Pressenza donne la parole à ces femmes et à ces hommes qui s’organisent solidairement pour trouver des solutions aux nécessités de la vie quotidienne. C’est cette Grèce courageuse et active que nous allons vous montrer dans le documentaire « ζω: zo̱… Je vis ! L’être humain n’est pas en crise, il s’éveille et se réinvente ». La Grèce en témoigne.

Solidarité en Grec se dit αλληλεγγύη (allileggii) et nous sommes bien au cœur du thème. Une « solidarité cohérente » qui passe de la tête au cœur pour se traduire en acte. Penser, sentir, agir dans la même direction est la réalité des Grecs.

Une émotion m’étreint le cœur en triant les photos, retranscrivant les vidéos notamment pour l’écriture des articles. Je suis sur le chemin de la cohérence, c’est ce que je souhaite profondément pour ma vie. Je pense et je sens mais comment se traduit ce thème de la solidarité concernant nos droits fondamentaux, se nourrir, se loger, se soigner, s’éduquer et se cultiver, dans mes actes ? Je ne suis ni dans la comparaison des situations, ni dans l’auto-critique plaintive mais dans un questionnement profond. Nous avons, pour la plupart des êtres humains, cet élan de solidarité gravé dans notre mémoire collective, c’est comme cela que notre humanité s’est construite. Pourquoi n’arrivons nous pas forcément à traduire cet élan en acte concret ? Doit-on attendre d’être dans une nécessité pour retrouver sens ? Est-ce le seul chemin ? Nous aborderons ce thème lors des discussions en France suite à la projection.

Nous vivons dans une société où tout est loin/prêt, il n’y a plus de délimitation de l’espace. La seule délimitation que nous reconnaissons est celle de « ma maison », « ma voiture » etc. devenant individualisme, isolement et souffrance.

La notion de lieu, de quartier semble importante et revient dans différentes interviews. Elle est intégrée au sens de l’action qui est de retrouver l’espace commun que sont les droits fondamentaux. Cette réappropriation se fait par la solidarité replaçant l’être humain au centre des décisions, acteur de son existence, le réintégrant ainsi dans l’espace public.

En considérant les droits fondamentaux, au-delà de notre périmètre carré, comme un droit pour tous sans discrimination, ils prennent une autre dimension; deviennent universels, collectifs et se gravent dans notre conscience, notre mémoire comme tels. Notre cœur s’ouvre. Et parce qu’ils ont avant tout cette dimension universelle, collective, nous pouvons les redimensionner dans un lieu délimité, pays, quartier etc pour faciliter leur exercice sans pour cela perdre le sens universel. Au contraire l’action dans les quartiers, les régions va être renforcée par la conscience de ces droits comme étant universels et inversement. Collectivement, c’est peut-être cette expérience qu’ils ont vécue.

Mardi 5 octobre Kaiti MEN DONI, Kostas KARRAS et Sotiris ALEXOPOULOS nous ont reçus pour quelques heures d’échanges.

Rencontre avec Solidarité Pireas à Athènes. Interviews de Kaiti MEN DONI, Kostas KARRAS et Sotiris ALEXOPOULOS

Sotiris nous explique la naissance de la structure.

« C’est un groupe de personnes qui avaient perdu leur travail. Nous nous sommes regroupés et maintenant qu’est-ce que l’on fait ? Plusieurs possibilités. Vous restez chez vous sous la couette toute la journée ou bien faire quelque chose pour re-rentrer dans la vie »

« Beaucoup de gens qui ont perdu leur travail étaient perdus. Quand vous perdez votre travail, spécialement pour nous les hommes, c’est terrible. Pour nous les hommes, nous sommes notre travail. Je suis un homme, je suis mon travail. Pour les femmes c’est peut-être un peu différent, vous avez d’autres rôles: maman etc. »

« Aussi les gens sont en train de revenir à l’idée de « nous » et sortir de l’idée de « je ». Parce que dans cette situation de catastrophe, on a besoin de plus en plus des autres, de tous. Sinon tout le monde tombe. »

« Ce qui est bien avec les gens qui n’ont pas de travail, c’est que leur temps et leur talent sont disponibles. Quand la vie devient difficile, les gens se rapprochent. Le côté psychologique est important. Lorsque tu es en dépression, tu ne penses pas politique, tu ne vas pas penser à demander tes droits, tu ne vas pas pouvoir réfléchir. Le système veut que tu sois en dépression. »

« On s’est posé la question de la nécessité la plus grande pour les gens. La nourriture bien sûr. »

Pour répondre à cette nécessité, ils ont visité les marchés de fruits et légumes demandant les surplus, les invendus. En fin de journée, ils distribuaient la nourriture récupérée aux membres et à d’autres personnes. C’était il y a 3 ans.

Rencontre avec Solidarité Pireas à Athènes. Interviews de Kaiti MEN DONI, Kostas KARRAS et Sotiris ALEXOPOULOS

« Les Grecs sont solidaires, cela fait partie de la tradition. La notion de quartier est très importante. Vous comprenez, la notion de quartier c’est un peu comme une grande famille. »

Puis se fut l’expérience avec les supermarchés. Kostas s’en est occupé. « Nous avions besoin de donner non pas uniquement des produits frais mais aussi des spaghettis, du riz, de l’huile, essentielle dans la cuisine, tout le nécessaire. La prochaine étape c’est la viande. On nous a déjà proposé des poulets mais il manque les congélateurs, les grands frigos. »

Et si demain vous retrouviez du travail ?

« Le but est que les gens du groupe trouvent du travail. Mais nous savons que la situation ne le permet pas. Au contraire, d’autres arrivent pour participer. L’ennemi c’est le non emploi. On essaie de créer notre propre travail. Par exemple s’occuper de recyclage, faire ces vêtements. Quelques personnes sont venues par cette voie. Il y a 150 personnes et le groupe grandit. Ça c’est notre force. Ensemble nous pouvons faire plus de choses »

Rencontre avec Solidarité Pireas à Athènes. Interviews de Kaiti MEN DONI, Kostas KARRAS et Sotiris ALEXOPOULOS

Avant la crise, ils témoignent avoir été dans une bulle économique. Beaucoup d’argent circulait même si ce n’était pas leur argent. Pourtant cela a affecté le comportement des gens. Sotiris raconte qu’ils louaient un bus et partaient faire des excursions ensemble. Lorsque cette soi-disant prospérité est arrivée, chacun partait avec sa voiture.

Non sans humour Kostas s’exclame « Moi et moi-même, moi et moi-même. »

« Dans cette période de crise, les gens viennent à ce type d’organisation, ils se sentent de nouveau appartenir à un groupe, un ensemble. Ils ne se sentent plus seuls. »

Sotiris parle de son expérience. « Le premier pas pour résoudre le problème, c’est d’accepter le problème. Quand j’ai perdu mon travail, pendant toute une année, j’ai dit à mes amis, à tout le monde que je travaillais toujours. »

« Ce que le groupe propose à ses membres, c’est de se dire les choses. Ici on se dit que l’on n’a pas de travail, parce que personne n’a de travail. Tu admets la situation, tu peux travailler avec les situations. »

Il nous parle d’un de ses amis qui s’est pendu. Il n’a pas supporté d’avoir perdu son travail, d’être « nourri » par sa femme. Elle travaillait comme employée pour le gouvernement. Cette personne vivait dans le sud du Péloponèse, certains ont encore la mentalité que l’homme doit ramener l’argent à la maison. Il avait honte.

Comment faire comprendre aux gens que le système est fini ? « Nous sommes nés dans ce système capitaliste, c’est profondément en nous. Et si le capitalisme finit, les gens associent que leur vie est finie. Il y a une vie après le capitalisme »

« Nous sommes très concernés par les formes d’économies alternatives. Par exemple direct du producteur au consommateur. Le capitalisme construit les choses de telle manière que producteur et consommateur sont ennemis. »

Rencontre avec Solidarité Pireas à Athènes. Interviews de Kaiti MEN DONI, Kostas KARRAS et Sotiris ALEXOPOULOS

Avec votre expérience à Solidarité Pireas, comment voyez-vous le futur ?

« Notre idée était que la crise durerait 5 ou 6 ans. On gère l’action et après terminé. Il y a deux ans, une fille d’Argentine est venue. Elle a expliqué qu’ils avaient commencé avec cette idée. Ça fait 14 ans qu’ils tiennent avec toutes les actions.»

« Nous travaillons sur de nouvelles idées, comment échanger, comment acheter. »

Concernant l’Europe, Kostas répond, « Je me sens dans un piège en Europe. Ce n’est pas l’Europe que l’on a rêvé. Et je me sens un citoyen européen. Je croyais que l’on allait relever ensemble la démocratie, construire les droits humains. Je croyais en tout cela. La démocratie n’existe pas. Si la France veut, elle pourrait changer les choses. Je pense que l’Europe a été kidnappée par l’Allemagne. Pas les gens, mais le gouvernement. Dans le passé, la France a donné des idées à l’Europe maintenant elle suit. Avec la France on pourrait aller dans une Europe libre, de nouveau avec la démocratie »

Pourquoi crois-tu que la France peut avoir un tel rôle ?

« Lorsque les gens vont sur la place de la Concorde, qu’est-ce que vous ressentez ? C’est l’endroit de la démocratie » Kostas se dit désappointé de voir que nous n’avons pas ce ressenti. Il précise « J’ai prié place de la Concorde. »

« Lors du référendum, les 40 % qui ont voté pour le système, ont voté car ils avaient peur. En Grèce, 90 % de la population ne croit pas au système. »

Rencontre avec Solidarité Pireas à Athènes. Interviews de Kaiti MEN DONI, Kostas KARRAS et Sotiris ALEXOPOULOS

Sotiris ALEXOPOULOS                                                      Kostas KARRAS 

Peux-tu imaginer que demain la Grèce soit un espoir pour l’Europe ? Égalité, Fraternité, Solidarité.

Pour Kostas, « C’est très difficile ». Pourtant il rajoute « Le meilleur travail que Sotiris ait fait ici, c’est de parler avec les gens qui venaient d’Allemagne, du Japon en racontant les actions de solidarité. Etendre cette nouvelle mentalité, c’est le travail de solidarité le plus important. Contaminer le système. »

Qu’est-ce que ça t’apporte de faire tout ce que tu fais ?

« Je crois dans ce que je fais, ça vient de l’intérieur. Ce n’est pas difficile pour moi de le faire. Je travaillais dans les maisons funéraires. Mon travail était très proche des gens qui mourraient. Aujourd’hui je suis très proche des gens qui vivent. »

A part le fait d’offrir de la nourriture, ils cuisinent également pour les sans-abri, pour 150 personnes. Pour la plupart ce sont des Grecs. Ils cuisinent sur la place, juste à côté. Il y a un théâtre extérieur (nous irons le voir en partant.)

Kaiti nous rejoint. « Ce n’est pas uniquement nourrir les ventres mais aussi nourrir l’esprit, c’est très important. »

Leur action ne s’arrête pas là. A cause de l’austérité, beaucoup d’hôpitaux sont en manque de médicaments, en manque de tout. Ils font partie du réseau qui leur en donne.

Et puis il y  a l’aide aux réfugiés, « Avec d’autres structures, nous avons établi des points d’accueil, de bienvenue où il y a médecins, pédiatres, généralistes, psychologues. Le but de cet accueil est déjà de les recevoir avec de la chaleur humaine, leur donner de la nourriture, de l’information et de l’aide médicale ». Si quelqu’un a besoin d’aller à l’hôpital, il l’accompagne pour ne pas le laisser seul. Ils cherchent des volontaires. Une partie de la nourriture que nous voyons stockée est pour les réfugiés.

Kaiti, « Quand les réfugiés arrivent, c’est aussi leur dire qu’ils sont à Athènes, parce qu’ils croient être en Italie. Leur rêve c’est d’aller au Nord de L’Europe. Nous leur donnons ce dont ils ont besoin et ils continuent leur chemin. Presque chaque jour arrive un bateau avec 2500 personnes ». Nous lui demandons de répéter croyant avoir mal entendu.

« Dans l’Île de Mytilène, la population est de 15 200 habitants et au mois d’août, les réfugiés étaient aussi  15 200. Vous vous rendez compte… »

Rencontre avec Solidarité Pireas à Athènes. Interviews de Kaiti MEN DONI, Kostas KARRAS et Sotiris ALEXOPOULOS

Kaiti MEN DONI

Solidarité propose des classes gratuites avec des cours d’anglais, français, espagnol. L’université est très chère en Grèce et les parents ne peuvent plus payer. La priorité est à la nourriture. Ils ont également des professeurs qui s’occupent des enfants handicapés.

« Nous organisons différents événements culturels, des concerts, du théâtre, la projection de films. Parce que la culture est aussi importante que la nourriture. »

Où trouvez-vous la force et l’énergie pour faire tout ce que vous faites ?

Kaiti, « Après 2010, c’était évident que nous ne pouvions pas rester seuls. On a compris que l’on devait s’aider les uns les autres pour pouvoir rester debout. C’est ça la solidarité et c’est très créatif aussi. Cette situation amène les gens à devenir actifs et de cette manière là, ils ne deviennent pas dépressifs. »

« Et maintenant avec les réfugiés nous nous rendons compte de quelque chose de plus. Même si les gens en Grèce sont dans une crise complexe, profonde, nous pouvons encore aider les gens qui sont dans une situation plus compliquée. »

« Nous ne sommes pas responsables de cette situation. Nous devons faire face. C’est comme un coup d’état »

« Notre gouvernement n’a pas eu de succès pendant les dernières négociations. Nous croyons en l’Europe mais pas en  ce type d’Europe. Nous avons besoin d’aide des autres pays. Nous avons besoin d’alliance. La Grèce est très seule. Cela ne concerne pas les gens mais les gouvernements. »

« L’Europe est en train de devenir la maison du néo libéralisme. »

Crédits photos : Brigitte Cano

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