À La Paillasse, on parle d’open science, d’intelligence collective, d’émergence d’une science citoyenne, de laboratoire démocratique, de mise en collaboration horizontale, d’espace transdisciplinaire et de la valorisation des savoir-faire.

De quoi titiller notre curiosité, au point d’aller à la rencontre de Thomas Landrain, cofondateur du lieu, qui nous a tout expliqué.

Qu’est-ce que La Paillasse ?

 “Il n’y a pas de monopole pour les grandes idées” est un argument que nous aimons bien amener.  La Paillasse est un laboratoire un peu particulier car il est entièrement ouvert et communautaire.  Ce qui veut dire que tout le monde peut venir à la paillasse développer un projet dans le secteur des sciences en général et particulièrement dans celui de la biologie. Ici, on supprime les murs qui séparent les disciplines tout comme ceux qui séparent les classes sociales. En étant une alternative aux laboratoires académiques, La Paillasse se positionne comme le labo du XXIème siècle.

À quelles nécessités répond la création de ce lieu ?

 Les chercheurs ont besoin de travailler de la façon dont ils le souhaitent et en choisissant avec qui ils le font. Les laboratoires académiques n’offrent pas cette possibilité. De plus, pour avoir accès à la biotechnologie, il faut avoir des compétences particulières, faire de longues d’études et avoir de l’argent car le coût d’accès est élevé. Les usages possibles en biotechnologies sont, de fait, limités et nous considérons que ce n’est pas démocratique. L’enjeu ici est de faire exploser la diversité des usages en favorisant l’accès aux laboratoires et aux ressources nécessaires pour permettre à un grand nombre de personnes d’imaginer la façon dont il est possible d’utiliser la biologie au service d’une problématique sociétale.

Comment est née l’idée ?

 Il y a plusieurs années, on a commencé de façon expérimentale et très underground dans un squatt. À cette époque, je faisais ma thèse en doctorat et j’ai voulu créer mon propre labo pour me donner le choix de mes conditions de travail. Au même moment, le mouvement du “biohacking” qui émergeait aux Etats-Unis m’a montré une nouvelle voie. Je me suis orienté vers le TMP LAB un des tous premiers hackerspace français qui travaillait sur l’informatique et l’électronique, avec des valeurs de partage, de transparence et de contre-pouvoir que l’on ne retrouve pas dans les milieux académiques même si elles sont d’intérêt commun.

Dans ce labo tout était open source. Ils m’ont totalement accompagné et nous avons monté un laboratoire de biotech incubé dans leur hackerspace. On a récupéré des machines jetées par les entreprises et les laboratoires en raison d’un certain consumérisme et on a monté un laboratoire très bien équipé.

Curieusement, les personnes qui sont arrivées dans le lieu n’étaient pas des biologistes mais des designers, des artistes, des ingénieurs qui ont toujours eu envie de s’approprier la biologie sans pouvoir le faire. Leur venue a été une source de nouvelles compétences. Cette diversité a rendu les projets extrêmement fluides et des possibilités se sont ouvertes.

Par exemple, on a fait des diagnostics génétiques low cost sur des produits alimentaires pour chercher d’éventuelles traces d’OGM. On a travaillé sur des biomatériaux qui sont des matières que l’on peut biofabriquer grâce à des levures ou des bactéries via la fermentation et qui sont biodégradables. On a travaillé avec Sony sur des composants électroniques biodégradables, avec la NASA pour réfléchir sur des bioréacteurs open source low cost ou encore pour une start-up qui a conçu des encres biosourcées et biodégradables. Et bien entendu, on a conçu en open source nos propres machines de laboratoire pour un coût minime.

Quel est l’apport pour la société ?

 Nous avons créé un environnement de travail extrêmement productif et on apporte une innovation pour les biomatériaux. On apporte aussi de nouvelles manières d’analyser l’environnement et d’y interagir et on crée de nouvelles pratiques et de nouveaux usages.

Comment fait-on pour monter un laboratoire ouvert à tous ?

La Paillasse est volontairement au centre de Paris pour être accessible et non excentrée comme le sont souvent les labos. Quand on a trouvé ce lieu en mai 2014, tout s’est construit grâce à des bénévoles et pour qu’il puisse se pérenniser, il a fallu fabriquer un modèle économique. On a cherché des partenaires et on loue l’espace pour des évènements, ainsi aujourd’hui une partie des charges du lieu repose sur les utilisateurs des mètres carrés. Les laboratoires ont eu un accès gratuit car nous avons besoin de cette dynamique. Il y a une vingtaine de labos sur différentes thématiques comme le textile, le design, les drones, l’intelligence artificielle, les sciences cognitives, l’océan, les villes fantômes, etc…

Il est important de préciser que pour nous, un laboratoire est plus une communauté qu’un lieu. Ces communautés s’intéressent à un sujet et font des meetings, des workshops, etc….pour faire avancer la réflexion. Lorsque des projets sortent de ces laboratoires, on les incube, ici, à La Paillasse.

C’est le moment où ils cherchent des sponsors et sont donc en condition de payer l’espace.

Qu’est-ce qui pourrait dans les croyances collectives freiner votre avancée ?

 Je crois qu’il y a un réel besoin de réappropriation des technologies et des biotechnologies par les gens. Maintenant c’est possible, car les techniques le permettent. On a clairement vu cela avec les plateformes ouvertes dans le software.

Avec La Paillasse, ce lieu pour incuber les idées, on est en train de rendre les choses disponibles et les gens peuvent se rendre compte que c’est possible. De plus ils s’aperçoivent qu’on a une position tournée vers l’intérêt général et le contre-pouvoir citoyen. Alors, cela fait bouger les croyances.

Quel est le futur de La Paillasse ?

 Maintenant on cherche à exporter ce que l’on fait ici mais en plus grand.

On a créé un programme “Call for hackers” qui lance un appel à la communauté avec une thématique de recherche pour ouvrir de nouvelles voies. On fait travailler ensemble des personnes qui n’en ont pas l’habitude et on leur donne les moyens de le faire.

Plusieurs  calls ont été lancés cette année, en gardant l’intention d’un un cadre totalement ouvert et de l’open source.

On a aussi une dynamique avec l’ouverture d’autres paillasses, comme à Manille, à Lyon ou à Saint Brieuc qui ont une problématique autour de l’agriculture intensive et de la prolifération des algues vertes. On va lancer une paillasse avec l’idée d’une plateforme dédiée aux océans. On réfléchit aussi avec les hôpitaux de Paris pour ouvrir une paillasse à l’intérieur de l’Hôtel-Dieu. Dans toutes ces paillasses on va développer des programmes de recherche et aider à l’émergence de solutions innovantes.

Pour tous ceux qui sont tentés par l’aventure, rendez-vous à l’open Paillasse tous les jeudis soir à partir de 19H00 au 226, rue Saint-Denis Paris 2ème.