Par Sergio Alejandro Gómez 

Il était plus de 5h du matin et Fidel avait tenu une conversation pendant des heures. Evo Morales ne pouvait penser qu’à une seule chose : « Quand va-t-il me parler de Révolution ? »

C’était en 2002 et le leader bolivien était alors député pour le département combatif de Cochabamba. Il avait vu Fidel une dizaine d’années auparavant, lors de l’un de ces événements qui rassemblent à La Havane des militants sociaux du monde entier, mais il lui avait été impossible de le rencontrer personnellement à cette occasion.

« À l’époque, le grand souhait de chaque jeune était de connaître Cuba, ce qu’était la Révolution et rencontrer le commandant », raconte Evo Morales en interview avec Granma depuis Santiago de Cuba, où il est venu une fois de plus accompagner le peuple cubain en ces moments difficiles.

Lorsqu’il se trouva face à face avec Fidel après l’avoir écouté parler pendant plusieurs heures de la santé, de l’éducation et des responsabilités de l’État, il lui lança la question qui le taraudait depuis le temps où il était dirigeant syndical. Il pensait que le guérillero de la Sierra Maestra lui parlerait d’armes et de comment organiser le peuple pour la lutte, mais la réponse qu’il reçut fut très différente : « Evo, maintenant, vous devez faire comme Chavez et réussir à faire la Révolution avec le peuple. »

Quelques temps plus tard, Evo devenait le premier président amérindien de l’histoire de son pays, et la Bolivie rejoignait avec détermination le mouvement progressiste qui a marqué un changement d’époque en Amérique latine à partir de la victoire bolivarienne au Venezuela de Chavez.

« Lorsque j’ai été presque sûr que notre Révolution démocratique allait triompher en Bolivie, j’ai rencontré plusieurs dirigeants politiques. Je me demandais, soucieux, comment nous pourrions éviter un blocus économique comme celui que les États-Unis imposaient à Cuba si nous remportions les élections. Tous me disaient que je devais faire très attention, car les États-Unis étaient vindicatifs, et que je devais agir avec calme », se souvient-il.

Or, le discours de Fidel fut bien différent. « Premièrement, vous n’êtes pas seuls. Ici, il y a Cuba, Chavez au Venezuela, Lula au Brésil, Kirchner en Argentine. Deuxièmement, vous avez de nombreuses ressources naturelles. Troisièmement, vous n’êtes pas une île et vous pouvez compter sur les pays voisins. »

Evo raconte qu’il sortit de cette conversation convaincu de la nécessité de nationaliser les ressources naturelles. Rien que les hydrocarbures ont rapporté des milliards de dollars au développement du pays durant la dernière décennie, alors qu’avant qu’il ne soit président la Bolivie n’enregistrait que quelques centaines de millions, les transnationales engrangeant la plus grande partie des profits.

« Les paroles de Fidel ont toujours été de bon conseil, fermes et responsables », affirme-t-il. Près de 700 000 Boliviens ont été opérés gratuitement de la vue grâce à la Mission Miracle, une idée de Fidel et Chavez dont ont bénéficié des millions de personnes dans le monde. « Lorsque Fidel a parlé d’opérer 100 000 personnes, j’ai pensé que j’avais mal entendu », se souvient-il.

Face à un million de personnes rassemblées sur la Place de la Révolution de La Havane, Evo a avoué que Fidel allait lui manquer « Qui va m’apporter son enseignement ? Qui va me donner des conseils ? Qui va prendre soin de moi ? », s’est-il interrogé.

Quatre jours plus tard, il est revenu dans notre pays pour être auprès de Raul à Santiago de Cuba pour les funérailles. À la mort du commandant Chavez, il a aussi accompagné ses proches et les dirigeants vénézuéliens. Ensuite, il a pris la tête de la marche qui conduisait la dépouille du leader bolivarien jusqu’à la caserne de la Montaña.

« Le meilleur hommage à nos héros comme Chavez, Kirshner et spécialement Fidel, c’est l’unité et encore plus d’unité », a-t-il souligné.

Paraphrasant les paroles prononcées par Raul, Evo affirme : « Oui, il est possible » de construire une Amérique latine souveraine, égalitaire et unie. « Face à toute conspiration de classe : politique, militaire ou culturelle, l’important, c’est de rester toujours aux côtés du peuple. C’est ma petite expérience en tant que président. »

« Nous ne reverrons plus jamais Fidel physiquement, mais ses idées resteront pour toujours. Le plus important, c’est qu’il est mort invaincu, en dépit de tant d’attentats et de tant d’accusations », affirme-t-il.

Le président bolivien est persuadé que les futures générations continueront de parler du leader cubain et s’inspireront de son exemple. « De même que l’image du Che est toujours présente, désormais il y aura aussi l’image de Fidel. Ils seront une sorte d’attelage idéologique qui n’est pas présent physiquement, mais leurs luttes continueront et leurs idées se propageront dans le monde. Cela signifie que Fidel est présent pour l’éternité.

« Après ce que j’ai vu à La Havane et à Santiago de Cuba, je suis convaincu que la mort de Fidel s’est transformée en force et non en faiblesse. C’est une occasion de relancer toutes les révolutions », a-t-il conclu.

http://fr.granma.cu/cuba/2016-12-08/evo-morales-je-voulais-savoir-comment-on-fait-la-revolution

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