Par Amélie Canonne

L’année passée lors de la COP19 de Varsovie, plusieurs coalitions d’ONG s’étaient alliées pour quitter la conférence avec fracas, dénonçant à la fois le financement de la conférence par les grandes entreprises des énergies fossiles (Arcelor Mittal, Alstom, BMW par exemple) et leur influence sur la présidence polonaise : le ministre polonais de l’environnement avait – épisode stupéfiant dans l’histoire des conférences climat – publié un communiqué conjoint avec l’Association mondiale du charbon appelant les banques de développement à renforcer leur soutien à l’industrie du secteur.

Électrochoc pour la Conférence des Nations unies sur le changement climatique ? Où en sommes-nous un an après ?

La COP de Lima passe pour l’une des moins financées par le secteur privé de l’histoire des COP. Et il est vrai qu’on ne repère ni stand ni publicité ni affichage particulier cette année. La présence des entreprises n’est du reste pas aisée à distinguer puisqu’elles ne peuvent s’accréditer en tant que telles ; elles sont considérées, tout comme les ONG et les organisations internationales non-onusiennes comme des observateurs, et elles participent aux conférences climat par le biais de fédérations sectorielles, d’associations nationales d’entrepreneurs, et autres lobbies industriels, technologiques ou professionnels.

Parmi les 1600 organisations accréditées comme observateurs des COP, on trouve ainsi l’Association américaine des transports aériens, la Société américaine des produits chimiques, l’Association des employeurs du Groenland, l’Association des fournisseurs d’énergie australiens, l’Association des producteurs européens de bioéthanol, la Confédération européenne des industries du bois ou encore l’Association européenne des propriétaires terriens, pour n’en citer que quelques uns parmi des centaines.

Les formes de leur implication sont multiples mais c’est dans le programme des « side events », – ces ateliers parallèles à la COP, et ouverts à tous les observateurs, qui en général permettent aux organisateurs de promouvoir leurs visions et propositions auprès des participants, et sont bien souvent organisés de concert avec un gouvernement ou une institution publique – qu’elles sont le plus visibles.

L’objectif pour elles : sous couvert de lutte contre le changement climatique, promouvoir les solutions technologiques qu’elles souhaitent faire connaître et financer dans le cadre des nombreux programmes de la CCNUCC et des agences de développement qui soutiennent les pays du Sud dans leurs efforts d’adaptation aux aléas du changement climatique. Cette année encore, donc, les lobbies d’entreprises ont mobilisé d’importants moyens autour de ces « side events », parmi lesquels « Des plans pour la croissance verte jusqu’aux Investissements pour des infrastructures vertes », organisé par la Chambre internationale de commerce et l’Institut mondial pour la croissance verte, « Les liens entre les différents aspects des politiques climatiques d’ici à 2015 », organisé par l’Association internationale pour les marchés d’émissions, premier lobby mondial en faveur du recours aux marchés de crédits à polluer comme solution n°1 au changement climatique, ou encore « Accélérer les économies d’énergies et la réduction des émissions dans le bâti urbain », organisé par le Conseil américain des constructeurs verts et le Conseil des entreprises pour l’énergie durable, dont la présentation nous apprend qu’il entend en réalité promouvoir le financement de constructions économes en énergie par des partenariats public-privé, en somme de drainer l’argent public vers le développement des affaires du secteur privé de la construction.

Les entreprises françaises ont du reste entamé leur plaidoyer en perspective de la COP21 de Paris, qui se déroulera dans un an. Rassemblées dans le projet « Solutions COP21 » (2), Carrefour, Veolia, GDF-Suez, Sofiprotéol, Schneider Electric et d’autres se proposent de donner à voir au grand public, tout au long de l’année qui vient, les réponses du secteur privé aux dérèglements climatiques, à travers des événements, salons, conférences… – grâce au financement public -, et entendent ainsi participer de l’effort « d’implication des acteurs de la société civile face aux défis climatiques, et leurs démarches pro-actives au bénéfice des populations et d’une économie positive »2. Elles espèrent de cette façon pénétrer les mécanismes de financement de la lutte contre le changement climatique, qui, austérité oblige, peinent à trouver des contributeurs publics, ceux-ci s’arrangeant très bien de confier une partie de cette responsabilité aux entreprises et aux investisseurs privés.

Et ça marche ! L’Australie a annoncé hier (3) – à la plus grande satisfaction des négociateurs et d’une partie des observateurs – une contribution de 166 millions d’euros au Fonds vert (ce fonds créé à Copenhague, en 2009, pour financer les efforts d’adaptation et d’atténuation entrepris par les pays du Sud)… via l’appui à ses entreprises afin qu’elles se déploient sur les secteurs porteurs en Asie du Sud-est, « s’agissant tout particulièrement des investissements touchant aux infrastructures, à l’énergie, la sylviculture et les programmes de réduction des émissions ».

Des ONG ont également montré, dans un rapport publié cette semaine à Lima (4), comment les multinationales, dont la géante du charbon Anglo American, étaient parvenues à ouvrir le même Fonds vert aux entreprises lors de la COP17 de Durban, et à rendre éligibles aux Mécanismes de développement propre les techniques de capture et de stockage du carbone, pourtant incertaines et souvent expérimentales, en s’associant à plusieurs gouvernements pour organiser des séminaires et conférences parallèles à la conférence climat elle-même. A Varsovie, la Secrétaire générale de la CCNUCC a même prononcé le discours introductif du Sommet mondial sur le charbon aux côtés du Directeur général d’Anglo American Thermal Coal.

L’influence des entreprises sur les négociations climat s’illustre de façon plus générale à travers la place de plus en plus forte donnée aux mécanismes de marché dans le financement et la mise en œuvre des solutions au changement climatique définies dans l’enceinte de la CCNUCC. Ces mécanismes – mécanismes de développement propre, agriculture « intelligente », géo-ingénierie… – donnent l’illusion de fournir des réponses au changement climatique ou se contentent de compenser des activités gravement préjudiciables au climat par des investissements présentés comme « verts », mais toujours opérés par les mêmes géants de l’énergie, des transports ou des infrastructures.

La puissance de ces lobbies s’explique par l’abondance de leurs moyens, énormes au regard de ceux des ONG qui doivent rogner sur nombre de dépenses ou lancer des appels à contribution exceptionnels afin de financer leur participation aux COP – et encore, dans des conditions pour le moins élémentaires pour une partie d’entre elles. Alors que les ONG doivent constamment ruser pour assurer la participation de l’ensemble de leurs délégués, et se voient « ratiboiser » leur quota d’accréditations d’année en année, l’Association internationale de commerce d’émissions carbone (IETA en anglais) est représentée par des dizaines de délégués présents à l’intérieur de la conférence, alors même que ses membres (les grandes entreprises émettrices de CO2 dans le secteur des transports et de l’énergie principalement) sont aussi représentés par de nombreuses autres fédérations professionnelles ou commerciales sectorielles, géographiques… La CCNUCC a également introduit une nouvelle politique « de recouvrement des coûts », qui rend payante l’organisation des expositions, stands et « side events » depuis cette année : elle facture désormais 1000 dollars US chaque événement parallèle organisé.

Le fait que la CCNUCC s’efforce de demeurer un des espaces de négociation multilatérale les plus transparents et inclusifs crée un paradoxe évident : il la rend terriblement vulnérable à l’influence de lobbies qui sont loin d’agir pour l’intérêt des communautés et de la planète. La parole technique des entreprises a pu se déployer comme la forme première de traitement des problèmes liés au changement climatique.Et c’est cette évidente dépolitisation des négociations climat qui conduit ses parties prenantes à envisager tour à tour l’avenir de 8 milliards d’êtres humains comme une manne gigantesque de profits à partager, comme une équation technocratique insoluble ou comme un laboratoire d’expérimentation techno-scientifique.

Pour autant le système des Nations unies fonde une grande partie de sa légitimité, aux yeux des acteurs de la société civile non-lucrative, dans cette ouverture, et dans la relative égalité de pouvoir qu’il offre, au moins sur le papier, à l’ensemble des nations qui le composent. Mais à moins d’assurer l’égalité de la présence et des moyens d’action de tous les observateurs de ses travaux, la CCNUCC va continuer de s’enfoncer dans sa crise démocratique, et alimenter un discrédit – de plus en plus répandu – à l’égard des discussions qu’elle héberge et des accords dont elle accompagnera la conclusion.

1. Voir le programme complet des side events de la Conférence de Lima :https://seors.unfccc.int/seors/reports/events_list.html?session_id=COP20

2. Voir http://www.solutionscop21.org/dispositif/

3. http://www.theaustralian.com.au/national-affairs/climate/australia-to-contribute-200m-to-green-climate-fund/story-e6frg6xf-1227150858029?nk=e65ad36804bab5b3749610d74f412c5a

4. Voir TNI et Friens of the Earth International, Comment les transnationales commandent : Partie 4 : Le lobby d’Anglo American pour l’énergie polluante et ses fausses solutions pour le climat, Nov. 2004,http://www.foei.org/wp-content/uploads/2014/11/19-foei-corporate-capture-report-fr-lr.pdf

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Source : http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article1420

L’article original est accessible ici