Par Lawrence Davidson

Certains lobbies américains sont d’une puissance telle que les politiciens américains rampent peureusement à leurs pieds, sachant que s’ils s’élèvent pour défendre un intérêt national plus général leur carrière sera menacée, un fait plus particulièrement notable quand il s’agit d’Israël ou des armes à feu, comme l’explique Lawrence Davidson.

Par Lawrence Davidson

Le problème des groupes d’intérêt, ou lobbies, était l’un des principaux sujets d’inquiétude des Pères Fondateurs des États-Unis. A leur époque, ces groupes de pression étaient appelés factions.

James Madison, considéré comme l’architecte de la Constitution Américaine, a consacré à ce problème un numéro entier (le dixième) du Federalist Paper en 1787. Il y définissait une faction comme « un certain nombre de citoyens, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires […] mus par quelque intérêt… commun, opposé… à l’ensemble des intérêts de la communauté », et pensait que dans le contexte du républicanisme libéral, il était impossible de les éliminer.


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Le Secrétaire d’état John Kerry s’exprime à la conférence de l’AIPAC (Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes) le 3 mars 2014.

Madison pensait néanmoins qu’on pouvait les contrôler. Dans ce but, il tenta de créer des corps représentatifs comportant de très nombreux délégués et une grande variété d’intérêts dans l’espoir qu’ils se contrebalanceraient les uns les autres.

Lorsque George Washington prononça son célèbre Discours d’Adieu en 1796, lui aussi constata le problème. Washington mit en garde contre l’existence d’« alliances et associations » qui tentent de « diriger, contrôler, contrecarrer et intimider les délibérations et les actions normales des autorités constituées », et ainsi de substituer leurs propres désirs à « la volonté de la nation confiée à ses représentants».

Comme le souci persistant de Washington l’impliquait, l’approche de James Madison pour contrôler les intérêts particuliers des factions ne s’est jamais révélée adéquate.

Lobbification

Aujourd’hui, le problème est toujours là, et il est pire que jamais. C’est pourquoi, en avril 2011, j’ai inventé le terme de « lobbification » pour décrire le processus corrupteur qui soumet les politiciens à la volonté d’intérêts privés, c’est-à-dire à la volonté des lobbies. Ce par quoi ce processus est rendu possible est, évidemment, l’argent, habituellement sous la forme de contributions aux campagnes des politiciens.

Si le politicien défie le lobby faisant l’offre (un événement rare mais pas inouï), ces intérêts privés reporteront leur soutien sur l’adversaire électoral du politicien rétif. Le résultat est que beaucoup de politiciens agissent en parfaite conformité avec les demandes de nombreux et puissants intérêts privés.

James Madison croyait que le processus corrupteur était la conséquence de la nature humaine – l’intérêt personnel en action. Peut-être en est-il ainsi, mais les résultats n’en sont pas moins débilitants. La lobbification a créé des réactions qui sont si pavloviennes qu’aujourd’hui, les politiciens qui sont dans cet état d’esprit ne peuvent plus différencier les intérêts particuliers de ces puissantes factions auxquelles ils sont redevables, des intérêts réels nationaux ou locaux de leur pays ou de leur communauté.

Deux exemples

Voici deux exemples récents de la puissance de la lobbification. Le 18 juillet, en réponse aux pressions du lobby sioniste, le sénat américain a voté unanimement le soutien à l’attaque en cours d’Israël sur la bande de Gaza. Ceci étant le fait d’un Congrès connu pour son incapacité à s’accorder sur à peu près n’importe quelle législation importante pour son propre pays !

Les sénateurs ont voté leur soutien, bien que l’offensive israélienne ait été de même nature que les attaques allemandes sur Londres durant le Blitz, et la destruction par les alliés de la ville allemande de Dresde vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Autrement dit, les Israéliens étaient engagés dans une opération à grande échelle ciblant des populations civiles. C’est un crime de guerre qui ne peut être présenté comme un acte d’autodéfense. Pourtant, le sénat américain, comme un seul homme, a publiquement soutenu ce comportement criminel.

Il faut noter ici qu’il y avait de sérieuses divergences d’opinion sur le comportement israélien parmi la population américaine – c’est à dire, celle qui compose le Sénat. Mais les sénateurs semblaient immunisés aux débats populaires et ont réagi comme s’ils représentaient le lobby sioniste, et pas le peuple américain.

Sur le plan intérieur, une loi significative, nationale ou locale, réglementant les armes à feu s’avère politiquement impossible à cause de l’influence de la National Rifle Association (NRA). Cela en dépit de la prolifération des morts et blessures en lien avec les armes à feu, dans nos maisons, dans nos rues, et dans nos écoles.

Les arguments des partisans de la NRA insinuent habituellement que la réglementation des armes à feu sonnerait le glas de la chasse, du tir sportif, des collectionneurs d’armes, et même de la capacité d’agir en légitime défense. Cependant, une réglementation rationnelle et raisonnable des armes n’est pas la même chose qu’une prohibition, et se conduire comme s’il n’y avait pas de différence est, à mon avis, un point de vue paranoïaque.

Ensuite, il y a l’argument du Deuxième Amendement, qui permet à beaucoup de partisans de la NRA de fantasmer et de croire qu’ils sont enrôlés dans une « milice bien réglementée » sans laquelle les États-Unis ne pourraient pas rester une société libre. Libre de quoi ? D’une potentielle autorité de l’état avec sa police et ses branches militaires immensément mieux armées ? C’est juste naïf. Si le gouvernement veut agir de façon dictatoriale, les membres armés de la NRA ne seront pas capables de l’arrêter.

En vérité, un contrôle rationnel des armes à feu ne menace pas notre liberté. Cela nous rendrait plus libres en augmentant notre sécurité contre la peste de la violence armée que le lobby de la NRA oblige actuellement beaucoup de nos politiciens à ignorer ou à nier.

Il est important de noter que la direction de la National Rifle Association échoue souvent à représenter fidèlement ses propres membres, et encore moins le grand public. Un sondage Pew de 2013 a trouvé que 74% des membres de la NRA ont soutenu la vérification pour tout le monde des antécédents pour la vente d’armes à feu aux particuliers (comme l’ont fait 94% de la population américaine en général). Néanmoins, sous la pression de la NRA, le sénat a voté contre cette exigence la même année.

Comme avec le lobby sioniste, et comme avec les préoccupations du public sur sa politique étrangère particulariste, beaucoup de sénateurs sont insensibles au débat populaire sur les contrôles des armes à feu, et répondent comme s’ils représentaient le lobby de la NRA et non le peuple américain.

Besoin de réglementation

Madison avait raison sur un point : la réglementation de la capacité des factions/intérêts privés/lobbies à influencer les politiciens et les politiques est une absolue nécessité. Cependant, nous nous heurtons là à un dilemme inextricable. Ce projet de loi de réglementation et d’autres efforts en rapport comme la réforme du financement des campagnes doivent provenir des ces mêmes politiciens qui sont financièrement liés aux intérêts privés.

A l’instar des grands drogués, ces hommes politiques semblent incapables de se désintoxiquer.

S’il y a une façon de sortir de ce dilemme, elle doit venir du grand public. Le mécontentement de longue date envers les politiciens, spécialement au niveau national, doit être canalisé en une campagne populaire pour libérer les législateurs et les décideurs politiques de l’influence de ces intérêts privés.

Envisagez-le comme un effort pour se débarrasser d’un obstacle historique à une bonne façon de gouverner. Si cela n’advient pas, les politiques étrangères qui ont fait naître tant d’hostilité antiaméricaine à travers le monde, et la politique intérieure qui a permis le meurtre aveugle de tant de citoyens innocents, continueront et en fait empireront.

Lawrence Davidson est professeur d’histoire à la West Chester University de Pennsylvanie. Il est l’auteur de Foreign Policy Inc.: Privatizing America’s National Interest; America’s Palestine: Popular and Official Perceptions from Balfour to Israeli Statehood; and Islamic Fundamentalism.

Source : Consortium News, le 27/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source : http://www.les-crises.fr/la-puissance-des-lobbies-contre-linteret-public-par-lawrence-davidson/

L’article original est accessible ici