Par Gwenaël Breës , Zoe Konstantopoulou (*)

On connaît Zoe Konstantopoulou comme la seconde femme à avoir pris le rôle de présidente du Parlement grec. Largement élue à ce poste en tant que membre de Syriza au début du mois de février 2015, elle le quitta le 4 octobre de la même année, cette fois comme membre d’Unité populaire — un parti formé après l’annonce des élections anticipées. Tout au long de ces huit mois, Konstantopoulou a marqué les esprits pour son travail au sein de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque autant que pour son respect des règles démocratiques, son opposition forcenée à la capitulation du gouvernement Tsípras et sa pugnacité à contredire l’affirmation que celui-ci n’avait pas d’autre choix… Elle s’est moins exprimée sur la question monétaire, sa vision actuelle des « plans B », ou encore sa courte mais intense expérience de l’exercice du pouvoir : nous la retrouvons à Bruxelles, dans le hall de son hôtel — l’échange se fait en français. Un éclairage de l’intérieur sur ces quelques mois qui ont chamboulé l’Europe et trahi les espoirs du peuple grec.

On connaît votre parcours d’avocate spécialisée dans les droits de l’homme, mais moins votre parcours politique avant de rejoindre Syriza. Quel a-t-il été ?

En tant qu’étudiante, j’ai été membre des représentations syndicales des étudiants, au sein de syndicats indépendants. Dans mon parcours, je n’ai jamais cherché à m’inscrire dans des partis politiques ; la première fois que j’ai participé à un processus électoral, c’était lors des élections européennes de 2009, sur la liste de Syriza dont je n’étais pas membre. Je me suis présentée non pas pour être élue, mais pour soutenir cette liste. En 2012, j’ai été élue et c’est alors que je me suis faite membre de Syriza. C’était au moment où le parti s’était unifié et se concevait comme celui de ses membres ; c’est justement ce pari qui m’avait incité à rejoindre un parti politique, pour la première fois. Et c’est l’échec de ce but proclamé qui, à mon avis, a conduit à la dissolution de Syriza. Car, en vérité, ce qui apparaît comme Syriza aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le Syriza dont j’ai fait partie.

La victoire de Syriza aux élections de janvier 2015 n’était pas une surprise. Dans la période qui a précédé, vous faisiez partie de son « cabinet fantôme ». Comment étiez-vous préparés au sein de cette équipe à l’accession au pouvoir, et notamment aux négociations qui s’annonçaient avec les créanciers ?

Ce qui est déplorable, c’est que toute la préparation faite au sein des « cabinets fantômes » (c’est-à-dire des personnes et des équipes chargées chacune d’un domaine) n’a pas été utilisée. Et dans plusieurs domaines, elle n’a pas été valorisée. En ce qui concerne les questions de justice, de transparence, de corruption et de droits de l’homme, dont j’étais en charge, le travail accompli n’a même pas fait l’objet d’une séance officielle de présentation. Après les élections, j’ai pris l’initiative de rencontrer le ministre de la Justice pour lui faire part de tout le travail préparatoire accompli, mais ce n’était pas organisé par le parti. De la même manière, les gens qui étaient en charge de la préparation, dans plusieurs autres domaines, n’ont pas été consultés pour la mise en place du travail gouvernemental.

Pour quelles raisons ?

C’est une question à poser au Premier ministre, Aléxis Tsípras. L’équipe était dirigée par Aléxis Mitrópoulos. Le futur vice-président du gouvernement, Ioánnis Dragasákis, et Dimítris Stratoúlis y participaient aussi. Il y a eu ce phénomène des comités de préparation qui n’allaient pas jusqu’au bout ou qui étaient dépossédés de leur mandat au cours des mois. Je ne peux que souligner le fait qu’on a été plusieurs à dire que ce travail préparatoire était indispensable et devait continuer. En ce qui me concerne, ayant été aussi chargée d’un comité formé au sein du groupe parlementaire pour suivre la législation sur les mémoranda et préparer leur abolition, j’ai signalé à plusieurs reprises qu’il fallait davantage de préparations. Pour ce comité spécifique, j’ai envoyé une lettre à Aléxis Tsípras en juin 2014 pour lui dire qu’il fallait soit s’assurer que le comité fonctionne, soit le dissoudre. Je lui signalais aussi que cette préparation contre les mémoranda est un travail très sérieux pour lequel on ne peut pas compter tout faire après les élections.

Ce qui est frappant lorsqu’on regarde les événements rétrospectivement, c’est que le chantage des institutions était déjà très clair dès le 4 février et que la capitulation ne date pas du 12 juillet, mais du 20 février, lorsqu’un premier accord est signé et replonge la Grèce dans une logique de mémoranda. Comment expliquer que le gouvernement n’ait pas profité du temps dont il a disposé jusque fin juin pour préparer des alternatives ?

À mon avis, la situation est plus grave que ça. Si le gouvernement n’a pas créé lui-même des outils et des alternatives, le Parlement en a créé au moins trois : la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, le Comité pour la revendication de réparations de la part de l’Allemagne pour la Deuxième Guerre mondiale (le rapport d’un comité du Ministère des Finances estime ces réparations entre 278 et 340 milliards d’euros), et aussi le Comité sur les institutions et la transparence qui a rouvert deux affaires de corruption de grande ampleur, l’affaire Siemens et l’affaire de la liste Lagarde. Ces affaires concernent non seulement de la corruption au sein du gouvernement grec, mais aussi dans ses rapports avec d’autres gouvernements et avec les institutions européennes. La liste Lagarde a été remise au ministre des Finances qui a signé le premier mémorandum, Giórgos Papakonstantínou. C’était une liste des déposants grecs à la banque HSBC en Suisse, qui n’a jamais été enregistrée au Ministère des Finances ni utilisée pour récupérer des taxes et des produits de ces crimes économiques. Christine Lagarde, qui était la source de cette liste et qui est maintenant la directrice du FMI, n’a jamais demandé à la Grèce pourquoi elle n’a pas utilisé cet outil si précieux. Donc il y avait au sein du Parlement des outils créés et des alternatives, des biais à suivre qui auraient pu être des arguments très forts dans les négociations ! Le 25 février, lors d’une réunion de notre groupe parlementaire pour discuter de l’accord du 20 février (présenté par le Premier ministre et son cabinet comme une victoire), je faisais partie de ceux qui disaient que c’était un désastre. Qu’il fallait sortir de ce renouvellement des mémoranda qui nous plaçait dans le même cadre que celui des précédents gouvernements. Qu’il fallait surtout éviter d’accepter toute formulation disant que la Grèce allait payer le remboursement total de la dette, sans aucune restructuration. Qu’il fallait se créer des outils et des procédures pour sortir de cette logique. Et c’est ce que j’ai fait depuis ma position de présidente du Parlement. Non seulement le gouvernement n’a pas fait la même chose, mais en plus il n’a pas utilisé ce qui lui a été préparé et servi.

À ce moment-là, y a-t-il encore du débat au sein de Syriza, ou est-ce l’équipe gouvernementale qui prend toutes les décisions ?

Malheureusement, le groupe parlementaire de Syriza s’est très peu réuni. Les informations étaient très limitées. En tant que présidente du Parlement, j’avais accès à des informations seulement lorsque je discutais avec le Premier ministre — et à des intervalles éloignés. Les membres du groupe parlementaire s’informaient via les médias. Il était impossible de discerner ce qui était de l’ordre de l’information ou de la propagande, quelqu’en soit la provenance ; ce qui fait que les parlementaires ne savaient pas répondre à leurs concitoyens.

D’après Éric Toussaint, porte-parole du CADTM international, si le gouvernement grec n’a pas osé toucher aux banques, c’est en partie à cause de la proximité de Ioánnis Dragasákis et de Geórgios Stathákis avec certaines banques privées. C’est exact ?

À propos du fait que le gouvernement n’a pas touché aux banques — ce qui est un résultat déplorable —, je dirais qu’il faut demander des réponses à Monsieur Dragasákis. Il était chargé de cet aspect. En ce qui me concerne, j’ai à plusieurs reprises cherché des réponses auprès de lui, non seulement sur la question des banques mais aussi à propos de tous les aspects du programme de Syriza qui n’ont pas été réalisés. C’était lui le responsable pour l’application du programme. Le fait qu’il y ait eu un échec total, ou une absence d’actions dans les domaines dont il est responsable, devrait mener à des conséquences. Pourtant, il a été reconduit au poste de vice-président du gouvernement. Cela pose la question très sensible de savoir quels étaient les accords internes entre Messieurs Dragasákis et Tsípras. Je répète qu’aucun des engagements de Syriza dans les domaines dont il est responsable n’a été honoré. Et, normalement, quand il y a un échec, il doit y avoir une conséquence…

Quid des démarches effectuées par le gouvernement Tsípras envers des pays tiers (notamment auprès de la Russie, de la Chine ou du Venezuela) ? Pourquoi n’ont-elles pas mené à une diminution de l’emprise de l’Union européenne sur la Grèce ?

Je n’ai pas assez d’informations là-dessus.

On sait que le gouvernement grec a voulu mobiliser les États-Unis pour faire pression sur Angela Merkel, mais on en sait peu sur le rôle précis de la diplomatie américaine dans les négociations les créanciers. Le Parlement a-t-il été informé sur ce sujet ?

Non. À mon avis, s’il y a bien sûr des aspects secrets à la diplomatie, il y a aussi des choses évidentes qui ne peuvent être cachées. S’il y a bien un domaine dans lequel on aurait pu utiliser l’expérience américaine, c’est celui de la lutte contre la corruption, et notamment dans l’affaire Siemens où les États-Unis ont imposé des amendes importantes et obtenu des remboursements. S’il y avait vraiment eu une coopération fructueuse, ils auraient valorisé cette expérience — chose qui n’a pas été faite.

Vous avez déclaré que le gouvernement Tsípras a gardé le peuple grec hors des négociations avec les créanciers…

Oui, le peuple était mésinformé — voire pas informé du tout sur les négociations. Le peuple a été désorienté par des déclarations répétitives destinées à le calmer, à lui dire que tout allait bien et qu’il y aurait un accord, alors qu’on ne savait pas sur quoi était basée cette affirmation. Moi je n’ai jamais eu d’éléments concrets montrant qu’il y aurait un bon accord. Il y avait tout un peuple qui, dès le début, est sorti dans les rues pour soutenir ce gouvernement afin qu’il négocie et revendique en son nom, et cela n’a pas été valorisé. À mon avis, la mobilisation et la souveraineté populaires étaient des armes très puissantes que le gouvernement n’a pas su ou pas voulu utiliser.

Lors des élections de janvier, puis lors du référendum, il y a aussi eu une vague d’espoir dans toute l’Europe et l’expression d’une solidarité avec le peuple grec. Dans le débat public en Grèce, la conscience existait-elle que ce qui se passait était potentiellement très fédérateur et mobilisateur dans toute l’Europe ?

Oui, cela faisait partie de la conscience populaire que ce qu’on faisait en Grèce était historique au niveau européen, et même mondial. Notre discours politique, durant toute la période d’avant l’accession au pouvoir, soulignait cette dimension d’un changement pour l’Europe et pour le monde entier. Mais ça a été détruit par le gouvernement. La capitulation a aussi ciblé cet espoir et cette solidarité. C’est pourquoi il y a une responsabilité très grave chez ceux qui ont décidé et implémenté la capitulation, parce qu’elle s’étend hors des frontières de la Grèce.

Pendant la campagne du référendum, il est apparu que la question posée n’était pas claire et que beaucoup de Grecs ne voyaient pas quelle pouvait en être l’issue — que le verdict soit « oui » ou « non ». D’autant plus que, le 30 juin, alors qu’il menait campagne pour le « non », Tsípras écrivait aux créanciers pour leur proposer un accord qui revenait déjà à capituler. Ce référendum a-t-il vraiment été organisé pour être gagné ?

Je n’ai pas du tout la même lecture de la perception de la question de la part des citoyens. Même s’ils n’avaient pas les connaissances pour décoder les textes des créanciers (au jargon économique, financier et juridique), ce qui était très clair c’est que les créanciers demandaient la continuation des mesures d’austérité, du cadre des mémoranda, des atteintes à la souveraineté populaire et nationale, à la démocratie et à la fonction parlementaire, et qu’ils demandaient encore des mesures pour payer une dette qui n’est pas celle des citoyens grecs. Je crois que les citoyens ont très bien compris que la question était de savoir si on allait céder à ce chantage ou si on allait lutter. Et je pense que ceux qui ont dit « non » — c’est-à-dire un pourcentage très important, si on tient compte du fait que les banques étaient fermées pendant une semaine (chose sans précédent en Grèce) et qu’il y a eu une propagande terroriste de la part des médias et des créanciers — étaient très conscients.

Quant à l’intention réelle qui se trouvait derrière la proclamation du référendum, c’est une question très intéressante. Je peux vous dire que mon but en tant que présidente du Parlement, c’était de protéger la démocratie et de rejeter ce chantage. Le but déclaré du gouvernement, c’était de gagner le référendum. Mais durant la semaine de campagne, il y a eu des interventions de la part de membres du gouvernement qui étaient tout à fait contraires à ce but et qui n’allaient pas dans le sens de protéger la procédure. Par exemple, des déclarations de M. Dragasákis, le mardi 30 juin, disant que le référendum serait annulé. En tant que présidente du Parlement, j’ai clarifié publiquement qu’il n’y avait aucune manière de retirer un référendum décidé par le Parlement. Tsípras a aussi fait des interventions qui allaient dans le sens de gagner. Ma conclusion est que Tsípras ne pensait pas qu’il allait gagner. Je pense qu’il avait perdu le sens de la société, et c’est pourquoi il avait l’air aussi surpris par l’ampleur de la manifestation pour le « non », le 3 juillet — la plus grande organisée à Athènes depuis quarante ans.

Yánis Varoufákis a expliqué qu’au soir de la victoire, le 5 juillet, il est allé dans le bureau du Premier ministre où il a trouvé Tsípras et les membres du cabinet restreint avec des mines sombres…

Je suis aussi allée dans le bureau de Tsípras ce soir-là, avant de rejoindre la place Syntagma. Outre Tsípras, Dragasákis et Varoufákis, il y avait Alékos Flambouráris, Níkos Pappás, Euclide Tsakalotos et Dimítrios Papadimoúlis, le vice-président du Parlement européen : il est vrai que le climat n’était pas positif. Je leur ai amené un paquet d’exemplaires du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette, je l’ai distribué à tout le monde et je leur ai dit : « Maintenant, il faut valoriser ce travail. » Bien sûr, il n’y a eu que Varoufákis qui l’a pris avec intérêt. Tsakalotos m’a demandé de lui donner en anglais pour mieux le comprendre, alors qu’il l’avait déjà reçu. Dragasákis l’a mis de côté…

L’argument qui est toujours utilisé pour conclure qu’en Grèce aucun gouvernement ne pourrait légitimement aller vers une sortie de l’euro, c’est que le peuple serait très attaché à cette monnaie. Le débat sur la question monétaire a-t-il vraiment eu lieu en Grèce ?

Avant de tirer des conclusions sur l’attachement du peuple à une monnaie, il faudrait une méthode crédible pour tester cette hypothèse. La question de la monnaie n’a jamais été posée au peuple. Cela concerne aussi le moment où le pays a rejoint la zone euro. Ce n’est pas le peuple qui a pris cette décision, c’était un des gouvernements grecs les plus corrompus, celui de Konstantínos Simítis (Pasok) dont plusieurs membres sont impliqués dans de grandes affaires de corruption, dont l’affaire Siemens. On fait en sorte que la question de la monnaie ne soit pas posée ni discutée. Il faut quand même dire que le peuple grec est très attaché à la démocratie. Il n’accepterait pas de céder la démocratie pour une monnaie, quelle qu’elle soit. Ce qui est adressé au peuple, en ce moment, c’est un chantage direct : « Ou bien l’euro, ou bien la démocratie. » Dans ce dilemme, je suis persuadée que le peuple déciderait majoritairement pour la démocratie. Et il est vraiment honteux qu’il y ait eu un gouvernement qui a répondu à ce dilemme en sacrifiant la démocratie.

Lors des élections anticipées de septembre, vous étiez candidate sur les listes d’Unité populaire, un nouveau parti, favorable à une sortie de l’euro, alors que vous semblez marquer une certaine distance sur ce point du programme…

Je ne veux pas prétendre être ce que je ne suis pas. Je ne suis pas économiste et je ne suis pas convaincue qu’on sache tout ce qu’on doit savoir sur la question de la monnaie commune en ce moment. Ce que je sais, par contre, car je suis juriste, c’est que les dispositions européennes concernant la fonction de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et de la monnaie européenne sont violées par ceux-là mêmes qui sont censés en être les garants. En ce moment, l’euro n’est pas utilisé comme une monnaie, mais comme une arme contre des populations. Et quand il y a une attaque contre la population, même si l’arme est une monnaie, le devoir est de défendre la population. Je ne peux pas dire ce qui se passerait si les dispositions étaient respectées, mais je sais que l’Europe n’a pas été fondée pour servir une monnaie. C’est la monnaie qui a été créée pour servir le but principal et fondateur de l’Europe, qui est la prospérité de ses peuples et de ses sociétés. En ce moment, on a en Grèce une société qui souffre, qui vit une crise et un désastre humanitaires liés à des politiques décidées au sein de l’Union européenne en violation des dispositions européennes. De mon point de vue, la question n’est pas monétaire ni économique, la question est profondément politique, démocratique et sociale.

Unité Populaire a échoué à entrer au Parlement. Quelles leçons en tirez-vous ?

Pendant cinq années, les créditeurs ont fait la guerre à toute procédure démocratique. Ils n’étaient jamais contents quand il y avait des élections en Grèce, qu’à chaque fois ils présentaient comme un danger contre l’économie. Ils étaient très mécontents avec le référendum. La première fois qu’ils étaient contents d’un processus électoral, c’est quand Tsípras a décidé de dissoudre ce Parlement qui comptait une bonne partie de députés refusant la capitulation. Pour moi, ces élections étaient conclues avec les créditeurs pour se débarrasser de ceux qui résistaient. Elles étaient faites pour qu’il soit impossible, ou presque impossible d’avoir une représentation politique de la gauche anti-mémoranda et anti-austérité. De mon point de vue, il était fort improbable que l’Unité populaire, ou tout autre effort de mobilisation, puisse aboutir dans un délai aussi court. Donc, en toute sincérité, je n’ai pas vécu cela comme un échec, mais comme une lutte qui devait être menée et à laquelle j’ai ressenti le devoir de participer. C’est pourquoi j’ai collaboré tout de suite avec les camarades de l’Unité populaire, même s’il n’y avait pas le temps de formuler un programme complet ni de créer une structure et des procédures collectives pourtant indispensables. Il était fort probable, dès l’annonce des élections anticipées le 20 août, que le pari des créanciers serait gagné — et c’est pourquoi j’ai insisté sur le fait que tout le monde devait mener cette bataille, même si la gauche était extrêmement traumatisée par ce qui venait de se passer. Beaucoup de gens ne sont pas allés voter. Beaucoup se sont laissés avoir par le dilemme qu’on cherchait à leur imposer : « Ou bien ce sera le retour de l’ancien régime, ou bien ce sera Syriza. » Alors que ce n’était plus du tout Syriza, ce n’était plus qu’une fausse étiquette. Le résultat des élections est l’aboutissement du plan des créanciers. Mais le fait qu’on ait tenté de s’organiser, même dans des conditions d’urgence, et qu’on ait presque réussi à contredire ce plan était un premier pas vers la reconstruction et le rassemblement de la gauche radicale, de la gauche des mouvements sociaux qui est toujours un élément vital et indispensable dans la société grecque.

Vous êtes l’une des signataires de l’appel au « sommet du plan B », aux côtés d’autres signataires ayant des positions notoirement différentes (par exemple, Fassina plaide pour des « fronts de libération de l’euro », y compris avec les droites nationalistes). Ce texte prône la renégociation des traités européens. Après tout ce qui s’est passé cette année, comment croire qu’il y a encore moyen de changer l’Europe de l’intérieur ?

Ça dépend de nous.

Mais la perspective de créer un rapport de forces suffisant n’est-elle pas très lointaine, voire improbable ?

Tout dépend de la volonté politique et sociale. L’expérience de la Grèce a démontré que ce qui a manqué, c’était la volonté politique de la part d’une minorité gouvernementale — hélas dirigeante… Mais la volonté sociale et la volonté du peuple ne manquaient pas. Je suis sûre que si cette volonté populaire se combinait avec la volonté politique de représentants sérieux et sincères, cela pourrait aboutir à des conséquences tout à fait différentes au sein de l’Europe. Il faut dire que le problème, ce n’est pas seulement les textes mais la violation totale de textes qui ne décrivent que ce qui devrait aller de soi. Non, ce n’est pas un rêve d’imaginer une autre Europe. De toute façon, je ne serais pas prête à faire cadeau de l’Europe à ceux qui veulent la transformer en cage pour les peuples et les sociétés.

Vous insistez sur le rôle du peuple et des mouvements sociaux dans la démocratie. Dans quel état sont-ils, en Grèce ?

On assiste à un choc dans la société et au sein de la gauche, mais je pense que, petit à petit, les mouvements vont se revitaliser puisqu’il y a une atteinte directe à tout ce qui fait l’objet de la mobilisation de ces mouvements.

La Commission pour la vérité sur la dette publique grecque s’est temporairement arrêtée le 5 octobre. A-t-elle un avenir et quel rôle pensez-vous y jouer ?

Je ne suis pas quelqu’un qui envisage la politique comme une profession. Je crois que le premier devoir des politiciens est d’être des citoyens. Je n’ai aucune difficulté à continuer, depuis ma place de citoyenne, tout ce que je faisais comme membre du Parlement. La Commission pour la vérité sur la dette publique grecque n’est pas encore abolie, même si je pense que le nouveau président du Parlement va essayer de l’éteindre. Mais les membres de la Commission ont la volonté de continuer et nous avons déjà programmé une prochaine réunion en janvier ou en février. Donc il y aura une suite. Il ne faut pas oublier que cette Commission n’est pas une idée qui a émergé au sein du Parlement, elle a été initiée par la revendication et le rêve de toute une société en 2011. Elle est née au sein des mouvements sociaux et elle n’a été que rebaptisée et structurée par le Parlement. Maintenant, elle va sans doute continuer en fonctionnant d’une autre manière, parce que comme son nom l’indique, c’est une commission de vérité — et la vérité est liée avec la notion de perpétuité.

 

(*) Auteurs

Gwenaël Breës, est un militant urbain, réalisateur et journaliste. Il a notamment écrit un ouvrage sur Bruxelles et la destruction du quartier du Midi.
Zoe KonstantopoulouAvocate et femme politique grecque. Députée du parti de la gauche radicale Syriza, qui a gagné les élections législatives du 25 janvier 2015 en Grèce, a été élue le 6 février 2015 présidente du parlement. Elle est, à trente-huit ans, la plus jeune présidente de la Vouli et la deuxième femme seulement à exercer cette fonction.

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