Fantastique journée. Elle sera marquée d’une pierre blanche dans l’histoire du monde contemporain, et du monde tout court.

Depuis le 6 août 1945, première explosion d’une bombe atomique « sur une cité populeuse », qui fit en un instant et à elle seule des dizaines de milliers de victimes, l’humanité vivait dans la hantise de l’apocalypse, avec le sentiment qu’elle ne pourrait jamais sortir de cette ère de terreur nucléaire.

Mais ce 27 octobre 2016 a vu trois événements se dérouler successivement à Paris, Bruxelles et New York, dirigés tous les trois vers la sortie de l’ère nucléaire, le dernier d’entre eux ouvrant la porte au changement d’ère.

Paris

A Paris, 101 députés et sénateurs publient un Appel à référendum sur la question : « Voulez-vous que la France négocie et ratifie avec l’ensemble des Etats concernés un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace ? »

Il ne s’agit pas d’une pétition ni d’une simple tribune. L’appel qu’ils adressent à leurs collègues et à tous les électeurs français, ces parlementaires l’ont assumé pour leur propre compte en cosignant une proposition de loi référendaire. Lorsque cette proposition aura obtenu en tout la signature de 185 députés et sénateurs (1/5 du Parlement), il lui faudra encore recevoir le soutien de 10% (environ 4,5 millions) des électeurs inscrits, pour que le peuple français, bâillonné depuis 70 ans, puisse enfin s’exprimer. Mais c’est la seule voie possible pour amener la France à changer de politique, et la voici ouverte, par des parlementaires pourtant souvent plus proches de la majorité gouvernementale que de l’opposition.

Bruxelles

Quelques heures plus tard, à Bruxelles, le Parlement européen examine et adopte par 415 voix POUR, 124 CONTRE et 74 abstentions, une résolution sur le même sujet.

Elle encourage l’Assemblée générale de l’ONU à convoquer en 2017 une conférence chargée de négocier un « instrument juridiquement contraignant » – un traité d’interdiction des armes nucléaires ; elle invite les Etats membres de l’Union européenne à soutenir la convocation d’une telle conférence et à participer de façon constructive à son processus ; elle invite la haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, à s’impliquer activement dans le processus de négociations.

Cette écrasante majorité n’a été possible que par une convergence des députés de gauche, du centre, de droite, par delà les clivages habituels.

Les parlementaires sont plus proches des électeurs que ne le sont les gouvernements.

New York

A New York enfin, vers 18h, heure locale (minuit, heure de Paris), la 1e Commission de l’Assemblée générale de l’ONU, celle du désarmement, examine une résolution déposée par 6 pays (Autriche, Brésil, Irlande, Mexique, Nigéria, Afrique du Sud) et déjà soutenue, au total, par 57 Etats. La salle est comble, c’est l’affluence des grands jours. 177 pays sont représentés. Le vote a lieu. Là encore,

une écrasante majorité se dégage en faveur de l’ouverture de négociations sur un traité d’interdiction : 123 POUR, 38 CONTRE, 16 abstentions. Ici toutefois, ce n’est plus un simple vœu. C’est une décision.

Elle devra encore être votée par l’Assemblée générale en séance plénière mais ce vote, programmé début décembre, n’est guère qu’une formalité puisque les pays votants seront les mêmes que ceux qui viennent de l’adopter, éventuellement augmentés de la quinzaine d’Etats membres de l’ONU absents cette fois-ci, et ce sont tous des pays non nucléaires, la plupart extérieurs au « parapluie nucléaire » américain.

L’enjeu est considérable car, comme l’ont dit deux semaines plus tôt des prix Nobel, si les négociations ouvertes en 2017 aboutissent à un traité d’interdiction, même si les Etats nucléaires n’y participent pas et refusent d’abord de le signer, ce traité « créera une nouvelle norme puissante, applicable aux armes nucléaires et les définissant non plus comme le symbole du statut des grandes nations, mais comme la marque d’infamie des Etats voyous ».

Les Etats nucléaires se dévoilent

Ont donc voté contre la résolution : 4 des 5 pays nucléaires à la fois signataires du TNP (Traité de Non Prolifération) et membres permanents du Conseil de sécurité : les Etats-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni – plus un Etat nucléaire officieux, qui n’est ni l’un ni l’autre : Israël. Les 33 autres opposants sont pour la plupart des alliés des Etats-Unis soit au sein de l’OTAN, soit en dehors comme la Corée du Sud, l’Australie et le Japon. Les Etats-Unis ont fait le forcing depuis plusieurs semaines pour les amener à voter contre. Ainsi, outre les deux Etats nucléaires de l’Union européenne, la France et le Royaume-Uni (encore membre de l’UE malgré le Brexit), la plupart des gouvernements européens ont voté contre l’avis du Parlement de Bruxelles, à l’exception notable des Pays-Bas qui se sont abstenus bien qu’ils hébergent des armes nucléaires américaines, mais dont le Parlement a imposé en mai dernier un changement de ligne à leur gouvernement.

Vote par pays – ICI

On note pourtant que 3 pays nucléaires se sont abstenus : la Chine, 5e membre permanent du Conseil de sécurité et signataire du TNP, l’Inde et le Pakistan, hors TNP. Un seul a voté pour la résolution… la Corée du Nord ! Cet « Etat-voyou » dénoncé récemment encore par la « communauté internationale » pour sa prolifération, s’est offert le luxe de dire oui à l’interdiction des armes nucléaires, renvoyant ainsi ses contempteurs dans le camp des Etats-voyous et mettant en évidence leur parfaite hypocrisie. Sans grand risque pour lui d’être désarmé, puisque ce sont eux qui se chargent de garder le temple nucléaire.

La résolution L41

Texte de la résolution (anglais) – ICI

S’inspirant des recommandations adoptées à Genève le 19 août 2016, avec le soutien de plus de 100 pays, par un groupe de travail ad hoc de l’ONU dont elle reprend les considérants, cette résolution :
-  décide de convoquer en 2017 une conférence des Nations Unies chargée de négocier un « instrument juridiquement contraignant » pour interdire les armes nucléaires et aboutir à leur complète élimination ;
-  encourage tous les Etats membres des Nations Unies à participer à cette conférence ;
-  décide que cette conférence se réunira à New York et suivra les règles de procédure habituelles de l’Assemblée Générale -à moins qu’elle n’en décide autrement- du 27 au 31 mars et du 15 juin au 7 juillet, avec la participation et la contribution des représentants d’organisations internationales et de la société civile ;
-  décide également que la conférence tiendra le plus tôt possible à New York une session d’organisation d’une journée ;
-  appelle tous les Etats participant à la conférence à faire tous leurs efforts pour conclure le plus rapidement possible un instrument juridiquement contraignant interdisant les armes nucléaires et conduisant à leur complète élimination ;
-  décide que la conférence soumettra un rapport sur les progrès qu’elle aura effectués à la 72e session de l’Assemblée générale (celle de fin 2017), qui constatera ces progrès et décidera de la suite à leur donner ;
-  demande au Secrétaire général de fournir le soutien nécessaire à la tenue de la conférence et de transmettre son rapport à diverses instances qui sont précisées ;
-  décide d’inscrire à l’ordre du jour provisoire de la 72e session de l’Assemblée générale un point intitulé « Avancement des négociations sur le désarmement nucléaire multilatéral ».

« What a fabulous day ! »

Le chemin conduisant à un monde sans armes nucléaires est encore long et semé d’embûches. Plus de 15 000 bombes sont encore suspendues au-dessus de nos têtes. Il faudra que les Etats qui les possèdent, stigmatisés par le traité d’interdiction qu’ils devront bien finir par signer, en viennent à négocier les modalités de leur propre désarmement. Et ce malgré leurs lobbies militaro-industriels et nucléaires qui tiennent toujours le haut du pavé. Les résistances seront immenses, on s’en doute.

Mais pour la première fois depuis 1945, l’apocalypse nucléaire cesse d’être une fatalité. Pour la première fois, l’abolition des armes nucléaires – leur interdiction, leur élimination totale – est devenue une perspective sérieuse.

Ce n’est plus un doux rêve d’illuminés. C’est inscrit sur le calendrier diplomatique des Nations Unies, de l’Europe, et même de la France – pourvu que le référendum ait lieu et permette au peuple français d’en décider.

En France et ailleurs, c’est aux peuples désormais de donner de la voix pour imposer aux gouvernements concernés -ils le sont tous, à commencer par ceux des Etats nucléaires- le passage des promesses aux actes et l’instauration effective d’un monde sans armes nucléaires.

Jean-Marie Matagne

contact@acdn.net

L’article original est accessible ici