75 % du marché mondial de semences est contrôlé par dix multinationales. Face à cette mainmise sur le premier maillon de la chaine alimentaire, des citoyens organisent des trocs de graines et de plants partout en France. Dans ces espaces autogérés, les jardiniers amateurs échangent semences et conseils afin de contribuer à préserver la biodiversité cultivée. Une biodiversité libre de tout droit de propriété intellectuelle. Reportage sur un troc de graines, à Pélussin, dans la Loire.

« Il y a une fortune sur cette table ! », s’enthousiasme une jeune femme. Plants de persil géant d’Italie, origan, mélisse pour tisanes et sirops, consoude pour de futurs purins… A quelques pas de ces plantes aromatiques et médicinales, d’autres tables regorgent de semences de fleurs et de potagères (fruits et légumes). « Ici, c’est un lieu où l’on troque », explique Marie-Claude Courbon qui accueille cet échange dans la cour de sa maison, près de Pélussin (Loire). « Le principe : échanger des graines et des plants que l’on a en trop dans son jardin. Cela permet de découvrir gratuitement de nouvelles variétés, auxquelles on n’aurait jamais pensé ! »

Sur le modèle des « zones de gratuité » (voir notre article), chacun amène ce qu’il veut et prend ce qu’il souhaite. « On a fait des petites graines, on les met où ? », interroge Christelle, accompagnée de ses deux petites filles. Dans son panier, des graines de courges, de lin et des œillets d’inde. Elle repartira un peu plus tard avec des plants de framboisiers. « Je suis content car j’ai donné quelque chose cette année », lâche un généreux donateur, qui participe pour la deuxième fois. « Le troc de graines, c’est un truc génial, j’adore ça !, renchérit Brigitte. L’échange est formidable. Ces semences et ces plants, ce sont des cadeaux de la nature. Nous sommes juste là pour en refaire cadeau à d’autres. »

Réapprendre les savoirs et savoirs-faire

Sur les tables, les graines sont stockés dans toutes sortes de récipients : boites de bonbons « Tic-tac » ou de pellicules photos, bocaux de confitures, enveloppes miniatures faites main… Ici, on recycle, et on échange conseils et idées de bouquins. Des discussions sur les dates de semis, sur la manière dont on peut multiplier ses graines, ou sur les petits soucis rencontrés avec les rongeurs. « Quelqu’un sait quelle plante peut repousser les rats taupiers ? », demande une voix. La réponse fuse à l’autre bout de la cour : « Oui, le tourteau de ricin ». « Attention, c’est toxique pour les chats et les chiens », prévient une dame. « C’est pour cela qu’il faut enterrer le tourteau », entonne un voisin.

« Les trocs de graines sont des moments précieux pour apprendre les savoirs et savoirs-faire des jardiniers et agriculteurs qui produisaient quasiment tous leurs semences », explique Marie-Claude. Un constat partagé par Raphaëlle, convertie au jardinage depuis peu de temps. « Il faut discuter avec les autres de ses expériences et de ses déconvenues, pour trouver comment l’on veut faire du jardin. Personnellement, je veux un jardin qui vit mais qui ne nécessite pas un entretien important. Alors j’apprends, d’une rencontre à l’autre. »

Lutter contre l’effondrement de la biodiversité

Adhérente de la maison des semences de la Loire, lancée en 2012, Marie-Claude veut contribuer à défendre la biodiversité en la cultivant et en l’échangeant. Elle dénonce un cadre législatif qui confisque les droits d’échanger ou de donner des graines et des plantes, pourtant conservées dans les champs et les jardins depuis des centaines d’années (lire notre dossier Main basse sur les semences). « La biodiversité est en train de s’effondrer : les grands semenciers s’intéressent à des variétés issues d’une base génétique de plus en plus étroite. Or, les graines que nous échangeons et ressemons se modifient légèrement d’une année à l’autre, c’est très précieux. Et quelle joie de voir le résultat quand ça marche ! »

Grâce à ces échanges de graines, qui se multiplient partout dans l’Hexagone, les citoyens évitent d’acheter des semences hybrides non reproductibles vendues par l’agro-industrie. « Il faut se réapproprier la nourriture que l’on mange et le jardin floral pour éviter de se faire bouffer par les grands semenciers », appuie Bernard. Depuis deux ans, cet apiculteur à la retraite collectionne les sauges. « Il existe au moins 800 variétés de sauges et je n’en ai que 40 ! », explique ce passionné, prêt à en donner pour assurer leur reproduction dans de multiples lieux. Trois ans après sa création, la maison de la semence de la Loire a multiplié ses activités : dans les fermes, les jardins, les associations… Ce qui fait la richesse de cette « maison », c’est le réseau qui la fait vivre. « Ici, c’est un tout petit bout de la maison de la semence, se réjouit Marie-Claude, elle est un peu répartie partout ». Et elle ne demande qu’à essaimer.

Texte et photos : Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle sur twitter


L’article original est accessible ici