Par David Krieger (*)

La Cour Internationale de Justice (CIJ), la plus haute Cour du monde, a émis son avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi des armes nucléaires le 8 juillet 1996. Cette semaine marque donc le 20ème anniversaire de cet avis capital.

La Cour estima dans un avis partagé (à 7 contre 7), par le vote prépondérant de son président Mohammed Bedjaoui, que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires était « généralement » illicite au regard du droit international. La Cour ne parvint pas à déterminer s’il serait légal ou illégal de menacer d’employer ou d’employer des armes nucléaires « dans une circonstance extrême d’autodéfense où l’existence même d’un Etat serait en jeu ».

La Haye (Pays Bas), le Palais de la Paix, siège de la Cour Internationale de Justice.
Photographie : CIJ-ICJ/UN-ONU, Capital Photos/Frank van Beek – Courtesy of the ICJ. Tous droits réservés.

Cependant, trois des juges ayant voté contre leur caractère « généralement illicite » le firent parce que le mot « généralement » ne leur convenait pas. Le juge C.G. Weeramantry, par exemple, exposa brillamment un avis divergent, d’après lequel « l’emploi ou la menace d’emploi des armes nucléaires est illégal en toutes circonstances, quelles qu’elles soient ». Ainsi, en réalité, dix des quatorze juges soutinrent l’illégalité, « générale » ou « totale », de la menace ou de l’emploi effectif d’armes nucléaires.

La Cour estima également, à l’unanimité, que toute menace ou tout emploi d’armes nucléaires devait être compatible avec la Charte des Nations Unies et devait aussi être compatible avec le droit international des conflits armés et particulièrement avec « les principes et les règles du droit international humanitaire ». Cela signifie que la menace d’emploi ou l’emploi d’armes nucléaires doivent pouvoir distinguer entre combattants et civils et ne doivent causer aucune souffrance superflue. Il est pratiquement impossible d’imaginer un usage quelconque des armes nucléaires qui satisferait à ces conditions restrictives.

En conclusion, la Cour estima qu’ « il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace ». Malheureusement, en dépit de cette obligation, de telles négociations n’ont jamais eu lieu au cours des vingt ans passés.

Un petit pays du Pacifique, la République des Iles Marshall, s’est référé à la conclusion de la Cour relative à cette obligation légale, pour introduire devant la Cour Internationale de Justice un important procès contre les neuf Etats nucléaires, et séparément contre les Etats-Unis devant la Cour fédérale des Etats-Unis. A la CIJ, seuls les procès contre le Royaume-Uni, l’Inde et le Pakistan se poursuivent actuellement, car les six autres pays nucléaires récusent la juridiction obligatoire de la Cour et n’acceptent pas de s’y soumettre en l’espèce.

Les procès introduits par les Iles Marshall devant la CIJ attendent actuellement sa décision relativement aux objections préliminaires faites par les trois pays incriminés. Le procès contre les Etats-Unis devant la Cour fédérale a été repoussé par celle-ci pour des motifs juridictionnels et est actuellement en appel devant la 9ème section de la Cour d’appel des Etats-Unis.

Les armes nucléaires sont des engins d’annihilation de masse. La CIJ a estimé que ces armes étaient généralement illégales et requis des négociations de bonne foi conduisant à un désarmement nucléaire intégral. Chacun des neuf Etats nucléaires est en infraction par rapport à cette obligation, au détriment des peuples du monde entier, y compris de leurs propres citoyens. La République des Iles Marshall a eu le courage de soumettre à nouveau la question à la CIJ par le moyen de procès contentieux.

Sur la non licéité des armes nucléaires, le Président de la Cour de l’époque, Mohammed Bedjaoui, a déclaré : « Les armes nucléaires, ce mal suprême, déstabilisent le droit humanitaire, qui est le droit du moindre mal. L’existence des armes nucléaires représentent donc un défi à l’existence même du droit humanitaire, sans parler de leurs effets à long terme sur l’environnement humain, au regard duquel le droit à la vie doit pouvoir s’exercer. »

Pour le 20ème anniversaire de l’avis consultatif de la CIJ sur l’emploi ou la menace d’emploi des armes nucléaires, les peuples doivent se réveiller, se lever et parler haut et fort. Les armes nucléaires sont illégales tout autant qu’immorales et ruineuses. Ce ne sont même pas des armes, ce sont des instruments d’annihilation massive. Elles n’ont aucune espèce d’utilité et mettent en danger tous les pays, tous les peuples, toutes les générations futures. Il est grand temps de mettre un terme à l’ère nucléaire.

 

(*) Auteur :
David Krieger est Président de la Nuclear Age Peace Foundation (www.wagingpeace.org). Il est l’auteur de « Zero : The Case for Nuclear Weapons Abolition ».

Traduction : Jean-Marie Matagne, ACDN

 

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