Dans le cadre du projet Climat et quartiers populaires, Reporterre a organisé une rencontre dans les quartiers nord de Marseille, à la Busserine. On a écouté « Le Rap du Climat » et parlé environnement. Afin de jeter un pont entre la planète et les préoccupations du quotidien.

- Marseille, reportage

Ni trafic de drogue ni règlement de compte, ni violence. A Marseille, dans les quartiers, on peut réfléchir au climat, à l’environnement, le chanter et le jouer. Et le 4 novembre, Reporterre a organisé une rencontre à la Busserine, pour présenter en public le clip de rap que les jeunes du centre social L’Agora ont réalisé sur ce sujet.

Dans la salle, une petite trentaine de participants, composée pour moitié d’habitants du quartier. Parmi lesquels certains des neuf jeunes, âgés de 13 à 17 ans, qui ont composé et réalisé ce morceau. Les autres sont excusés : ils travaillent leur cours ou sont punis pour ne pas les avoir assez révisés, comme Hatem – « une décision collective avec les parents », explique l’animatrice. Mais les absents ont souvent tort : entre une simulation de négociation internationale sur le climat organisée en jeu de rôle ou un atelier pratique pour expliquer le mécanisme des gaz à effet de serre, l’animation de vulgarisation scientifique de l’association les Petits Débrouillards, en seconde partie de soirée, a presque autant séduit le jeune public que la collation de fin – « la première fois qu’on voit un buffet bio ici ! » s’exclamait une habituée des lieux.

« Un beau contrepoint à l’image négative des jeunes des quartiers Nord »

Ceux qui ont fait le déplacement pour rejoindre le centre social ont réalisé une gageure : les quartiers nord sont enclavés, séparés du reste de la ville par le barreau autoroutier, presque abandonnés par les transports en commun et non-atteignables en vélo. Mais, pour Rémi Carrodano, président du collectif Climat Aix-Gardanne, l’opportunité d’un rap sur le climat était trop belle : « Je me souviens d’un rappeur marseillais qui avait fait une chanson sur les gaz de schiste, il y a quelques années… Le rap est un moyen d’expression important, qui permet de porter un message plus fort que dans la chanson française traditionnelle. Il faut l’encourager. »

Expérimental, le clip Je survole le terre et je vois… fait en tout cas consensus. Diffusé sur plusieurs radios, il est reconnu pour sa qualité. Jefferson, des Petits débrouillards, déguisé en secrétaire exécutif des Nations unies pour la simulation et dont le costume-cravate tranche avec le code vestimentaire du reste de l’assemblée, dit prendre « une claque » lorsqu’il le découvre en direct :« Les paroles sont bien posées, sur un rythme bien posé lui aussi. Les images sont bonnes, le clip se regarde facilement… Il n’y a rien à dire, tant sur le fond que sur la forme. » D’autres voient plus loin : « La qualité du rendu est exceptionnelle et offre un beau contrepoint à l’image si négative de ces jeunes des quartiers Nord. Il se pose la question de sa diffusion à plus large échelle, à l’approche de la COP 21 », s’enthousiasme Catherine Vestieu, directrice d’une association culturelle et conseillère municipale des 15e et 16e arrondissements de Marseille.

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Jefferson, jouant le secrétaire exécutif des Nations unies pour la simulation des négociations de la COP 21.

Quelqu’un, dans le public, invite la troupe à la grande marche du 29 novembre prochain qui s’organise partout dans le monde. Pourquoi ne pas faire de ce morceau l’hymne officieux de la mobilisation marseillaise ? Timides, les jeunes artistes ne font pas preuve d’autant de ferveur. En coulisse, Nasser explique qu’il a beaucoup de boulot, entre sa classe de seconde et son job d’animateur. Aurélie Moulin, la pilote du projet avec l’atelier d’écriture rap, reconnaît qu’au démarrage, l’entrain était… mesuré : « L’association entre rap et environnement n’est pas évidente », concède-t-elle.

Émilie Massemin, la journaliste de Reporterre qui coordonne le projet Climat et quartiers populairesrappelle son objectif : « On n’entend jamais la voix de ces habitants sur les sujets environnementaux, on a voulu leur donner la parole. » Pourtant, quand le quotidien de l’écologie a débarqué à l’Agora pour proposer d’écrire sur le climat, c’était un peu la soupe à la grimace. Les jeunes n’avaient jamais planché sur le sujet. « Il n’y a pas beaucoup de vert, nos quartiers sont les oubliés de l’aménagement environnemental », glisse Aurélie, par ailleurs professeur d’histoire-géo dans ces mêmes quartiers.

« Aujourd’hui, il n’y a plus que la crise »

Dans ce clip, la poétique du rap opère à plein, avec son propre langage : « “Réchauffement de la planète’’, ‘’gaz à effet de serre’’, ‘’salinisation des terres’’… ce ne sont pas des termes très hip-hop. On a cherché à établir un autre champ lexical, avec leurs propres mots. Il ne fallait pas aseptiser l’aspect rap ni imposer aux jeunes notre vocabulaire scientifique. Cela donne un résultat moinsCOP 21, c’est sûr, mais peut-être plus sensible et créatif », assume Aurélie, qui voit un intérêt mutuel à cette démarche : « Travailler sur l’environnement permet aussi de déconstruire une certaine image du rap, aujourd’hui très commercial et pas très représentatif de la réalité du territoire sur lequel on vit. »

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Atelier pédagogique de l’association Les Petits Débrouillards.

Le groupe a tout fait lui-même, de l’écriture jusqu’à l’enregistrement et au montage. Une première pierre qui en appelle d’autres, mais pas dans l’immédiat. Nasser dit ainsi préférer écrire sur son quartier, comme il en a l’habitude. Ce travail d’écriture lui a-t-il plu ? « Vite fait. » Sur quoi écrirait-il s’il devait recommencer demain ? « Sur (s)a mère. »

« C’est vrai que l’environnement, on y pense pas souvent, ce n’est pas qu’une question de musique. Quand j’y pense, c’est au moment de jeter un truc par terre, sinon, j’y pense pas trop »,reconnaît Miad, venu féliciter ses potes, et qui n’a pu s’engager dans le projet à cause de son BTSinformatique. Candidate aux élections régionales, Sophie Camard a également fait le déplacement, car « c’est original de voir les jeunes des quartiers Nord parler d’environnement ». La militanteEELV admet la difficulté de faire une campagne écologiste sur le terrain : « Je ne viens pas pour prêcher la bonne parole, et on comprend que l’écologie ne soit pas leur première préoccupation. Il faut faire preuve d’humilité pour défendre ensemble le social et l’environnement, et démontrer que le climat, c’est leur vie de tous les jours. »

Le même phénomène est désigné : le décrochage du politique, « particulièrement avancé ici »,selon Sophie Camard. En campagne conjointe avec le Front de gauche, Mohamed raconte l’abandon de ces quartiers dans lesquels il a grandi : « Avant, ces territoires étaient politisés, il y avait des lieux de débat et d’apprentissage, des structures associatives, des partis politiques, des syndicats… Aujourd’hui, il n’y a plus que la crise, et aucun relais pour l’expliquer. Ces lieux ont été complètement délaissés par le politique. » Est-ce alors décalé de parler ici d’environnement ? « Au contraire, c’est renouer avec des principes d’éducation populaire. Il faut échanger et expliquer. Sinon, comment s’étonner que les gens s’en foutent ? »

Miad retient de la soirée l’exercice de simulation : « Quand on voit les chiffres des gaz à effet de schiste (sic) et tous ces trucs, on se rend compte que c’est important. » Reste un problème de taille pour celui qui s’est inscrit sur les listes électorales sans y croire : « Moi, ce qui m’embête, c’est que je ne vois pas bien ce qu’on peut y faire. C’est un truc de politique, et la politique, ça n’intéresse personne. »

 

 

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