Par Emilie Tamadaho Atchaca

Présentation d’Emilie Atchaka (CADD Bénin, Cercle d’auto-promotion pour un développement durable) au Forum Social Mondial de Tunis, lors de l’atelier « Dégage, microcrédit, dégage ! Les femmes unissent leurs luttes, résistances et alternative » le 26 Mars.

Profitant des Plans d’ajustement structurel (politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale) les organismes du microcrédit se sont implantés dans la plupart des pays africains dans les années 80 à 90 et ont largement distribué des prêts en ciblant tout particulièrement les femmes. Officiellement, l’objectif de ce système est d’aider les populations les plus fragiles afin d’éradiquer la pauvreté à travers le financement de micro-projets. Fortes de ce noble objectif, ces institutions de microcrédit ont reçu de nombreux dons et subventions (Fondations, PNUD, UE et de l’Agence des États-Unis pour le Développement international, etc.). Plus de 20 ans après le développement massif de ces structures, il est grand temps de dresser le constat : mis en pratique ce système est très loin d’atteindre son objectif de départ !

Comment fonctionnent les institutions de microcrédit ? Le piège du microcrédit

C’est lorsqu’on s’intéresse de plus près à ces institutions et à leurs pratiques que l’arnaque se révèle.
Même si l’argent prêté provient de subventions, de dons ou de prêts à taux faibles, les taux d’intérêts payés par les bénéficiaires de ces prêts sont très élevés. Officiellement entre 14 et 18% (soi-disant pour financer des frais de gestion lourds en raison des petites sommes prêtées), mais dans la pratique, les femmes de Ouarzazate (qui se battent depuis plusieurs années contre le microcrédit) citent des taux pouvant aller jusqu’à 40%.
Quant aux conditions de remboursement, on a beaucoup de mal à voir en quoi elles sont compatibles avec l’objectif précité !
- Notons tout d’abord que ce sont ces institutions de microcrédit qui imposent le délai du remboursement.
- Aucun des événements pouvant survenir dans la vie des personnes endettées n’est pris en compte. Tout retard de remboursement est sanctionné par une pénalité de retard (une amende) fixée à 5 euros. La mention du piège de la pénalité figure en bas du contrat en tout petit caractère, mais les institutions de microcrédit profitent de l’analphabétisme des femmes pour leur faire signer sans leur expliquer l’ensemble des conditions.
- De plus un système de prêts solidaires a été mis en place, c’est-à-dire qu’un groupe de femmes sert de caution pour chacune d’entre elles et les recouvrements sont parfois violents (chantages, pressions, agressions sont au rendez-vous).
Quant à l’accompagnement qui devrait entourer ces prêts, il est inexistant : aucune formation n’est donnée aux bénéficiaires des crédits pour renforcer leurs capacités concernant la gestion de leur activité. Pire les agents qui travaillent dans ces institutions de microfinance sont payés en fonction du nombre de contrats qu’ils obtiennent. On comprend mieux que leur priorité aille à la multiplication des contrats plutôt qu’à l’accompagnement de leurs clients !
Ces crédits ne sont clairement pas attribués pour accompagner de réels projets pouvant permettre à la population de s’en sortir, mais servent plutôt à pallier à la destruction des services sociaux imposée par le FMI et la Banque mondiale !
L’analyse de ce système nous révèle donc le réel objectif de ces institutions de microcrédit : mobiliser les fonds des populations appauvries qui ont peu d’argent mais sont de très bons payeurs et ont la grande qualité d’être extrêmement nombreux. Plus qu’un marché c’est une véritable aubaine pour ces institutions ! Il n’est donc pas étonnant de voir de grandes banques s’intéresser de plus en plus au secteur…

POURQUOI LES FEMMES SONT-ELLES CIBLEES ?

Le temps où le mari donnait de l’argent à la mère pour qu’elle élève les enfants est fini. Les conséquences des PAS a été le chômage massif, la flexibilité du travail, la précarisation de l’emploi etc. Face à ces politiques le rôle traditionnel du « mari » est entré en crise et la femme est sortie dans la rue pour trouver de quoi survivre donnant par là un nouveau visage à l’économie, au sein de la famille, et entraînant un changement au niveau de la ville et dans la structure sociale. C’est toute cette énergie sociale que développent les femmes dans leur lutte pour la survie et qui est instrumentalisée et utilisée par la Banque et le système de microcrédit. Les femmes sont devenues actrices et chef de foyer de premier rang. Normalement l’outil du microcrédit aurait dû être pour elle un outil de développement, d’épanouissement et d’autonomisation financière car c’est la couche la plus appauvrie et ce sont à elles que les institutions accordent le plus de crédit.
Tel que le microcrédit se présente aujourd’hui ce n’est ni un outil de développement ni un outil de lutte contre la pauvreté mais plutôt un outil de surendettement de la population, spécifiquement pour les femmes. Après 25 ans de pratique nous remarquons que dans les discours de lutte contre la pauvreté et la précarité des femmes, se cache une extrême violence vis-vis des populations appauvries. Le Cadd, un réseau féminin basé au Bénin membre du Cadtm international l’a vite compris et a mis en place une alternative de microcrédit qui est basée sur la solidarité.

UNE ALTERNATIVE CREEE PAR LES FEMMES DE LA CADD AU BENIN

Depuis 1993 (près de 21 ans) nous avons instauré un système d’épargne et de crédit autogéré par les femmes. Ce système n’a pas de conditionnalité, il est ouvert à toutes les femmes et depuis deux ans il s’est ouvert aux producteurs agricoles (ananas, produits maraîchers, manioc). Nous avons commencé cette expérience avec une quarantaine de femmes.

Epargne des membres : Dépôt divers à vue et Dépôt à terme
Avec le DAV nous avons accès au crédit à court terme pour nos commerces. Par contre les DAT nous permettent dans le futur d’acquérir des biens tels que des parcelles et de construire nos maisons qui pourront nous servir dans nos vieillesses (Préparer notre retraite).

Analyse avant l’octroi du crédit et modalité de paiement du crédit
Au CADD nous regardons la faisabilité et la viabilité de tous les projets. De plus c’est celle qui veut obtenir le crédit qui fixe les modalités de paiement, parce que c’est elle seule qui sait comment elle va mener son activité.

Formation des bénéficiaires de crédit
Avant tout octroi de crédit, une formation est organisée sur comment gérer une activité.

Le taux d’intérêt et son utilisation
Au CADD nous pratiquons deux taux d’intérêt. Au niveau central (la banque du réseau) le taux est de 6,5% par an. Ce taux est pratiqué aux groupements de base afin de leur éviter de recourir aux SFD ou aux banques qui pratiquent des taux allant parfois de 15 à 30%. Cependant un taux de 13% l’an est appliqué aux promoteurs agricoles.
Les intérêts servent à rémunérer les épargnes des femmes, à rémunérer les gérantes de secteur, à assurer les formations et à organiser des activités de sensibilisation et des journées de réflexion. Ce système nous permet de travailler sur nos droits, de nous mobiliser sur les enjeux mondiaux et de participer aux espaces de dialogue. Il y a périodiquement des rencontres nationales avec d’autres organisations pour partager les expériences.

Résultats :

  • Compréhension des politiques de la Banque mondiale et du FMI par les femmes
  • Compréhension du système de microcrédit pratiqué par les grandes institutions par les femmes
  • Capacité des femmes à faire le lien entre la dette au niveau global et leur vécu quotidien
  • Capacité d‘animation sur des thématiques comme la dette, le changement climatique, les Ape, le droit des femmes et des enfants
  • La mise en place de projets de coopératives. Par exemple, l’élevage des lapins, le jardinage (expérimentation du jardin bio) la culture de manioc
  • Acquisition de portions de parcelles par les femmes qui sont des résultats palpables du fruit du crédit
  • La création de notre propre banque alternative
  • Notre propre siège
  • Création de la coopérative de fournitures scolaires
  • Création avec d’autres associations au niveau national de la mutuelle de santé.
  • Création d’une chaîne commerciale entre les femmes de la zone rurale et femmes en zone urbaine ;
  • Création d’une mutuelle de santé ;
  • La participation des femmes du réseau à la gestion de leur cité à travers les instances de prise de décisions.

Conclusion
En conclusion, nous pouvons dire que ces institutions de microcrédit sont les petites sœurs du FMI et de la BM, parce qu’après analyse de leurs actions sur le terrain, on voit que beaucoup de femmes au lieu d’être soulagées sont surendettées et vont jusqu’à se suicider à cause du microcrédit. C’est un outil de corruption, de prostitution et de destruction des femmes.
Le système microcrédit du CADD est basé sur le social et non sur le profit. Depuis que ce système a commencé, nous avons aidé la population notamment les femmes à réaliser leurs rêves.
Il est important de s’auto-organiser et de lutter ensemble contre ces meurtriers capitalistes. Donc nous exigeons que ces institutions dégagent et l’alternative du Cadd montre que nous n’avons pas besoin d’elles et que l’endettement est un problème social auquel il faut apporter une solution sociale !

L’article original est accessible ici