Par Rachel Knaebel

En Guadeloupe, une centrale géothermique produit de l’électricité renouvelable depuis trente ans, grâce aux réservoirs d’eaux chaudes des sous-sols. Le modèle pourrait être reproduit dans d’autres territoires d’outre-mer, en particulier dans les îles volcaniques. Mais au lieu d’investir dans cette énergie très peu polluante, EDF et l’État préfèrent s’en désengager, malgré les promesses de Ségolène Royal en faveur de la filière géothermie.

C’est la seule centrale électrique de géothermie, qui produit de l’électricité grâce à la chaleur de la Terre, raccordée au réseau sur le territoire français. Elle se trouve en Guadeloupe, et fonctionne depuis 1986. Elle est encore gérée par un établissement public, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), avec EDF comme actionnaire minoritaire. Mais voilà que l’État veut la privatiser !

La recherche d’un investisseur est en discussion depuis plusieurs années. Le 7 décembre, en pleine conférence climat, l’entreprise Ormat, basée aux États-Unis et en Israël, annonce avoir signé un accord de principe pour racheter 85 % du capital de la centrale guadeloupéenne [1]. « Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, et Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, ont tous les deux exprimé leur soutien à la décision d’Ormat d’investir dans l’amélioration et le développement de la centrale géothermique de Bouillante », se félicite l’entreprise basée qui a son siège au Nevada. Elle possède déjà des projets géothermiques aux États-Unis et au Guatemala, et participe à de nouveaux projets, du Kenya à la Nouvelle-Zélande. Elle va bientôt ajouter l’île française des Caraïbes à son portefeuille.

Un projet phare des territoires d’outre-mer

La centrale géothermique guadeloupéenne est pourtant l’un des projets phare des territoires d’outre-mer en matière d’énergies renouvelables. Construite par EDF à la fin des années 1970, elle a été raccordée au réseau dès 1986. Elle est, pour l’instant, la seule véritable centrale de production électrique qui turbine à la vapeur géothermique en France et dans les Caraïbes. La centrale électrique géothermique en activité en Alsace, à Soultz-sous-Forêts, fonctionne comme un site de recherche. Les autres centrales géothermiques françaises produisent de la chaleur, pour des réseaux de chauffage urbains. La centrale de Bouillante, elle, fournit 6% de l’électricité consommée par les Guadeloupéens [2].

La géothermie est une énergie renouvelable. Elle permet de produire de l’énergie à partir de la chaleur naturelle qui se trouve sous la surface de la terre, à plus ou moins grande profondeur. Dans le cas de la production d’électricité, les sources de chaleur des sous-sols sont des réservoirs d’eau à haute température (plus de 150°C), dont la vapeur, captée par forages, actionne des turbines. Ces réservoirs d’eaux bouillantes sont particulièrement accessibles dans des îles volcaniques comme la Guadeloupe, la Martinique ou la Réunion. La géothermie présente en plus l’avantage d’être une source d’énergie continue, à la différence du solaire et de l’éolien, qui dépendent des conditions météorologiques.

Pourquoi alors l’État français a-t-il choisi de vendre à une entreprise privée une centrale qui pourrait servir de modèle au développement des énergies renouvelables dans les départements et régions d’outre-mer ? Alors même que leur approvisionnement en électricité est, aujourd’hui, le plus souvent basé sur des centrales au fioul malgré le potentiel d’ensoleillement et de chaleur souterraine ? Depuis 2010, la centrale de Bouillante a connu une succession de problèmes techniques. En 2012, la centrale a connu un mouvement social de plusieurs mois, avec comme revendication l’embauche de personnels compétents pour assurer la maintenance.

EDF se désintéresse de la géothermie

Au lieu d’investir dans le projet, EDF décide de réduire sa participation au capital de la centrale à un niveau symbolique. Au même moment, le groupe énergétique public abandonne un projet de production électrique géothermique basé sur l’île voisine de la Dominique, qui aurait aussi fourni en électricité la Guadeloupe et la Martinique. Engie (ex-GDF-Suez) ne se montre pas non plus intéressée. L’entreprise développe pourtant la géothermie électrique en Indonésie et au Mexique [3].

« Actuellement, la centrale a une capacité de production de 15 MW. Mais, en réalisant des forages supplémentaires, il y a la perspective d’augmenter la capacité, sur la base des recherches déjà réalisées par le BRGM », précise Alain Gadalia, délégué CGT du BRGM et ingénieur en géothermie. Des recherches réalisées par l’établissement public vont donc aujourd’hui profiter à l’entreprise Ormat, qui prévoit d’atteindre une capacité de 45 MW d’ici 2021. « L’unité la plus ancienne de Bouillante a été entièrement rénovée il y a deux ans. Il ne reste plus que les investissements des forages à faire pour augmenter la production. »

La loi de transition énergétique adoptée en août annonçait l’élaboration d’une « stratégie nationale de développement de la filière géothermie dans les départements d’outre-mer ». Cette stratégie se concrétise pour l’instant par la vente au privé de l’une de deux seules centrales électriques à géothermie du pays.