque allemande :
« Franz n’a pas ménagé ses efforts pour me faire mesurer la soudaineté et la puissance de l’offensive de sa banque sur la périphérie de l’Europe. Son nouveau business plan était clair et net : s’assurer une plus grosse part du marché de la zone euro que les autres banques, les banques françaises en particulier, elles aussi en train de prêter à tout-va. Ce qui ne pouvait avoir qu’un sens : prêter dans les pays déficitaires, qui offraient aux banquiers un triptyque d’avantages.

Premièrement, la faiblesse de l’endettement privé laissait une énorme marge à une croissance massive des prêts. Lorsqu’ils faisaient un calcul approximatif, les banquiers français et allemands salivaient à la pensée des perspectives de crédit en Méditerranée, au Portugal et en Irlande. Contrairement aux clients britanniques ou néerlandais qui, endettés jusqu’aux oreilles, ne pouvaient emprunter qu’un peu ou pas du tout, les clients grecs et espagnols pouvaient quadrupler leurs emprunts, tant ils en avaient peu au départ. Deuxièmement, les exportations des pays excédentaires vers les pays déficitaires accueillis dans l’euro étaient désormais à l’abri des dévaluations des monnaies faibles, qui n’existaient plus. Aux yeux des banquiers, un cercle vertueux était à l’œuvre : l’augmentation de leurs prêts aux pays déficitaires laissait prévoir une accélération de leur croissance intérieure, qui justifiait donc les prêts qu’ils leur faisaient. Troisièmement, les banquiers allemands étaient en extase devant la différence entre les taux d’intérêt qu’ils pouvaient facturer en Allemagne et ceux qui avaient cours dans des pays comme la Grèce. Le grand écart entre les deux était une conséquence directe du déséquilibre commercial entre les pays. Un gros excédent commercial signifie que les voitures et les lave-linge vont du pays en excédent au pays en déficit et l’argent en sens inverse. Le pays excédentaire est inondé de « liquidités » – de fonds qui s’y accumulent en proportion des exportations nettes qu’il déverse sur son partenaire commercial. Puisqu’il y a de plus en plus d’argent dans les banques du pays en excédent – à Francfort pour être précis –, il devient plus disponible, donc moins cher à emprunter. Autrement dit, son prix baisse. Et quel est le prix de l’argent ? Le taux d’intérêt ! Les taux d’intérêt en Allemagne étaient donc beaucoup plus bas qu’en Grèce, en Espagne et autres pays du même genre, où les sorties d’argent – puisque les Grecs et les Espagnols achetaient de plus en plus de Volkswagen – maintenaient le prix des euros en Europe du Sud plus haut qu’en Allemagne. » |15|


La bulle du crédit privé générée par l’action conjuguée des banques grecques et étrangères avec le soutien des gouvernements

Les banques grecques ont poussé leurs clients à recourir massivement au crédit pour financer leur consommation. Comme le montre le graphique 4 les crédits aux ménages ont été multipliés par 5 entre 2001 et 2008 ; quant aux crédits aux entreprises non financières, ils ont été multipliés par 2,5. Par contre, sur cette même période, les banques grecques ont réduit leurs crédits aux pouvoirs publics.

Graphique 5 – Crédits des banques grecques aux acteurs nationaux
(2001-2008)

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Source : Bank of Greece

Le graphique 6, qui porte sur l’évolution de la composition de la dette grecque totale pendant la période 1997-2009, permet de visualiser la forte augmentation de la dette des ménages, des sociétés financières (principalement les banques) et des sociétés non financières. Par contre, on constate une diminution de la part correspondant à la dette publique qui passe de 70% à 42% entre 1997 et 2009.

Graphique 6 – La dette grecque par secteur (en % du total)

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Source : Bank of Greece, QEDS, IMF (repris de Costas Lapavitsas, … « The eurozone between austerity and default »)

Le tableau 1 indique clairement l’augmentation très importante du crédit des banques aux ménages et aux entreprises non financières.

Tableau 1. Évolution des encours de crédit des banques de Grèce aux ménages et aux entreprises de décembre 1998 à décembre 2010 (en millions d’euros)

GRÈCE 1998 2000 2001 2008 2010
Événements 1er juin 1998 : mise en place de la BCE 19 et 20 Juin 2000 : Le Conseil européen félicite la Grèce pour ses résultats 1er janvier 2001 : la Grèce entre dans la zone euro Premiers effets de la crise financière de l’été 2007 1ermémorandum de mai 2010
Prêts immobiliers 7 007 11 164 15 516 77 386 80 155
Prêts à la consommation 3 035 5 511 7 852 36 412 35 061
Prêts aux entreprises 32 731 42 999 50 908 132 457 123 243
TOTAL 42 773 59 674 74 276 246 255 238 459

Source : Banque de Grèce |16|

Le tableau 2 montre que l’augmentation des dépôts est nettement inférieure à celle des crédits telle que mesurée dans le tableau 1.

Tableau 2. Évolution des encours de dépôts et repos (titres mise en pension) des ménages et des entreprises en Grèce de décembre 1998 à décembre 2010 (en millions d’euros)

GRÈCE 1998 2000 2001 2008 2010
Dépôts des ménages 71 843 88 644 103 388 185 424 173 510
Dépôts des entreprises 13 315 20 611 25 574 42 196 36 094
TOTAL 85 158 109 255 125 962 227 620 209 604

Source : Banque de Grèce

En 1998, les dépôts dans les banques représentaient plus du double des crédits octroyés par celles-ci au secteur privé, ce qui indiquait une situation saine. Par contre, on constate qu’en 2008, la situation s’est gravement détériorée : les dépôts sont désormais inférieurs aux crédits |17|. Les banques grecques ont profité de l’offre de financement extérieur provenant des banques françaises, allemandes, etc.

Les emprunts des banques grecques aux banques étrangères ont été multipliés par 6,5 entre 2002 et 2009, passant de 12,3 milliards € à 78,6 milliards €. Si on inclut dans le calcul d’autres sources de financement privé externes (fonds d’investissement, sociétés d’assurances, money market funds…), la dette externe des banques grecques est passée de 19 milliards € en janvier 2002 à 112 milliards € à la fin 2009.

Le problème ne s’arrête pas là : les banques grecques empruntaient à court terme sur le marché interbancaire étranger (de même, la majorité des dépôts bancaires des Grecs étaient à court terme, et bien sûr ils constituaient également, comme nous l’avons vu, une source de financement des banques) et prêtaient à long ou moyen terme à leurs clients notamment pour des investissements immobiliers ou l’achat de biens de consommation durables (automobiles, équipement électroménager, etc.), ce qui les rendaient très vulnérables aux évolutions des marchés financiers et aux retraits de dépôts.

Pourtant, cette détérioration minant le bilan des banques n’est pas du tout reflétée par l’évolution de leur rentabilité. En 2005, selon une étude de la banque centrale de Grèce, les profits bancaires ont augmenté de 198 %. Dans le même temps, les impôts qu’elles ont payés cette année-là ont diminué de 18,8 %. Le ROE |18| des banques a atteint le pourcentage effarant de 26% alors que la moyenne dans l’UE était de 17,4 %.

Cette course à la rentabilité à court terme a décidé les banques françaises à procéder à l’acquisition de banques grecques en vue de faciliter et dynamiser leurs investissements dans ce qu’elles considéraient comme un nouvel Eldorado |19|. En mars 2004, la Société Générale acquiert la majorité du capital de la Banque Générale de Grèce (50,01 %) qui est rebaptisée Geniki Bank. En août 2006, c’est au tour de Crédit Agricole S.A. de réaliser une OPA sur Emporiki Bank S.A. Dans un communiqué de l’époque, Georges Pauget, Directeur Général de Crédit Agricole S.A. justifiait ce choix en ces termes : «  … cette acquisition… nous donne accès à un marché en croissance dans une région en rapide expansion. » |20| René Carron, Président de Crédit Agricole S.A., a déclaré : « Je suis ravi du succès de l’offre concernant Emporiki et voudrais exprimer ma reconnaissance au gouvernement grec et aux autres actionnaires pour la confiance qu’ils nous ont témoignée en apportant leurs actions à l’offre. Cette transaction marque une étape majeure dans notre stratégie internationale et contribuera à notre objectif d’augmentation de notre produit net bancaire sur des opérations non françaises. »

Il faut noter que l’annonce par le gouvernement début 2005 que les chantiers de construction dont les permis de construire seraient émis après le 1er octobre 2006 ne bénéficieraient plus d’exemption de TVA, provoqua un boom de construction dans tout le pays, accompagné d’une explosion des emprunts immobiliers, alors que la demande de logements était largement comblée en Grèce car, en 2001, pour une population de 11 millions d’habitants, on recensait déjà 5,4 millions de logements privés, dont 1,4 millions d’habitations inoccupées, selon les chiffres fournis par l’office des statistiques, Elstat. Cela alimenta la bulle spéculative du crédit privé |21|. Lors du recensement de 2011, on a comptabilisé 6,4 millions de logements privés, dont 2.5 millions de logements vides |22|.


Détérioration brutale de la situation des banques en 2008-2009 en conséquence des risques démesurés qu’elles ont pris et de l’éclatement de la bulle du crédit qu’elles avaient généré

En septembre-octobre 2008, suite à la faillite de Lehman Brothers aux États-Unis et à ses effets immédiats sur les banques d’Europe occidentale (faillites bancaires en Irlande, au Royaume-Uni, en Islande, en Belgique, en Allemagne), les banques ne se font plus confiance et les prêts interbancaires se tarissent complètement, phénomène désigné sous l’appellation de « credit crunch ». Les banques grecques qui dépendent de manière importante de ce type de financement se retrouvent dans une situation critique. La valeur de leurs actions s’effondre dans la deuxième moitié de 2008 pour s’établir à 20 % du niveau atteint début 2007. Au même moment, les taux qu’elles doivent payer pour se financer augmentent de 500 points de base, c’est-à-dire de 5
% |23|.

Les banques grecques ne s’en sortent que grâce aux liquidités mises à leur disposition par la banque centrale de Grèce dans le cadre de la politique de la BCE d’octroi massif de liquidités aux banques de l’ensemble de la zone euro (politique également suivie par la Réserve fédérale des États-Unis, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale suisse).

Dans le graphique ci-dessous, on peut constater très clairement en suivant l’évolution de la ligne verte qu’à partir de septembre 2008, les banques grecques augmentent de manière significative le recours au financement que leur octroie la Banque centrale de Grèce dans le cadre de l’eurosystème avec l’accord de la BCE |24|.

Graphique 7 – Évolution du financement des banques grecques par la banque centrale de Grèce (ligne verte) et de la détention par les banques grecques des titres publics grecs (2007-2010) en milliards € (ligne bleue)

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Source : Bank of Greece

Ligne bleue : Crédit des banques grecques au gouvernement.
Ligne verte : Crédit de la Banque centrale aux banques grecques

À noter que ce changement des sources principales de financement ne constitue pas une exception grecque, un tel phénomène a été observé dans la majorité des pays de l’Eurozone et au-delà. Les banques centrales sont devenues les sources principales du financement des banques privées au cours des années 2008 et 2009.

En octobre 2008, le gouvernement grec de Konstantin Karamanlis, vu la crise des banques grecques, doit annoncer un plan de sauvetage de celles-ci pour un montant de 28 milliards €, dont 3,5 milliards ont servi à une première recapitalisation des banques, le reste consistant en des garanties pour leur permettre de continuer à se financer auprès de la banque centrale. Il s’agissait aussi de rassurer les déposants afin d’éviter un « bank run » (retraits massifs entraînant la faillite bancaire).

La politique mise en œuvre par Konstantin Karamanlis n’est pas exceptionnelle. Tant aux États-Unis qu’en Europe (que ce soit dans l’Union européenne ou en Suisse), les gouvernements ont réalisé des programmes massifs d’injections de capitaux et d’octroi de garantie qui ont entraîné partout une très importante augmentation de la dette publique sans pour autant assainir durablement le secteur bancaire.

Les banques françaises, allemandes, britanniques, belges, hollandaises, suisses et nord-américaines ont fait l’objet d’aides publiques massives en 2008-2009 qui se sont poursuivies les années suivantes. Entre le 1er octobre 2008 et le 1er octobre 2012, le montant des aides autorisées par la Commission européenne s’est élevé à la somme astronomique de 5 058,9 milliards d’euros, soit 40,3 % du PIB de l’Union européenne. De son côté, la Banque Fédérale américaine a consenti aux banques (américaines mais également étrangères) des aides s’élevant à 29 614,4 milliards de dollars selon l’estimation du professeur James Felkerson.

En 2008, les banques grecques, tout comme leurs homologues espagnoles, portugaises et chypriotes, n’étaient pas perçues comme les plus menacées, car à la différence des banques américaines et des pays d’Europe les plus développés mentionnés plus haut (Allemagne, France, Benelux,…), elles n’avaient pas massivement investi dans les produits structurés qui avaient ébranlé jusqu’à ses fondements tout le système bancaire des États-Unis et d’Europe nord-occidentale.

Mais en réalité, les banques des pays de la périphérie dans la zone euro étaient elles aussi au bord du gouffre et elles ne disposaient pas d’États aussi puissants que ceux d’Europe du Nord et des États-Unis pour leur venir en aide avec suffisamment de force.


Les particularités grecques au niveau bancaire

Une des particularités de la crise des banques grecques réside dans la combinaison de la faiblesse des capitaux propres avec un nombre croissant de défauts de paiement sur les crédits.

En mars 2009, les capitaux propres des banques grecques atteignaient 28,9 milliards €, soit seulement 6,2 % de leur bilan qui s’élevait à 473,1 milliards €. Les provisions pour pertes étaient de 7,2 milliards €, c’est-à-dire un montant bien inférieur à ce qui aurait été nécessaire pour couvrir le risque. En effet, ces provisions représentent à peine 3% du total des crédits octroyés par les banques qui s’élevaient à 217,1 milliards €. Or les défauts de paiement supérieurs à trois mois (ce qu’on appelle les non-performing loans, NPL’s) atteignaient 6 % |25|. L’insuffisance des fonds propres résultait de la politique de redistribution massive des profits sous formes de dividendes royaux versés aux actionnaires privés qui avaient caractérisé les années 2005 à 2008 (voir plus haut).

Ce risque s’est significativement accru ces dernières années, puisqu’une note du Parlement européen a estimé les prêts à risque de la Grèce à 43,5 % en septembre 2015, et ceux de Chypre à 50 %.

Les ratios des prêts à risque des pays de la zone euro au 30 septembre 2015

La crise internationale qui a affecté fortement l’économie grecque en 2009 a précarisé les ménages et les PME dont un nombre de plus en plus élevé a suspendu le paiement de sa dette.

Comme les dépôts étaient devenus nettement inférieurs aux crédits octroyés, l’arrêt des flux de financement privé externe provenant des banques et d’autres institutions financières, conjugué à l’augmentation des prêts impayés (NPL’s), à la baisse de la valeur du marché immobilier et à l’évasion massive des capitaux (organisée par les banques directement ou tout au moins avec leur complicité) ont mis les banques privées grecques dans une situation inextricable. C’était la conséquence de la politique complètement aventurière qu’elles avaient menée avec la complicité active des gouvernants grecs et le laxisme des autorités européennes de régulation.

La réaction des banques grecques face à la crise qu’elles avaient largement provoquée et à la récession internationale affectant l’économie grecque a aggravé la situation. Alors que l’octroi des liquidités par la Banque centrale dans le cadre de l’eurosystème se faisait sous le prétexte d’aider les banques à octroyer du crédit aux ménages et aux entreprises pour relancer l’économie, les banques ont fait le contraire comme le montre le graphique suivant.

Graphique 8 – Grèce, évolution du crédit interne, 2009 – 2015

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Source : Bank of Greece

En bleu : Entreprises non financières
En vert : Ménages

Les banques grecques ont fermé le robinet du crédit aux ménages et aux entreprises non financières, ce qui a aggravé la crise. Les entreprises non financières (l’écrasante majorité des entreprises non financières est constituée de microentreprises avec un personnel inférieur à 10 salariés |26|), en particulier, et les ménages avaient besoin de refinancer leurs dettes afin de pouvoir poursuivre les remboursements. En coupant les crédits, les banques ont renforcé les difficultés des entreprises et des ménages dont un nombre croissant a dû suspendre le paiement de la dette, ce qui a fait augmenter la quantité de NPL’s.

Bien sûr, il faut ajouter que la politique d’austérité intensive imposée par la Troïka et le gouvernement grec à partir de 2010 a diminué les revenus des ménages ainsi que des PME et a augmenté leur propension à entrer en défaut de paiement.

Les pratiques mafieuses des banquiers grecs constituent également un trait plus développé que dans les pays nord-occidentaux d’Europe.

En voici quelques exemples notoires tirés d’une recherche effectuée par Daniel Munevar :

Pour la période de 2006 à 2012, on estime à environ 500 millions d’euros les prêts accordés sans aucune garantie à d’éminents hommes d’affaires par la banque postale Hellenic Postbank (qui n’existe plus aujourd’hui) |27|. Lorsque ces crédits sont devenus non recouvrables, les pertes qui en ont découlé ont été directement transmises aux contribuables. À cette époque, Alexis Tsipras avait dénoncé ce scandale bancaire comme étant un triangle de corruption impliquant des entreprises majeures, des banques et des partis politiques s’échangeant des faveurs |28|. En ce qui concerne une autre banque défunte, la banque agricole de Grèce ATEbank, on estime aujourd’hui qu’entre 2000 et 2012, elle a octroyé 1300 prêts pour une valeur proche de 5 milliards d’euros |29|. Ces prêts ont été octroyés sans aucune garantie à des soutiens du gouvernement selon ce qui peut être décrit comme une relation de clientélisme |30|.

Tous ces cas de corruption et d’abus qui caractérisaient le système bancaire grec avant la crise sont scandaleux, mais le plus emblématique reste certainement celui de la banque Marfin Popular Bank (MPB). La MPB a été fondée en 2006 suite à l’achat d’une part minoritaire de la banque chypriote Laiki par le Groupe d’investissement Marfin (MIG), basé en Grèce et dirigé par Andreas Vgenepoulos. Par la suite, Vgenepoulos a introduit MIG en bourse. Puis, en tant que membre des conseils d’administration des deux entreprises, il a utilisé plus de 700 millions d’euros de prêts accordés par MPB afin de maintenir la valeur des actions de MIG à leur niveau initial de 2007 |31|. Il est estimé qu’en 2010, MPB avait accordé des prêts à hauteur de 1,8 milliard d’euros à des entités affiliées à MIG en Grèce, ce qui est clairement assimilable à un conflit d’intérêts |32|. Bien que la Banque de Grèce ait conduit en 2009 un audit qui a révélé ces problèmes et soulevé d’autres questions sur la gestion de la banque, les régulateurs n’ont rien entrepris pour y répondre. En 2011, quand les autorités chypriotes ont pris le contrôle de la banque, le portefeuille de prêts de MPB en Grèce était estimé à 12 milliards d’euros, dont la majorité était de qualité douteuse |33|. Selon Michael Sarris, le président nommé par les autorités chypriotes, le « principal facteur » ayant dissuadé les investisseurs d’aider à recapitaliser la banque n’était pas les obligations souveraines, mais les inquiétudes de voir se matérialiser des pertes supplémentaires dans le portefeuille de prêts en Grèce |34|.


Dramatisation de l’endettement public et du déficit afin de protéger les intérêts des banques privées étrangères et grecques responsables de la crise

Si l’on en croit le discours dominant sur le plan international, le mémorandum de 2010 constituait la seule réponse possible à la crise des finances publiques grecques. Selon cette explication mensongère, l’État grec aurait permis aux Grecs de profiter d’un généreux système de protection sociale |35| alors qu’ils ne payaient pas d’impôt (rappelons que Christine Lagarde, en tant que directrice générale du FMI, a affirmé que les Grecs ne payaient quasiment pas d’impôts en omettant que les salariés et les retraités grecs avaient leurs impôts prélevés à la source |36|). Pour ces donneurs de leçon à la petite semaine, ce sont des dépenses publiques inconsidérées qui auraient entraîné une augmentation dramatique de la dette publique et du déficit public. Toujours selon leur narration, les marchés financiers ont fini par se rendre compte du danger et ont refusé de continuer à financer la gabegie grecque. Suite à ce refus, les gouvernements européens, la BCE, la Commission européenne et le FMI décidèrent, dans un grand élan de générosité, de joindre leurs efforts pour venir en aide au peuple grec, bien qu’il ne le méritait pas, et défendre dans le même temps la pérennité de la zone euro et de la construction européenne.

En réalité, comme l’a montré le Rapport préliminaire de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, la cause réelle de la crise provenait du secteur bancaire privé tant externe qu’interne, et pas de la dette publique. La dette privée était nettement supérieure à la dette publique.

Fin 2009, les banques grecques devaient rembourser 78 milliards € de dette à court terme aux banques étrangères, et si on prend en compte d’autres sociétés financières étrangères (tels que les Money Market Funds |37| et les fonds d’investissement) qui leur octroyaient des prêts, le montant à rembourser s’élevait à 112 milliards. Rappelons qu’à partir de septembre-octobre 2008, le crédit interbancaire s’est largement tari. Les banques grecques ont pu continuer à rembourser leurs créanciers externes notamment grâce à la ligne de crédit ouverte par la BCE et la Banque centrale de Grèce (voir plus avant le Graphique 7 – Évolution du financement des banques grecques par la banque centrale de Grèce).. Les emprunts des banques grecques à la BCE/Banque centrale de Grèce oscillaient entre 40 et 55 milliards. Cela représentait entre 6 et 8% de cette ligne de crédit de la BCE, alors que les banques grecques ne représentaient que 2 % des actifs bancaires de la zone euro. Les dirigeants de la BCE ont laissé entendre au cours de l’automne 2009 qu’ils comptaient mettre fin à cette ligne de crédit |38|. Cela a provoqué des inquiétudes très importantes du côté des créanciers étrangers des banques grecques et des banquiers grecs eux-mêmes. Si les banques grecques étaient incapables de poursuivre le paiement de leurs dettes à l’égard des banques étrangères, cela risquait de produire une grave crise. Selon les grands créanciers privés étrangers des banques grecques, la seule solution pour éviter la faillite des banques grecques (et les pertes que cela aurait représenté pour les banques étrangères) consistait à ce que l’État les recapitalise et leur octroie des garanties pour un montant bien plus élevé que celui apporté à partir d’octobre 2008. Cela impliquait aussi que la BCE maintienne la ligne de crédit qu’elle leur avait consentie. De son côté, George Papandréou, qui venait de gagner haut la main les élections législatives du 4 octobre 2009, s’est rendu compte que le gouvernement grec n’aurait pas les moyens de sauver seul les banquiers grecs malgré sa bonne volonté (voire sa complicité) à leur égard. Ses adversaires politiques de Nouvelle Démocratie, qui venaient de perdre les élections, pensaient de même.

Au lieu de faire supporter le coût de cette crise bancaire aux responsables, tant étrangers que nationaux (à savoir les actionnaires privés, les administrateurs des banques, les banques étrangères et autres sociétés financières qui avaient contribué à générer la bulle spéculative), Papandréou a dramatisé la situation de la dette publique et du déficit afin de justifier une intervention extérieure qui devait apporter suffisamment de capitaux pour faire face à la situation des banques. Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais pour l’augmenter (voir l’encadré sur la falsification). Il voulait éviter d’importantes pertes pour les banques étrangères (principalement françaises et allemandes) et protéger les actionnaires privés et le haut management des banques grecques.

Il a fait le choix de s’en remettre à l’« aide internationale » avec le prétexte mensonger de la « solidarité » parce qu’il était convaincu qu’il ne pourrait pas convaincre son électorat de faire des sacrifices pour protéger les grandes banques françaises, allemandes… et les banquiers grecs.

Falsification du déficit public et de la dette publique

Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010 |39|.

Les dettes hospitalières
Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière.

L’un des plus choquants exemples de falsification est celui des dettes du système public de santé.

En Grèce, comme dans les autres pays de l’UE, les hôpitaux publics sont approvisionnés en médicaments et en matériels par des fournisseurs qui sont payés après la livraison en raison des procédures de validation imposées par la Cour des Comptes. Or, en septembre 2009, un volume important de dépenses non validées concernant les années 2005-2008 s’était accumulé, et leur montant n’avait pas encore été arrêté. Le 2 octobre 2009, dans le cadre des procédures d’Eurostat, le Service statistique national grec (NSSG), rebaptisé ELSTAT en mars 2010, notifia à Eurostat les chiffres du déficit et du montant de la dette en cours. Ces chiffres incluaient les dettes des hôpitaux en attente de règlement, estimées à titre provisoire à 2,3 Mds d’euros selon les méthodes de calcul en vigueur au NSSG. Le 21 octobre, il notifia une augmentation de ces dettes de 2,5 Mds, portant le total des dettes en attente de règlement à 4,8 Mds d’euros. Les autorités européennes contestèrent d’abord cette révision, établie selon des procédés suspects :

« Dans la note du 21 octobre, un montant de 2,5 Mds d’euros a été ajouté au déficit de 2008 qui s’élevait à 2,3 Mds d’euros. Selon les autorités grecques, cela fut fait sur instruction directe du Ministère des Finances en dépit du fait que le montant des engagements hospitaliers n’était pas connu, et que rien ne justifiait de l’imputer au seul exercice 2008 plutôt qu’à des exercices antérieurs, alors que le NSSG avait exprimé son désaccord sur la question à la Cour des Comptes et au Ministère des Finances. On peut considérer ici que le Contrôle général a commis une faute |40| ».

Cependant, en avril 2010, sur la base du Rapport technique sur les engagements des hôpitaux du gouvernement grec du 3/2/2010 |41|, non seulement Eurostat valida le supplément de 2,5 Mdsd’euros, mais il y ajouta un montant supplémentaire de 1,8 Md. Ainsi, le montant initial de 2,3 Mdsd’euros, notifié par la note du 2 octobre 2009, fut porté à 6,6 Mds, alors que la Cour des comptes n’avait validé que 1,2 Md sur ce total. Les 5,4 Mds d’engagements hospitaliers restant non validés vinrent ainsi accroître le déficit de 2009 et des années précédentes.

Ces pratiques statistiques en matière d’engagement de dettes hospitalières contreviennent purement et simplement à la réglementation européenne (voir ESA95 par. 3.06, EC n° 2516/2000 article 2, Règlement n° 995/2001) et au Code de bonnes pratiques de la statistique européenne, tout particulièrement en ce qui concerne le principe d’indépendance professionnelle, l’objectivité et la fiabilité statistique.

Soulignons qu’un mois et demi après cette manipulation du déficit public, le ministère des Finances demanda aux fournisseurs un rabais de 30 % pour la période 2005-2008. Ainsi, une bonne partie des dépenses hospitalières n’ont pas été payées aux fournisseurs de produits pharmaceutiques alors que ce rabais n’a été pris en compte dans aucune statistique officielle |42|.

Entreprises publiques
Un des nombreux cas de falsification concerne 17 entreprises publiques (DEKO). En 2010, ELSTAT |43| et EUROSTAT décidèrent le transfert des dettes de 17 entreprises du secteur des entreprises non financières vers le budget de l’État, ce qui augmenta la dette publique de 18,2 Mdsd’euros en 2009. Ces entités avaient été considérées comme des entreprises non financières, après qu’EUROSTAT eut approuvé leur classement dans ce secteur. Il convient de souligner que les règles de l’ESA95 en matière de classement n’ont pas changé entre 2000 et 2010.

Ce reclassement a été effectué sans études préalables ; il a de plus été réalisé en pleine nuit, une fois les membres de la direction d’ELSTAT partis. Le président d’ELSTAT eut alors tout le loisir de procéder à ces modifications sans être confronté aux questions des membres de l’équipe de direction. Ainsi, le rôle des experts nationaux fut complètement ignoré, ce qui est en totale contradiction avec la réglementation ESA95. Par conséquent, l’adoption par l’institution du critère pour rattacher une entité économique au budget de l’État constituait une violation de la réglementation |44|.

Les swaps de Goldman Sachs
Une autre cause de l’augmentation injustifiée de la dette publique grecque en 2009 réside dans le traitement statistique des swaps passés avec Goldman Sachs. Le directeur à la tête d’ELSTAT a, à lui tout seul, décidé de gonfler la dette publique de 21 Mds d’euros |45|. Ce montant a été réparti sur quatre exercices, entre 2006 et 2009. Mais il s’agissait d’une augmentation rétrospective de la dette publique réalisée en violation des règlements du Conseil européen.

On estime que ces ajustements, infondés sur le plan technique, ont généré une augmentation du déficit public représentant 6 à 8 points de PIB pour 2009 de sorte que la dette publique s’est accrue de 28 Mds d’euros.

Nous considérons que la falsification des données statistiques est étroitement liée à la dramatisation autour de la dette publique et de la situation budgétaire. Tout cela fut organisé dans l’unique but de convaincre l’opinion publique en Grèce et en Europe d’accepter le plan de « sauvetage » de l’économie grecque de 2010 avec toutes ses conditionnalités catastrophiques pour la population grecque. Les Parlements des pays européens ont voté un « sauvetage » de la Grèce sur la base de données truquées. La gravité de la crise bancaire a été sous-estimée du fait d’une exagération des problèmes économiques du secteur public.

Quant aux dirigeants européens, tels Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, qui avaient déjà de leur côté mis en œuvre un plan de sauvetage des banques privées de leurs pays en 2008, ils ont convenu de lancer un programme dit d’« aide à la Grèce » (qui allait être suivi par des programmes du même type en Irlande, au Portugal et en Espagne) qui permettrait de rembourser les banques privées de leurs pays avec de l’argent public. Le remboursement de cette aide aux banquiers serait ensuite mis à la charge du peuple grec (et des peuples des pays de la périphérie qui allaient entrer dans le même système) |46|. Le tout sous prétexte de porter assistance à la Grèce dans un élan de solidarité. Le récit de l’« aide à la Grèce » est bien un habillage sordide et mensonger de ce qui était en réalité la socialisation des pertes des banques. La Commission pour la vérité sur la dette grecque dans son Rapport préliminaire de juin 2015 a fait la clarté sur le mécanisme mis en place à partir de 2010 (voir notamment le chapitre 2, le chapitre 3 et le chapitre 4).

Yanis Varoufakis dénonce à sa manière la supercherie : « La Grèce n’a jamais été renflouée. Pas plus que les autres porcs de l’Europe – les PIIGS, comme on a désigné collectivement le Portugal, l’Irlande, l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Les renflouements de la Grèce, puis de l’Irlande, puis du Portugal, puis de l’Espagne ont été d’abord et avant tout des plans de sauvetage des banques françaises et allemandes. » (…) « Le problème était que la chancelière Merkel et le président Sarkozy ne pouvaient pas imaginer de revenir devant leur parlement demander encore de l’argent pour leurs copains banquiers, donc ils ont opté pour la meilleure solution de second choix : ils ont sollicité leur parlement en invoquant l’admirable principe de solidarité avec la Grèce, puis avec l’Irlande, puis avec le Portugal, et enfin avec l’Espagne. » |47|

Une alternative était pourtant possible et nécessaire. Suite à sa victoire électorale de 2009 sur la base d’une campagne dénonçant les politiques néolibérales menées par Nouvelle Démocratie, le gouvernement de Papandréou, s’il avait voulu respecter ses promesses électorales, aurait dû socialiser le secteur bancaire en organisant une faillite ordonnée et en protégeant les déposants. Plusieurs exemples historiques attestent qu’une faillite était tout à fait compatible avec le redémarrage rapide des activités financières au service de la population. Il fallait s’inspirer de ce qui se faisait en Islande depuis 2008 |48| et de ce qui avait été réalisé en Suède et en Norvège dans les années 1990 |49|. Papandreou a préféré suivre l’exemple scandaleux et catastrophique du gouvernement irlandais qui a sauvé les banquiers en 2008 et allait en septembre 2010 devoir accepter un plan d’aide européen qui a eu des effets dramatiques pour le peuple irlandais. Il fallait aller plus loin que l’Islande et la Suède avec une socialisation complète et définitive du secteur financier. Il fallait faire supporter les pertes de la résolution de la crise bancaire par les banques étrangères et par les actionnaires privés grecs tout en poursuivant en justice les responsables du désastre bancaire. Une telle démarche aurait permis à la Grèce d’éviter la succession de mémorandums qui ont soumis le peuple grec à une crise humanitaire dramatique et à l’humiliation sans pour autant assainir véritablement le système bancaire grec. Le graphique montre ci-dessous l’évolution des défauts de paiement sur les crédits et permet de comprendre pourquoi la situation des banques grecques reste très précaire alors leurs dirigeants n’ont pas été inquiétés par la justice et sont pour la plupart restés en place depuis le démarrage de la crise. Rappelons également qu’en Islande, plusieurs banquiers ont été mis sous les verrous.

Graphique 9 – Évolution des défauts de paiement (Non performing loans) en % de l’ensemble des prêts octroyés par les banques grecques entre 2009 et 2015

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Source : IMF

Les NPL’s ont très fortement augmenté entre 2010 et 2015 pour trois raisons principales : 1. Les banques n’ont pas été forcées de reconnaître les pertes (ce qui impliquait d’annuler les dettes). 2. L’austérité brutale imposée par la Troïka en réduisant radicalement les revenus de la majorité de la population et en provoquant la fermeture de centaines de milliers de micro et de moyennes entreprises a mis une partie croissante des ménages et des PME dans l’impossibilité de poursuivre le paiement de leurs dettes. 3. La décision des banques d’arrêter les nouveaux crédits ou de refinancer les anciens a renforcé la propension des ménages et des entreprises à faire défaut sur les remboursements.


Pourquoi les banques privées veulent acheter de la dette publique 

La fable selon laquelle la faiblesse ou la crise des banques privées est provoquée par un niveau trop élevé des dettes publiques et le risque de suspension de paiement de la part des États ne tient pas la route face aux faits.

Depuis que l’UE existe, aucun État membre n’est entré en défaut de paiement et pourtant la liste des crises bancaires s’allonge de jour en jour.
Par contre, ce que les médias dominants et les gouvernements cachent, c’est que pour les banques privées, il est très rentable de prêter aux États et ça ne comporte pas de risque. Ajoutons que plus une banque détient de dette publique, plus elle est susceptible de satisfaire aux règles fixées par les autorités de contrôle. Ce point demande une explication technique.

Pour respecter les règles en vigueur en 2008-2009, les banques grecques comme toutes les banques européennes devaient faire la preuve que leurs fonds propres représentaient 8 % de leurs actifs. Or, comme cela a été indiqué plus haut, leurs fonds propres représentaient en mars 2009 seulement 6,2 % de leurs actifs. Afin d’atteindre les 8 % exigés par les autorités de contrôle, elles se sont mises à acheter plus de dettes publiques.

Pour calculer le ratio de 8%, les autorités de contrôle permettent aux banques de pondérer les actifs qu’elles détiennent par le risque qu’ils représentent. Les créances des banques sur les pouvoirs publics sont considérées comme présentant moins de risque que leurs créances sur des particuliers ou des entreprises. Du coup, les banques ont tout intérêt à prêter plus aux pouvoirs publics qu’aux particuliers ou aux entreprises, surtout sur les PME qui sont considérées comme plus risquées que les grandes entreprises. Bien sûr, elles peuvent décider de prêter quand même aux particuliers et aux PME, mais dans ce cas elles vont exiger des taux d’intérêts très élevés.

C’est pourquoi à partir de la fin 2008 et en 2009, les banques grecques ont continué à augmenter leur crédit au gouvernement grec tout en fermant progressivement le robinet des nouveaux crédits aux ménages et aux PME. Entre le 31 décembre 2008 et le 31 décembre 2010, les banques grecques ont augmenté leurs prêts aux pouvoirs publics grecs de 15%, preuve qu’à leurs yeux, ces crédits étaient plus sûrs.

L’illustration suivante montre pourquoi les banques qui cherchaient à faire croire qu’elles étaient solides avaient intérêt à acheter des titres publics plutôt qu’à continuer à octroyer des prêts aux ménages et aux particuliers.

L’illustration ci-dessus représente schématiquement les actifs d’une banque avant et après la pondération par les risques. La colonne de gauche représente les actifs réels détenus par la banque, c’est-à-dire les prêts octroyés par celle-ci. Dans l’exemple pris, qui correspond à une moyenne constatée, pour 4 unités de fonds propres (le capital), la banque a prêté 100 unités à des particuliers, des entreprises, des États, etc.

Pour chacune de ces catégories d’actifs, la banque va appliquer une pondération par le risque sur laquelle elle va s’appuyer pour déterminer son ratio de fonds propres par rapport aux actifs qu’elle détient. Par exemple, les prêts aux particuliers sont pondérés à 75 %, ce qui signifie que sur 28 unités prêtées, on ne va en compter que 21 dans le bilan pondéré. En règle générale, les prêts aux États (titres de la dette souveraine) sont eux pondérés à 0 % : ils comptent pour 0 dans le bilan pondéré ! En fait, seuls les prêts aux PME et aux entreprises « mal notées » par les agences de notation sont comptabilisés entièrement, voire pour plus que ce qu’ils représentent réellement (pondération de 150 % pour les entreprises dont la note est inférieure à BB-).

Puisque les autorités de contrôle se basent sur les actifs pondérés de la banque pour déterminer si elle respecte bien les règles, celle-ci a tout intérêt à prêter aux États plutôt qu’aux entreprises pour pouvoir « dégonfler » son bilan pondéré, sans affecter le montant réel des prêts consentis, sur lequel elle réalise une partie de son profit.

Ainsi, la banque dont les fonds propres ne représentaient que 4 % des actifs peut déclarer que son ratio atteint en réalité 10 % si elle détient suffisamment de dettes publiques dans ses comptes. Elle sera félicitée par les autorités de contrôle |50|.

Ce qui vient d’être dit permet d’expliquer l’évolution de la ligne bleue du graphique que nous avons déjà utilisé.

Graphique 7 bis – Évolution du financement des banques grecques par la banque centrale de Grèce (ligne verte) et de la détention des titres publics grecs (2007-2010) en milliards € (ligne bleue)

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Source : Bank of Greece

Ligne bleue : Crédit des banques grecques au gouvernement.
Ligne verte : Crédit de la Banque centrale aux banques grecques

On voit qu’à partir de septembre 2008, les crédits des banques grecques au gouvernement qui oscillaient entre 30 et 40 milliards € augmentent fortement et atteignent plus de 60 milliards € en mars 2010.

Il faut savoir que, avant que les attaques spéculatives ne commencent contre la Grèce, celle-ci pouvait emprunter à des taux très avantageux, tant les banquiers surtout mais aussi d’autres investisseurs institutionnels (les assurances, les fonds de pension) étaient empressés de lui prêter de l’argent.

C’est ainsi que le 13 octobre 2009, elle a émis des titres du Trésor (T-Bills) à trois mois avec un rendement (yield) très bas : 0,35 %. Le même jour, elle a réalisé une autre émission, celle de titres à six mois avec un taux de 0,59 %. Sept jours plus tard, le 20 octobre 2009, elle a émis des titres à un an à un taux de 0,94 % |51|. On était à moins de six mois de l’éclatement de la crise grecque quand les banques étrangères ont fermé le robinet du crédit. Les agences de notation attribuaient une très bonne cote à la Grèce et aux banques qui lui prêtaient à tour de bras. Dix mois plus tard, pour émettre des titres à six mois, elle a dû octroyer un rendement de 4,65 % (c’est-à-dire 8 fois plus). C’est un changement fondamental de circonstances. En septembre 2009, le trésor grec a émis des titres avec une échéance de six ans à 3,7 %, c’est-à-dire à un taux proche de celui de la Belgique ou de la France et pas très éloigné de l’Allemagne |52|.

Il importe d’ajouter une précision importante pour indiquer la responsabilité des banques : en 2009, elles exigeaient de la Grèce un rendement moins élevé qu’en 2008. En juin-juillet-août 2008, alors qu’on n’avait pas encore connu le choc produit par la faillite de Lehman Brothers, les taux étaient quatre fois plus élevés qu’en octobre 2009. Au 4e trimestre 2009, en passant au-dessous de 1 % pour les emprunts à moins d’un an, les taux ont atteint leur niveau le plus bas |53|. Pourquoi les banques ont-elles demandé moins de rémunération alors qu’elles auraient dû se rendre compte que les risques s’accumulaient et que la situation de la Grèce se détériorait ?

Dans le graphique ci-dessous, on voit que les taux allemand et grec étaient très proches entre 2007 et juillet 2008. Après cette date, on voit également que le taux payé par la Grèce augmente au cours du 4e trimestre 2008, après que le gouvernement a annoncé qu’il mettait en œuvre un premier plan de sauvetage des banques grecques (les marchés ont dès lors considéré que les risques sur la dette publique augmentaient, car les autorités étaient disposées à augmenter la dette publique pour venir en aide aux banques grecques). À partir de ce moment, l’évolution entre les taux allemand et grec varie de manière tout à fait opposée. Il est frappant par ailleurs de constater que le taux payé par la Grèce a baissé entre mars 2009 et novembre 2009, alors que la situation réelle des banques grecques et la crise économique internationale qui a affecté durement la Grèce à partir de 2009 (c’est-à-dire plus tard que pour les pays les plus forts de la zone euro) auraient dû amener les banques internationales et grecques à exiger des primes de risque. Ce n’est qu’à partir de novembre 2009, quand Papandreou décide de dramatiser la situation et de falsifier les statistiques sur la dette publique, que les taux augmentent de manière dramatique.

Graphique 10 –
Allemagne et Grèce, taux sur les titres à 10 ans (2007-2010)


Ligne bleue : Taux d’intérêt sur les titres grecs à 10 ans.
Ligne verte : Taux d’intérêt sur les titres allemands à 10 ans.

Ce qui peut paraître irrationnel, car il n’est pas normal pour une banque privée d’abaisser les taux d’intérêts dans un contexte de crise internationale majeure et à l’égard d’un pays comme la Grèce qui s’endette très rapidement, est logique du point de vue d’un banquier qui cherche un maximum de profit immédiat en étant persuadé qu’en cas de problème, les autorités publiques lui viendront en aide. Après la faillite de Lehman Brothers, les gouvernements des États-Unis et d’Europe ont déversé d’énormes liquidités pour sauver les banques et pour relancer le crédit et l’activité économique. Les banquiers ont saisi cette manne de capitaux pour les prêter dans l’UE à des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, en étant convaincus qu’en cas de problème, la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne (CE) leur viendraient en aide. De leur point de vue, ils ont eu raison.

Il est indéniable que les banques ont jeté littéralement des capitaux à la figure de pays comme la Grèce (y compris en baissant les taux d’intérêt qu’elles exigeaient), tellement à leurs yeux l’argent qu’elles recevaient massivement des pouvoirs publics devait trouver une destination en termes de prêts aux États de la zone euro.

Pour reprendre l’exemple concret mentionné plus haut, lorsque le 20 octobre 2009 le gouvernement grec a vendu des T-Bills à trois mois avec un rendement de 0,35 %, il cherchait à réunir la somme de 1 500 millions d’euros. Les banquiers grecs et étrangers (et d’autres investisseurs) ont proposé près de 5 fois cette somme, soit 7 040 millions. Finalement, le gouvernement a décidé d’emprunter 2 400 millions. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que les banquiers ont cherché à prêter un maximum à un pays comme la Grèce.

Revenons sur les séquences de l’augmentation des prêts des banquiers d’Europe occidentale à la Grèce au cours de la période 2005-2009 telles que nous les avons présentées au début de cette étude. Les banques des pays de l’Ouest européen ont augmenté leurs prêts à la Grèce (tant au secteur public que privé) une première fois entre décembre 2005 et mars 2007 (pendant cette période, le volume des prêts a augmenté de 50 %, passant d’un peu moins de 80 milliards à 120 milliards de dollars). Bien que la crise des subprimes avait éclaté aux États-Unis, les prêts ont de nouveau augmenté fortement (+33 %) entre juin 2007 et l’été 2008 (passant de 120 à 160 milliards de dollars), puis ils se sont maintenus à un niveau très élevé (environ 120 milliards de dollars). Les dettes réclamées par les banques étrangères et grecques à la Grèce en conséquence de leur politique complètement aventureuse sont frappées d’illégitimité. Elles auraient dû être contraintes à assumer les risques qu’elles avaient pris.


Le sauvetage des banques étrangères et grecques grâce au mémorandum de 2010

Les travaux de la Commission pour la vérité sur la dette grecque ont permis de mettre en évidence les véritables motifs de la Troïka lors de la mise en place du premier mémorandum de mai 2010. L’audition de Panayiotis Rouméliotis, l’ancien négociateur de la Grèce au FMI en 2010, qui était un des hommes de confiance de l’ancien Premier ministre du Pasok, Papandréou, et un ami personnel de Dominique Strauss-Kahn avec qui il a étudié à Paris, a contribué à remettre les horloges à l’heure. Quelques jours avant l’audition, j’avais eu un contact en tête à tête avec lui au cours duquel je lui avais communiqué que j’avais des documents secrets du FMI, et notamment les notes d’une réunion, que j’avais obtenues grâce à la présidente du Parlement qui avait décidé de déclassifier ces documents. Trop explosifs, ils avaient été mis sous le boisseau par l’ancien président du parlement grec alors qu’ils faisaient partie d’une enquête ouverte lors de la précédente législature sur des affaires criminelles en matière financière. Ces documents prouvaient qu’à la réunion du 9 mai 2010 au cours de laquelle le FMI a pris la décision de prêter 30 milliards d’euros (soit 32 fois le montant auquel la Grèce avait normalement le droit), plusieurs dirigeants déclaraient explicitement que l’aide apportée par le FMI était avant tout une aide aux banques françaises et allemandes |54|. Cela a été très clairement dénoncé tant par le représentant du Brésil à la direction du FMI que par le représentant suisse ! Pour répondre à ces accusations sur la légitimité des prêts du FMI, les directeurs exécutifs français, allemand et hollandais ont répondu séance tenante que les banques de leur pays ne se désengageraient pas de la Grèce. Voici la déclaration faite par le directeur exécutif français lors de cette réunion : « Il y a eu une réunion plus tôt cette semaine entre les grandes banques françaises et mon ministre, Mme Lagarde |55|. Je voudrais insister sur la déclaration publiée à l’issue de cette réunion, selon laquelle les banques françaises s’engagent à maintenir leur exposition à la Grèce durant toute la durée du programme ». Le directeur exécutif allemand a affirmé : « (…) les banques [allemandes] ont l’intention de maintenir une certaine exposition aux banques grecques, ce qui signifie qu’elles ne vendront pas d’obligations grecques et maintiendront des lignes de crédit à la Grèce. Quand celles-ci arriveront à échéance, elles seront renouvelées, au moins en partie ». Le représentant hollandais a lui aussi fait des promesses : « Les banques hollandaises, ont eu des discussions avec notre ministre des Finances et ont publiquement annoncé qu’elles joueraient leur rôle pour soutenir le gouvernement et les banques grecques ». Il est avéré que ces trois dirigeants ont menti délibérément à leurs collègues afin de les convaincre de voter en faveur du prêt du FMI à la Grèce |56|. Le prêt n’était pas destiné à redresser l’économie grecque ou à aider le peuple grec, l’argent a servi à rembourser les banques françaises, allemandes, hollandaises qui, à elles seules, détenaient plus de 70 % de la dette grecque au moment de la décision. Alors qu’elles se faisaient rembourser, elles refusaient de continuer à prêter à la Grèce et elles revendaient les anciens titres qui n’étaient pas encore venu à échéance sur le marché secondaire. La BCE dirigée par le français Trichet les y aidait en leur achetant des titres grecs. Elles ont fait exactement le contraire de ce que les dirigeants allemand, français et hollandais au FMI avaient promis. Il faut ajouter qu’au cours de cette même séance de mai 2010, plusieurs directeurs exécutifs ont critiqué le fait que la direction du FMI a fait changer en catimini le règlement du FMI sur la conditionnalité des prêts |57| : jusque-là, le FMI ne pouvait octroyer un prêt à un pays que si, en prêtant à ce pays, la dette devenait soutenable. Comme la direction savait parfaitement qu’en prêtant 30 milliards d’euros à la Grèce sans réaliser de réduction de la dette, celle-ci ne deviendrait pas soutenable, voire deviendrait encore plus insoutenable, ce règlement a été modifié. Ils ont adopté un autre critère sans le soumettre à délibération : on prête à un pays si le fait de lui prêter de l’argent peut éviter une crise bancaire internationale. Ce qui constitue, à nos yeux, la preuve que la menace, c’était de très grosses difficultés pour les trois plus grandes banques françaises (BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale) et quelques banques allemandes qui avaient trop prêté tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs, dans le but de faire un maximum de profits, sans appliquer des mesures de précaution qu’elles auraient dû appliquer. Si le FMI et la BCE ne voulaient pas d’une réduction de la dette publique grecque en 2010, c’est parce que les gouvernements français, allemand, hollandais et de quelques autres pays de la zone euro voulaient donner du temps à ces banques pour revendre les titres grecs qu’elles avaient acheté et pour se désengager en général de la Grèce. Et effectivement, les banques étrangères se sont débarrassées de leurs créances sur la Grèce entre mars 2010 et mars 2012, date à laquelle une réduction de la dette a finalement eu lieu (voir plus loin). Si le gouvernement grec de l’époque, celui de Georges Papandréou, a accepté que la dette publique grecque ne soit pas réduite lors du mémorandum de mai 2010, c’est qu’il voulait également donner du temps aux banques grecques de revendre une grande partie de leurs titres grecs qui risquaient de subir une décote plus tard lorsque les banques françaises et allemandes auraient eu le temps de se dégager (voir plus loin). De toute manière, Jean-Claude Trichet, le banquier français qui dirigeait la BCE à cette époque, menaçait la Grèce de réduire l’accès des banques grecques aux liquidités si son gouvernement demandait une réduction de la dette. C’est ce que P. Rouméliotis a déclaré lors de son audition |58|.

Concernant la critique de l’ensemble du programme imposé à la Grèce par le FMI, cela vaut la peine de citer partiellement l’intervention du représentant argentin lors de cette réunion de mai 2010. Le représentant argentin a expliqué que le type de politique que le FMI voulait imposer à la Grèce ne fonctionnerait pas. Pablo Pereira, le représentant argentin, critique sans ambages l’orientation passée et présente du FMI : « Les dures leçons de nos propres crises passées sont difficiles à oublier. En 2001, des politiques similaires ont été proposées par le Fonds en Argentine. Ses conséquences catastrophiques sont bien connues (…) Il y a une réalité qui ne fait aucun doute et qui ne peut être contestée : une dette qui ne peut pas être payée ne sera pas payée sans une croissance soutenue (…) Nous savons trop bien quelles sont les effets des « réformes structurelles » ou des politiques d’ajustement qui finissent par déprimer la demande globale et, par conséquent, les perspectives de reprise économique (…) Il est très probable que la Grèce finisse plus mal en point après la mise en œuvre de ce programme. Les mesures d’ajustement recommandées par le Fonds vont réduire le bien-être de sa population et la capacité réelle de remboursement de la Grèce ». |59|

P. Rouméliotis a donc témoigné devant la commission sur toute cette affaire lors de la séance publique du 15 juin 2015. Je l’ai interrogé, la présidente du Parlement aussi, il nous a répondu… puis des membres de la commission l’ont interrogé, il leur a répondu. Cette audition publique, tout à fait exceptionnelle, a duré 8 heures. Les réponses de P. Roumeliotis ont largement confirmé l’analyse qui est présentée plus haut. C’était, comme toutes les séances importantes de la commission, retransmis en direct à la télévision, sur la chaîne du Parlement qui a vu exploser son taux d’audience… Le 17 juin 2015, lors de mon exposé introductif à la présentation publique des résultats des travaux de la commission, j’ai résumé l’analyse que nous faisions des raisons profondes de la mise en place du premier mémorandum imposé au peuple à partir de mai 2010. On peut voir cette intervention ici http://www.cadtm.org/Intervention-d… , elle a eu beaucoup d’écho. Je n’ai rien à changer dans cette déclaration.

L’histoire se répète

Dans une étude réalisée en septembre 2015 deux économistes, Carmen Reinhart et Christoph Trebesch, analysent sous l’angle de la dépendance aux financements extérieurs, les crises de la dette que la Grèce a traversées depuis les années 1820 et son indépendance |60|. Ces deux auteurs, qui appartiennent au monde académique et qui adoptent une orientation favorable au système capitaliste, soulignent que les crises de dette qui ont frappé la Grèce à répétition sont largement le produit d’un afflux de capitaux privés étrangers suivi d’un arrêt de ce flux. Ils affirment que la crise qui affecte la Grèce et d’autres pays périphériques n’est pas une crise de dette publique, c’est avant tout une crise de dette externe (p. 1). Ils font le parallèle avec la crise de la dette extérieure qui a affecté l’Amérique latine dans les années 1980. Ils soulignent l’asymétrie de situation entre les pays débiteurs et les pays créanciers une fois qu’une crise a éclaté : alors que la Grèce a été plongée dans une dépression économique après 2010, l’Allemagne a connu une période de croissance. De même, les pays d’Amérique latine ont connu une dépression forte entre l’éclatement de la crise en 1982 et le début des années 1990, tandis que l’économie des États-Unis, qui était créancière des pays latino-américains, s’est relevée progressivement (p. 2).

Ils constatent que la période la plus prospère pour la Grèce sur le plan économique se situe entre 1950 et 2000, lorsque le financement était basé largement sur des ressources internes au pays et ne dépendait pas de l’étranger (p. 2).

Par contre, ils démontrent qu’à chaque crise de la dette extérieure que la Grèce a connue (ils en dénombrent 4 grandes), lorsque les flux provenant des créanciers privés externes (à savoir des banques) se sont taris, les gouvernements de plusieurs puissances européennes se sont coalisés pour prêter de l’argent public à la Grèce afin de venir en aide aux banquiers étrangers. Cette coalition de puissances a dicté à la Grèce des politiques correspondant à leurs intérêts et à ceux de quelques grandes banques privées dont elles étaient complices. Chaque fois, ces politiques visaient à dégager les ressources budgétaires nécessaires au paiement de la dette et impliquaient une réduction des dépenses sociales et des investissements publics. Sous des formes qui ont varié, la Grèce et le peuple grec se sont vu nier l’exercice de leur souveraineté. Cela a maintenu la Grèce dans un statut de pays subordonné et périphérique. Mes travaux historiques sur la dette grecque depuis les années 1820 |61| aboutissent à des constats qui ne sont pas très différents. Carmen Reinhart et Christoph Trebesch insistent sur la nécessité d’une très forte réduction de la dette grecque et rejettent les solutions consistant à rééchelonner le paiement de la dette (p. 17). De mon côté, dans la présente étude, je conclus qu’il faut annuler la dette réclamée par la troïka (FMI, BCE et Commission européenne).


Conclusion

La crise grecque qui a éclaté en 2010 a été provoquée par les banques (étrangères et grecques) et non par un excès de dépenses publiques de la part d’un État qui aurait été trop généreux sur le plan social. La crise s’est produite quand les banques privées étrangères ont fermé le robinet des crédits d’abord au secteur privé, ensuite au secteur public. Le soi-disant plan d’aide à la Grèce a été conçu pour servir les intérêts des banquiers privés et des pays dominants au sein de la zone euro. Les dettes réclamées à la Grèce depuis 2010 sont odieuses car elles ont été accumulées pour poursuivre des objectifs qui vont clairement à l’encontre des intérêts de la population. Les créanciers en étaient conscients et ils ont tiré profit de la situation. Ces dettes doivent être annulées.

Ce travail approfondit et confirme ce que la commission pour la vérité sur la dette grecque a démontré en 2015 tant dans son rapport préliminaire de juin 2015 que dans son rapport de septembre 2015 concernant le 3e mémorandum.

La prochaine étude abordera l’évolution de la crise bancaire entre 2010 et 2016, la restructuration de la dette grecque de mars-avril 2012 et la recapitalisation des banques.


Remerciements
L’auteur remercie pour leur relecture et leurs suggestions :
Thanos Contargyris, Alexis Cukier, Marie-Laure Coulmin, Romaric Godin, Pierre Gottiniaux, Fotis Goutziomitros, Michel Husson, Nathan Legrand, Ion Papadopoulos, Anouk Renaud, Patrick Saurin, Adonis Zambelis. Il remercie également Daniel Munevar qui l’a aidé dans ses recherches et à qui il a emprunté une série de graphiques.

L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.

 

Notes

|1| Les banques d’Allemagne ont été également sauvées avec de l’argent public mais vu la taille de son économie et les moyens à la disposition du gouvernement, l’Allemagne a été moins ébranlée que les autres économies.

|2| Volatils et spéculatifs, dans la mesure où ces flux ne visaient pas un investissement dans l’appareil productif des pays concernés mais principalement dans le crédit à la consommation, dans le crédit immobilier, dans l’achat de titres financiers notamment sur les places financières locales.

|3| À Chypre, la crise s’est manifestée en 2012 et a abouti à un mémorandum en mars 2013.

|4| Voir http://www.cadtm.org/Que-faire-des-…

|5| Papandréou en Grèce, Zapatero puis Rajoy en Espagne, le gouvernement irlandais, ainsi que, bien entendu, Merkel, Sarkozy (puis Hollande), les gouvernements des pays du Benelux…

|6| Christos Laskos & Euclid Tsakalotos, CRUCIBLE of Resistance. Greece, the Eurozone & the World Economic Crisis, Pluto Press, London, 2013, pp. 18 – 21

|7| On verra plus loin que grâce à la complicié des gouvernements successifs et des autorités de la zone euro, ces quatre banques en sont arrivées à contrôler 95 % du marché bancaire grec à partir de 2014.

|8| Rappelons qu’aux États-Unis à la même époque a éclaté la bulle boursière provoquée par la spéculation dans le domaine des dotcom. La bulle de l’internet (ou bulle des nouvelles technologies) éclate en effet à partir de mars 2000 aux États-Unis. La dégringolade commence. Sur la période 2000-2001, tous les profits réalisés depuis 1995 (145 milliards de dollars) par les 4 300 sociétés du Nasdaq (marché des valeurs technologiques) sont volatilisés.

|9| L’entrée effective de la Grèce dans la zone euro date du 1/1/2002.

|10| Tableau repris de C. Lapavitsas, A. Kaltenbrunner, G. Lambrinidis, D. Lindo, J. Meadway, J. Michell, J.P. Painceira, E. Pires, J. Powell, A. Stenfors, N. Teles : « The eurozone between austerity and default », September 2010. http://www.erensep.org/images/pdf/rmf/eurozone_reports/Eurozone-Report-2.pdf

|11| Le même phénomène s’est produit au même moment au Portugal, en Espagne, en Irlande et dans les pays d’Europe centrale et de l’Est.

|12| Les principaux détenteurs (c’est-à-dire les banques des pays mentionnés) des titres de la dette grecque sont selon l’infographie présentée : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni, tandis que les autres détenteurs sont regroupés dans la catégorie « reste du monde ». Cette infographie est reprise de C. Lapavitsas, op. cit., p. 11.

|13| Tiré d’un article du New York Times paru le 29 avril 2010 : “Germany Already Carrying a Pile of Greek Debt », http://www.nytimes.com/2010/04/29/b… consulté le 1er novembre 2016

|14| Dans le cas de la Grèce, l’exposition des fonds de pension grecs était forte et cela a coûté très cher aux retraités grecs et au système de sécurité sociale quand la Troïka a imposé en 2012 une réduction de 50% de la valeur des titres grecs (voir plus loin).

|15| Source : Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? Comment l’Europe de l’austérité menace la stabilité du monde, Éditions Les Liens qui Libèrent, Paris 2016, p. 216-218. http://www.editionslesliensquiliber…Les extraits du livre sont publiés avec l’aimable autorisation des Éditions Les Liens qui Libèrent.

|16| Ce tableau ainsi que le suivant est tiré de Patrick Saurin, “La « Crise grecque » une crise provoquée par les banques”, http://www.cadtm.org/La-Crise-grecq… consulté le 3 novembre 2016

|17| À noter que l’augmentation des dépôts des ménages et des entreprises s’explique pour une bonne part non par une augmentation de l’épargne de ces agents économiques, mais par les dépôts sur leurs comptes provenant des crédits octroyés par les banques, ou dit autrement l’augmentation des dépôts est en grande partie la conséquence de l’endettement de ces acteurs.

|18| Le ROE, Return on Equity ou « retour sur capitaux propres », mesure la rentabilité des capitaux propres d’une entreprise. Il est calculé en faisant le rapport entre le résultat net et les capitaux propres.

|19| Voir Patrick Saurin, “La « Crise grecque » une crise provoquée par les banques”, http://www.cadtm.org/La-Crise-grecq… consulté le 3 novembre 2016

|20| http://www.credit-agricole.com/modu…
Consulté le 3 novembre 2016

|21| Source : Les Grecs contre l’austérité – Il était une fois la crise de la dette, ouvrage collectif, Éd. Le Temps des Cerises, Paris, novembre 2015, 229 pages.

|22| Voir : http://www.statistics.gr/el/statist…

|23| IMF. (2009). Greece : 2009 Article IV Consultation. IMF Country Report No. 09/244. Retrieved from https://www.imf.org/external/pubs/f…

|24| L’eurosystème ou le Système européen de banques centrales (SEBC) est dirigé par les organes de décision de la Banque centrale européenne (BCE). Afin d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, la BCE et les banques centrales nationales peuvent : — intervenir sur les marchés de capitaux, soit en achetant et en vendant ferme (au comptant et à terme), soit en prenant et en mettant en pension, soit en prêtant ou en empruntant des créances et des titres négociables, libellés en monnaies communautaires ou non communautaires, ainsi que des métaux précieux ; — effectuer des opérations de crédit avec des établissements de crédit et d’autres intervenants du marché sur la base d’une sûreté appropriée pour les prêts.
Il est interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. Mais depuis 2010-2011, via différents programmes, la BCE achète massivement des titres de la dette publique auprès des banques privées ce qui les arrange très bien. Depuis 2015, dans le cadre du quantitative easing (« assouplissement quantitatif »), la BCE a encore augmenté les achats de dettes publiques souveraines auprès des banques.

|25| http://www.europarl.europa.eu/RegDa…)574400_EN.pdf

|26| Selon Christos Laskos et Euclide Tsakalotos, sur les 879.318 entreprises (toutes activités économiques confondues), 844.917 ou 96,1 % du total employaient entre 1 et 4 personnes ! Toujours selon les mêmes auteurs, en 2010, 58,7 % de la main d’œuvre salariée en Grèce travaillaient dans des entreprises de moins de 9 travailleurs, tandis que la moyenne dans l’Union européenne à 15, s’élevait à 41,1%. Source : Christos Laskos & Euclid Tsakalotos, CRUCIBLE of Resistance. Greece, the Eurozone & the World Economic Crisis, Pluto Press, London, 2013, p. 46.

|27| GreekReporter. (2015). Hellenic Postbank Scandal will Cost Greek State About 500 mln Euros. Consulté le 1erfévrier 2016. URL : http://greece.greekreporter.com/201…

|28| DW. (2014). Greek bankers embroiled in corruption scandal. Consulté le 1er février 2016. URL : http://www.dw.com/en/greek-bankers-…

|29| Ekathimerini. (2015). Minister says ATE bank scandal is biggest of its type. Consulté le 1er février 2016. URL : http://www.ekathimerini.com/200923/…

|30| Ibid.

|31| Reuters. (2012). Special Report : How a Greek bank infected Cyprus. Consulté le 1er février 2016. URL : http://uk.reuters.com/article/us-gr…

|32| ThePressProject. (2014). George Provopoulos : The most powerful man in Greece a few months ago, now a suspect in a bank probe. Consulté le 1er février 2016. URL : http://www.thepressproject.gr/detai…

|33| Ibid.

|34| Reuters. (2012). Op. Cit.

|35| Concernant le système des retraites en Grèce, voir : Michel Husson, « Pourquoi les réformes des retraites ne sont pas soutenables », publié le 28 novembre 2016, http://www.cadtm.org/Pourquoi-les-r…

|36| Le Monde, « Les Grecs se disent »humiliés« par les propos de Christine Lagarde », publié le 27 mai 2012, http://www.lemonde.fr/europe/articl…

|37| Les Money Market Funds (MMF) sont des sociétés financières des États-Unis et d’Europe, très peu ou pas du tout contrôlées ni réglementées car elles n’ont pas de licence bancaire.

|38| Finalement, dans le cadre du mémorandum de mai 2010, la BCE a accepté que les banques grecques puissent continuer à déposer auprès d’elle des titres grecs (à la fois des treasury bills qui sont d’une durée de moins d’un an et des titres souverains supérieurs à un an) afin d’obtenir du crédit qu’elles utilisaient ensuite pour rembourser leurs créanciers privés étrangers qui pouvaient ainsi se mettre totalement à l’abri. Il faut souligner que cette ligne de crédit a joué un rôle très important. La presse financière en a peu parlé.

|39| Le texte de cet encadré est tiré du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, Rapport préliminaire, juin 2015, chapitre 2, http://www.cadtm.org/Rapport-prelim…

|40| Commission européenne (2010). Report on Greek Government Deficit and Debt Statistics. En ligne : http://goo.gl/RxJ1eq, consulté le 12 juin 2015.

|41| Gouvernement grec (2010). Technical Report on the Revision of Hospital Liabilities.

|42| Ministère de la Santé et de la Solidarité Sociale (2010). Communiqué de presse.

|43| En mars 2010, l’institut en charge des statistiques officielle, le Service national des statistiques de la Grèce (NSSG) fut rebaptisé ELSTAT (Autorité hellénique des statistiques).

|44| Voici quelques exemples choisis parmi une pléthore de violations du droit européen : le respect du formalisme réglementaire et la nature des participations de l’État ; le critère de 50 %, en particulier l’exigence du système européen de comptabilité de 1995 ou ESA95 (par. 3.47 et 3.48) sur le subventionnement des produits ; cette violation génère une fausse définition du revenu en tant que coût de production ; le règlement ESA95 (par. 6.04) sur la consommation de capital fixe ; les règlements relatifs aux apports de capitaux ; la définition ESA95 des entreprises commerciales détenues par l’État (souvent considérées comme des entreprises publiques) comme ne relevant pas du secteur des administrations publiques ; l’exigence ESA95 d’une période continue de déficits avant et après le reclassement d’une entité économique.

|45| À noter que le responsable d’ELSTAT Andréas Yioryiou est actuellement jugé sur une accusation de conflit d’intérêt pour avoir cumulé ses fonctions à ELSTAT avec un emploi au FMI d’août à novembre 2010.
http://www.topontiki.gr/article/199…

|46| Selon la narration dominante, le « sauvetage des Grecs » est à la charge des contribuables de la zone euro ou de tel ou tel pays alors qu’en réalité ce sont les contribuables grecs (et plus précisément ceux d’en bas car c’est eux qui proportionnellement contribuent le plus à l’impôt) qui rembourseront. Les contribuables des autres pays sont garants d’une partie des crédits octroyés à la Grèce.

|47| Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? Comment l’Europe de l’austérité menace la stabilité du monde, Éditions Les Liens qui Libèrent, Paris 2016, p. 229-230.

|48| Renaud Vivien, Eva Joly, « En Islande, les responsables du naufrage bancaire n’ont pas pu acheter leur procès », publié le 20 février 2016, http://www.cadtm.org/En-Islande-les…

|49| Mayes, D. (2009). Banking crisis resolution policy – different country experiences. Central Bank of Norway.

|50| Pour en savoir plus lire : Eric Toussaint, Bancocratie, Aden, 2014, chapitres 8, 9 et 12. Voir également : Eric Toussaint, « Les banques bluffent en toute légalité », publié le 19 juin 2013, http://www.cadtm.org/Les-banques-bl…

|51| Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 56, December 2009.

|52| Le 1er janvier 2010, avant que n’éclatent la crise grecque et celle de la zone euro, l’Allemagne devait promettre un taux d’intérêt de 3,4% pour émettre des bons à 10 ans alors que le 23 mai 2012, le taux à 10 ans était passé à 1,4 %.

|53| Bank of Greece, Economic Research Department – Secretariat, Statistics Department – Secretariat, Bulletin of Conjunctural Indicators, Number 124, October 2009. Disponible sur www.bankofgreece.gr

|54| Après que la Commission eut rendu public les documents confidentiels les plus importants, tout a finalement été publié sur internet. Le verbatim : « Minutes of IMF Executive Board Meeting », May 9, 2010 ; le compte-rendu et le relevé de décisions : « Board meeting on Greece’s request for an SBA », Office memorandum, May 10, 2010. Grâce à notre travail d’enquête, ces documents sont devenus entièrement publics.

|55| A l’époque Christine Lagarde était encore ministre dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy. C’est au cours de l’année 2011, qu’elle est devenue directrice générale du FMI suite à la démission forcée de Dominique Strauss Kahn.

|56| Voir dans le résumé officiel de la réunion de la direction du FMI du 10 mai 2010, la fin du point 4 page 3, « The Dutch, French, and German chairs conveyed to the Board the commitments of their commercial banks to support Greece and broadly maintain their exposures.” http://gesd.free.fr/imfinter2010.pdf

|57| Voir dans le résumé officiel de la réunion de la direction du FMI du 10 mai 2010, le point 7 page 3 qui indique très clairement que plusieurs membres de la direction du FMI reprochent à la direction générale d’avoir silencieusement changé les règles http://gesd.free.fr/imfinter2010.pdf

|58| D’aileurs J.-C. Trichet a adopté exactement le même comportement à l’égard de l’Irlande six mois plus tard en novembre 2010.

|59| Source « Minutes of IMF Executive Board Meeting », May 9, 2010. Voir l’excellent article de Michel Husson sur toute cette affaire : Michel Husson, Grèce : les « erreurs » du FMI http://www.cadtm.org/Grece-les-erre…

|60| Carmen M. REINHART et Christoph TREBESCH, “The Pitfalls of External Dependence : Greece, 1829-2015”, Brookings Papers, 2015.

|61| Éric Toussaint, « La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse », publié le 12 avril 2016, http://www.cadtm.org/La-Grece-indep… et « Grèce : La poursuite de l’esclavage pour dette de la fin du 19esiècle à la Seconde Guerre mondiale », publié le 9 mai 2016, http://www.cadtm.org/Grece-La-pours…

L’article original est accessible ici