Vendredi 30 octobre, les Nations Unies ont publié  une évaluation des engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. D’autres études sur le sujet ont été publiées ou vont l’être. En voici la synthèse. Conclusion commune : si les Etats ne révisent pas très vite leurs ambitions, le réchauffement dépassera les 2 °C à la fin du siècle.

Vendredi 30 octobre, le secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) a rendu public son rapport d’évaluation des Contributions nationales déterminées volontairement (INDCIntended nationally determined contributions – en anglais) pour la COP 21.

Les contributions nationales sont les feuilles de route que les pays ont été invités à remettre à l’ONU avant le 1er octobre. Ils y détaillent leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2025 ou 2030. Ils y présentent aussi les politiques qu’ils envisagent de mettre en place pour y parvenir et les mesures d’adaptation aux impacts des changements climatiques qu’ils prévoient.

Ces engagements constituent une partie importante de l’accord qui doit être adopté à Paris lors de la COP 21, du 30 novembre au 11 décembre. Avec en ligne de mire, un objectif : limiter à 2 °C le réchauffement climatique à la fin du siècle, par rapport à la période préindustrielle (1890).

Le secrétariat de la CCNUCC n’est pas le seul acteur à s’être prêté au jeu des évaluations.  Reporterre passe en revue les différentes études menées et leurs conclusions.

ONU : la croissance des émissions va ralentir, mais insuffisamment

- L’étude de l’ONU : Rapport de synthèse sur l’effet global des INDC

Le 1er octobre 2015, 119 contributions nationales avaient déjà été remises, regroupant les objectifs de 146 gouvernements (l’Union européenne a présenté une seule contribution au nom de ses 28 membres). Agrégées, les émissions de GES de tous ces pays représentent 86 % des émissions mondiales comptabilisées en 2010.

Conclusion de ce rapport : les contributions nationales permettent de ralentir la croissance des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Le rapport évalue à 56,7 gigatonnes (Gt) de gaz à effet de serre équivalent CO2 la quantité émise dans l’atmosphère en 2030 si les mesures détaillées dans les contributions nationales sont appliquées. C’est 4 Gt de moins par rapport à un scénario « business as usual », c’est-à-dire sans adoption de mesures particulières de lutte contre le changement climatique.

Mais « les INDC ne peuvent limiter qu’à 2,7 °C la montée prévisible de la température moyenne en 2100 », estime Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la CCNUCC. « C’est beaucoup plus bas que les 4 ou 5 degrés ou plus de réchauffement projetés par beaucoup avant les engagements, mais ce n’est en aucun cas suffisant. »

Climate action tracker : ce qui est sur la table conduit à un réchauffement dangereux de 2,7 °C

- L’étude de Climate action tracker : INDCs lower projected warming to 2.7°C

C’est dans l’étude du Climate Action Tracker (CAT), publiée le 1er octobre par les groupes de recherche européens Climate Analytics, Ecofys, NewClimate Institute et Potsdam Institute for Climate Impact Research, que la hausse de température est estimée à 2,7 °C à la fin du siècle si les contributions nationales sont respectées.

C’est plutôt mieux que dans la précédente évaluation du CAT, remise en décembre 2014, qui tablait sur 3,1 °C de réchauffement à la fin du siècle. D’après les chercheurs, cette amélioration tient pour beaucoup à la contribution remise par la Chine, qui a décidé qu’avant 2030, ses émissions liées au pétrole et au gaz naturel plafonneraient.

Un intérêt de cette étude est qu’elle « classe » les contributions nationales – et donc les pays – en fonction de leur niveau d’ambition. Ainsi, selon le CAT, les feuilles de route rendues par l’Australie, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, Singapour, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud et la Russie font dépasser la limite des 2 °C de réchauffement. Le Brésil, la Chine, l’Union européenne, l’Indonésie, le Mexique, la Suisse, la Norvège et les États-Unis sont un peu moins mauvais – ils permettent tout juste de redescendre à 2°C. Le Maroc et l’Ethiopie sont les meilleurs élèves de la classe.

IDDRI : Beaucoup trop de charbon

- L’étude de l’IDDRI : Au-delà des nombres : comprendre les transformations induites par les INDCs

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La centrale à charbon de Datteln, au bord du canal Dortmund-Ems

Le 22 octobre, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a publié son analyse. Plutôt que de s’intéresser au respect d’un objectif de 2°C à la fin du siècle, elle cherche à identifier « la nature des transitions mises en œuvre par les pays » et à donner des« conseils concrets », explique Thomas Spencer, chercheur à l’Iddri. Pour cela, elle favorise une analyse sectorielle (transports, production d’électricité, etc.).

Selon l’Iddri, l’intensité carbone de la production d’énergie pourrait baisser de 40 % d’ici 2030. Par contre, les Etats continueraient à prévoir beaucoup trop de charbon (50 % de plus que pour un scénario compatible avec 2°C de réchauffement à la fin du siècle). Et pas assez d’efforts sur le déploiement de technologies de captation et de stockage de carbone (CCS).

« On n’est pas des fans du CCS, précise Thomas Spencer. Mais le CCS deviendra indispensable au vu du peu d’efforts prévus dans un certain nombre de secteurs. Je m’explique : les mesures envisagées sont des changements à la marge. On ne prévoit pas de changements structurels, qui semblent pourtant nécessaires. Par exemple, rien sur l’urbanisme, type densification, pour faire baisser la demande de transports ». Du coup, les Etats font le pari qu’ils disposeront de technologies pour limiter leurs émissions, comme le CCS ou des voitures électriques, « sans savoir s’il sera possible de les mettre en œuvre à grande échelle. Et sans se donner les moyens de recherche et développement, d’investissements, pour rendre réellement possible ce déploiement ».

Ainsi, les contributions nationales actuelles manquent d’ambition, selon l’Iddri. « On sera à 54 Gt d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 – 4 Gt de trop pour cadrer avec les scénarios 2 °C du Giec, calcule Thomas Spencer. Cela signifie que si on veut rester dans ces scénarios 2 °C, il faudra arriver à réduire nos émissions de plus de 4 % par an. C’est énorme ! » Une seule solution : « Renforcer l’ambition des contributions nationales avant 2020, et adopter un mécanisme de révision à la hausse des objectifs tous les cinq ans. »

Institut Pierre-Simon Laplace : Les Etats tablent sur des technologies qui ne sont pas mûres

- Travaux pas publiés au 31 octobre.

L’analyse est mené par une quinzaine d’experts (climatologues, économistes du climat et de l’environnement, etc.) réunis au printemps par le climatologue Hervé Le Treut, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL). Entre autres missions, l’équipe s’est donnée celle d’évaluer où nous situe l’agrégation des contributions nationales par rapport aux scénarios 2°C du Giec.

Leurs conclusions ne sont guère rassurantes. « Les contributions nationales sont dans la frange haute des scénarios 2°C modélisés par le Giec. C’est-à-dire qu’il y a encore quelques trajectoires 2°C du Giec qui passent par cette fourchette – peu, mais il y en a », observe Hélène Benveniste, ingénieure de recherche à l’IPSL.

Le problème est que ces scénarios compatibles avec les contributions nationales actuelles impliquent des rythmes de réduction d’émission très rapides à partir de 2030, d’au moins 4 % par an. « Cela n’a jamais été observé au niveau mondial. Les deux seuls cas où nous avons observé une baisse aussi importante, c’est lors du grand lancement du programme nucléaire dans les années 1980 en France, et de l’effondrement du régime soviétique. Soit des cas très particuliers, limités géographiquement et dans le temps », souligne la chercheuse.

Deuxième problème : ces scénarios recourent à des « émissions négatives », reforestation, travail sur les sols (qui sont des puits de carbone), CCS. « Or, la plupart de ces techniques ne sont pas matures sur le plan industriel et on ne sait pas si on pourra les mettre en oeuvre à une échelle suffisante, prévient Hélène Benveniste. Cela demande plus de moyens de recherche et développement et un prix du carbone suffisamment élevé. »

Les résultats des travaux de l’IPSL ne sont pas encore publiés, et le seront probablement après la COP 21.

D’autres évaluations des contributions nationales ont été menées par des ONG, comme laFondation Nicolas Hulot ou Greenpeace, ou encore par le New Climate Institute – qui calcule les bénéfices que représente l’application des contributions nationales en matière de santé, d’emploi et d’économies.

D’autres seront publiées prochainement : par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et par l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Avec, toujours, la même conclusion : c’est pas mal, mais il réduire les émissions de gaz à effet de serre plus vite.


Lire aussi : Le Kit de survie Cop 21. Troisième volet : quels sont les grands enjeux ?


Source : Emilie Massemin pour Reporterre

Images :
. schéma thermomètre : Climate action tracker
. Centrale à charbon : Wikipedia (Arnold Paul/CC)

L’article original est accessible ici