par Barbara Romagnan pour Reporterre

 

Une commission d’enquête de l’Assemblée nationale vient de montrer que la loi des 35 heures a eu des effets positifs pour l’emploi. Il faut relancer cette démarche de réduction du temps de travail, assure la députée PS frondeuse Barbara Romagnan.


À l’initiative du groupe UDI, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête visant à mesurer l’impact économique, financier, social et sociétal des politiques de réduction du temps de travail et particulièrement des lois Aubry.

Une commission d’enquête est composée de trente membres répartis au prorata du poids des groupes politiques dans l’hémicycle et siège pendant six mois. Pour mener ce travail, nous avons auditionné environ quatre-vingt personnes et nous sommes rendus à Berlin. Nous avons pu également nous appuyer sur les ressources de plusieurs administrations et institutions de recherches nationales et internationales.

Baisse du chômage

Les travaux de l’OFCE et de la DARES montrent que les 35 heures ont permis la création d’environ 350 000 emplois nets au moment où elles ont été mises en œuvre. Le taux de chômage, selon le Bureau International du Travail est alors passé de 11,8 % en 1998 à 8,8 % en 2001. On a constaté une augmentation de sept points du taux d’emploi de la catégorie des 50-64 ans (8 points chez les femmes, 5 points chez les hommes).

Ainsi, des personnes qui auparavant auraient été mises au chômage ont été maintenues dans l’emploi et des chômeurs de longue durée ont pu retrouver un emploi.

Cela est d’autant plus notable qu’on ne peut imputer la baisse du chômage à une diminution de la population active, puisque celle-ci est passée de 25,5 millions de personnes en 1997 à 26,6 millions en 2002, soit une augmentation d’1,1 million.

Sur cette période, l’économie française a créé deux millions d’emplois nets, alors que pendant le siècle précédent elle en avait créé trois millions. Ces créations se sont traduites par une augmentation sans précédent du nombre d’heures travaillées. Il ne faut en effet pas confondre la durée individuelle du travail et le nombre total d’heures travaillées dans l’économie française. Ainsi, la France n’a jamais autant travaillé que dans la période où la durée du travail a été réduite.

Cela s’est fait sans préjudice pour les finances publiques et la compétitivité des entreprises, puisque la France avait alors conservé son excédent commercial, son rang parmi les économies exportatrices, et a présenté des comptes sociaux à l’équilibre.


– Martine Aubry –

Un succès pas dû à la seule croissance

Certains veulent expliquer ce succès par la croissance. Elle y a participé, bien sûr, mais ne saurait suffire à expliquer ce gain d’emplois. Dans la période 1997-2002, la croissance française a certes été supérieure d’un point à ce qu’elle a été dans les quatre années précédentes et dans le quinquennat qui a suivi. On pourrait croire que la France a bénéficié d’une croissance mondiale particulièrement favorable.

Or, la croissance mondiale a été plus élevée pendant les années Balladur et Juppé (3,7 %) et les années Raffarin et Villepin (4,5 %) que sous le mandat de Lionel Jospin (3,4 %). Ce n’est pas non plus la croissance européenne qui explique la situation française, mais au contraire la croissance française qui explique largement la petite accélération repérée alors au niveau européen.

D’autres considèrent que les baisses de cotisations sont la cause des créations d’emplois. Or, la baisse des cotisations est une politique qui a été largement pratiquée, auparavant et par la suite, sans jamais donner de résultats équivalents en termes d’emploi.

Surtout, cela n’a pas de sens d’isoler les différentes composantes des lois Aubry qui forment un tout. C’est un ensemble où réduction du temps de travail, allègement des cotisations, modération salariale (sur dix-huit mois en moyenne) permettaitent de privilégier l’emploi plutôt que la hausse des rémunérations individuelles, de manière à ne pas compromettre la compétitivité des entreprises.

Des limites

Malgré la réussite globale des 35 heures, on ne peut oublier que près de la moitié des salariés français est restée en dehors de ce mouvement en ne bénéficiant pas de la RTT (Réduction du Temps de Travail), notamment dans les entreprises de moins de vingt salariés.

Ensuite, parmi les salariés les moins qualifiés (surtout les femmes sans enfant), certains ont souffert du développement de la flexibilité que la loi sur les 35 heures a rendue possible.

S’agissant des cadres, le jugement exprimé à l’égard des 35 heures est ambivalent : s’ils ont en général apprécié la plus grande liberté de gestion de leur temps, au travail comme dans la vie privée, la disponibilité permanente qui a résulté, pour certains, de la mise en place du forfait jour, neutralise en partie les bénéfices de la RTT. Enfin, le secteur hospitalier a connu des difficultés spécifiques notamment en raison de recrutements trop tardifs (mais justifiés par les besoins en formation).

Une loi vidée de son contenu

Après 2002, les gouvernements ont renoncé à soutenir l’emploi par la RTT, et n’ont plus demandé à évaluer ses effets. Ils ont dispensé également les entreprises de moins de vingt salariés de la RTT et ont facilité le recours aux heures supplémentaires, notamment en faisant passer le contingent d’heures supplémentaires autorisées de 130 en 2002 à 190 en 2003-2004 – puis à 220 heures en 2008 en les exonérant de cotisations.

Cette politique n’a pas créé d’emplois, ni même augmenté le nombre d’heures supplémentaires accomplies par les salariés en poste mais a coûté, pour les seules exonérations accordées par l’article 1 de la loi TEPA, plus de 4,5 milliards d’euros par an. Ce faisant, les 35 heures ont été largement vidées de leur contenu et de leur potentiel créateur d’emplois, sans que pour autant disparaissent la flexibilité et les exonérations de cotisations aux entreprises.

Reprendre cette initiave pour mieux répartir le travail et ses revenus

Ce que montre le travail de la commission d’enquête est que les 35 heures, malgré des limites signalées plus haut, ont été bonnes pour l’économie, pour l’emploi, qu’elles ont stimulé la négociation sociale et participé d’une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, singulièrement familiale.

Ce que l’on peut discuter aujourd’hui, c’est l’opportunité de reprendre cette initiative. C’est ce que je défends.

Le contexte économique mondial et national actuel diffère grandement de celui de la fin des années 90, notamment du fait de la croissance quasi-nulle, du poids pris par l’endettement public et de la place réduite des économies européennes dans le marché mondial. Néanmoins, la réduction du temps de travail est une tendance de fond à l’œuvre depuis deux siècles. Elle n’est pas une singularité française, loin de là.

En effet, aujourd’hui, contrairement à une idée reçue largement entretenue, le temps de travail hebdomadaire moyen en France est parmi les plus élevés des pays développés d’Europe : 37,5 heures pour notre pays, 36,5 heures au Royaume-Uni, 35,3 heures en Allemagne et en Suisse, 33,5 heures au Danemark et 30 heures aux Pays-Bas. A contrario, elle dépasse 40 heures en Europe de l’Est et 50 heures en Turquie.

La question qui se posera à nous, dans l’avenir, est celle de la distribution des gains de productivité : choisirons-nous d’en faire profiter seulement les actionnaires, seulement ceux des salariés qui sont déjà en emploi, en leur demandant toujours plus de travail, ou utilisera-t-on ces gains pour répartir autrement le travail et ses revenus, comme cela s’est fait à chacune des grandes étapes du progrès social au cours des derniers siècles ?


Lire aussi : « Produire autrement et partager le travail pour en finir avec le chômage »


Source : Barbara Romagan pour Reporterre

Barbara Romagan est députée PS de la 1re circonscription du Doubs.

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