Texte : Mabe Chacín. Photographies : Jonathan Medoza.

Si l’on souhaite précisément localiser le lieu dont on va parler, il faut dire qu’il dépend du quartier Altagracia. Ceux de San José, Cotiza, La Pastora le flanquent à l’ouest, et celui de Catedral, au sud. En fait, c’est un grand corredor (zone à couvrir qui regroupe divers quartiers, où existent des Communes constituant de ce fait une unité socio-territoriale spécifique, dont il faut reconnaître l’unité) qui s’étend sur la vaste plaine de Narauli.

Jaskeherry -Kerry- Rivas, 26 ans, qui est né et vit dans le secteur La Esperanza, du quartier El Retiro (Altagracia) précise: « Avant, il n’y avait aucune division, tout le secteur qui correspond au piedmont d’Avila, on l’appelait Cotiza. De plus, on considère que l’on est coticeño (du quartier de Cotiza), d’Avila jusqu’à Chapellin ».

Jaskeherry est tout à la fois sportif avéré et disc-jockey de salsa. C’est une figure notoirement connue des jeunes gens de son secteur et des communautés attenantes. Sa largeur de vue, il la doit certainement au fait qu’il a fréquenté une multitude d’organisations locales. Toutefois, vivre dans son quartier d’origine, est sa seule et unique quête.

« A l’âge de 15 ans, on a rejoint les équipes de travail volontaire. Cela fait plus de 10 ans maintenant. A la même époque, on a réalisé un recensement au collège. Sur 100 gamins, 70 d’entre eux sont morts avant d’avoir atteint les 18 ans, victimes de la délinquance et de la drogue. On sait maintenant que cette hécatombe est le fruit d’un système. Avant on ignorait tout cela, jusqu’à ce que l’action menée par Chavez a réussi à élever notre niveau de conscience. Ici, on est tous convaincus que c’est bel et bien le système capitaliste qui nous détruit à petit feu, à travers la drogue et le consumérisme débridé ».

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Actuellement, une équipe de travailleurs auxquels les jeunes du coin prêtent main forte, s’occupent de la réalisation des projets communautaires. Sur le grand groupe de volontaires qui a vu le jour il y a 10 ans, seuls 5 d’entre eux sont encore d’attaque aujourd’hui.

On commence néanmoins, à recueillir les dividendes de ces longues années d’activités.

La première action à laquelle Kerry a participé, c’est la réalisation d’un double terrain de foot-ball et de basket. « Avant cela » dit-il, « il n’y avait rien. On a peu à peu aménagé le terrain, pour aboutir à ce que l’on voit maintenant. On garde vraiment le souvenir d’une grande tâche, réalisée collectivement. Tous les camarades y ont participé. Je voudrais tout de même citer le nom de ceux qui ont été partie prenante de cette initiative, et qui ont rejoint les rangs de la première équipe de basket du secteur H2O : Maicol, Tusa, Cesita et Gasparin mon frère. Qu’il repose en paix maintenant ».

La mission que Kerry s’assigne, ne se cantonne pas au secteur où il vit. Elle s’étend à l’ensemble du maillage territorial correspondant à la grande Communauté actuelle : la Commune Zone Nord Altagracia, formée de l’agrégation des secteurs tels que Villas del Sol, La Esperanza, Terrazas del Avila, El Retiro I, El Retiro II, Nueva Esperanza Revolucionaria, Sol de Caraballo, José Maria Vargas, Brisas del Avila, Gracia de Dios, Providencia et Alcantamar.

Pour en revenir au terrain de sport, il faut préciser qu’avant sa création, cette zone était passablement hostile. Il était en effet courant de tomber sur les cadavres de personnes victimes de règlements de compte entre bandes rivales. De plus, la violence qu’engendrait la lutte pour le contrôle des territoires où écouler la drogue, était monnaie courante ici.

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On en était là, jusqu’au moment où la communauté -bardée d’un armement bien plus pacifique relevant du registre de l’argumentation et de projets à réaliser- décide de faire entendre sa voix.

Kerry :« On s’est extirpé de notre indolence une fois pour toutes, et on a rapidement compris que la pacification de ce secteur violent passait par sa réappropriation, pour en faire un espace récréatif pour les gamins. D’une manière plus générale, nous sommes également convaincus que l’on a pu sortir de cette impasse -et pas uniquement ici- du fait qu’on a ouvert les yeux des jeunes. C’est Hugo Rafael Chavez qui a rempli ce rôle ».

Avant, il était malheureusement facile de dénombrer tous les coups de feu tirés en une heure de temps. Désormais, ce sont les acclamations accompagnant les buts marqués par les équipes du coin, qu’on entend à longueur de journée.

Il suffit d’une étincelle, et toute la prairie s’enflamme.

Cette étincelle a bien accompli son travail. En effet, de nombreuses communautés ont commencé à s’apercevoir qu’il était possible de sortir de ce cercle vicieux. Kerry : « Oui, effectivement, aujourd’hui on s’affronte encore ici. Mais cette confrontation se fait à l’aide d’une balle aux pieds, d’une batte à la main pour jouer au base-ball. On pense aussi à prendre du bon temps ensemble, en flânant. Ce qui importe surtout, c’est que désormais, il n’est plus nécessaire de tuer pour survivre ».

Tout en haut du quartier de La Esperanza, se situe un îlot d’urbanisation baptisé Villas del Sol. On peut recueillir ici de nombreux témoignages qui attestent du fait que le Président Chavez en personne, s’est déplacé au moment où ce secteur était en pleine restructuration. Pourvu d’un déguisement adéquat (une perruque, des lunettes ou des moustaches), il s’est promené du côté de La Cota Mil. Toutefois, quand les gens du coin l’ont reconnu, il a été fêté et traité comme un roi. La rumeur a enflé de telle manière, qu’en peu de temps, toutes les rues adjacentes ont été littéralement prises d’assaut. C’est Kerry qui nous rapporte tout cela. Il insiste également sur le fait que plus d’une fois, Chavez s’est personnellement heurté aux bandes de délinquants qui écumaient la zone. « C’est ainsi que l’idée nous est venue d’aborder ces problèmes différemment. La venue du Président de la République bolivarienne, sa présence parmi nous, nous a gonflé à bloc. »

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De cet état de fait découlera la décision collective de s’organiser sérieusement : l’aficionado de basket-ball réunira une belle équipe autour de lui ; il en sera de même pour celui qui sera en charge du base-ball ; l’apprenti DJ réunira patiemment les fonds pour faire l’acquisition du matériel idoine; le chanteur amateur suivra à peu près la même voie, cherchant à améliorer ses propres performances vocales. Kerry :

« On peut en conclure qu’à ce jour, de nouvelles perspectives s’ouvrent à nous, du fait du chemin parcouru. Évidement, abandonner le quartier à ce stade, après tous ces efforts, ce serait contre-productif, tant sur le plan personnel, que collectif. Mais on est bien décidé à rester ici, et à poursuivre ce cheminement tous ensemble ».

Aujourd’hui, Kerry vient en aide à des jeunes de la zone (qu’ils soient ou non originaires du secteur) en veillant à leur intégration aux divers programmes de développement communautaire. Dans cette optique, les potentialités de chacun d’entre eux sont mises au service de tous. Les réunions étaient initialement destinées à mettre les jeunes gens en relation avec les diverses organisations sportives locales. Sportives, mais également, culturelles et récréatives. Kerry : « à ce jour, nous en sommes à la formalisation de multiples commissions ad hoc. On en compte 16 pour l’instant : sport, culture, communication, formation, finances, orientation et diversité sexuelles, politique étrangère et internationale, et de nombreuses autres, dont l’appellation m’échappe pour l’instant ».

Pour être plus précis, à Altagracia, Kerry s’emploie en ce moment, à structurer une nouvelle équipe de travail, en relation avec les mères de famille, parties prenantes des réunions organisées avec la jeunesse du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (JPSUV) . L’idée consiste à fusionner les aptitudes que chaque jeune recèle en lui -des jeunes de la Commune Zona Norte-afin de les placer au service de la collectivité, de l’intérêt général. On pense aussi à la période des congés, puisqu’une équipe s’est cristallisée autour de cette thématique.

A 17 ans, Franyeli Mota est chargée de l’élaboration des diverses stratégies communicationnelles qu’il s’agit d’activer à travers le vecteur des Arts graphiques. Elle vient tout juste de terminer son parcours dans le secondaire et s’attelle à la recherche d’une Université susceptible de lui permettre de suivre un cursus en Conception graphique.

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Franyeli et Drexler Daniel Veliz Diaz sont de la même famille. Drexler à 16 ans, et sa discipline de prédilection, c’est le sport. Diana Briceno et ces deux derniers, sont voisins. C’est la raison pour laquelle ils ont uni leur force en rejoignant tous ensemble le secteur récréatif mis en place dans le cadre du plan « Congés/vacances ». Antony da Silva a le même âge que Drexler. Il suit les cours du soir au lycée, car il souhaite ardemment intégrer les rangs de l’Inces  (Institut National de formation professionnelle).

Quant à Gilbeny Romero qui est issu de l’OP 6, il se consacre à l’art urbain du tag. Il a rejoint le collectif en suivant un parcours analogue à ses camarades : grâce à sa mère ? Pour l’instant, on ne peut pas dire qu’il soit très prolixe.

Kerry : « Contrairement à ce l’on peut penser, nous savons d’expérience que le dossier jeunesse est complexe. Il faut garder à l’esprit que notre objectif majeur, c’est capter l’attention des gamins, bien les recevoir, puis les insérer en douceur au sein du groupe organisé déjà existant. Il ne faut en aucune manière les faire fuir. Par la suite, chacun apportera sa part à l’ordonnancement du projet collectif ». Voici exposés les termes d’une réorganisation générale -concernant notamment la Commune Zona Norte Altagracia- dont on ne perçoit ici, qu’une infime partie. Dans ce cas de figure, on rompt radicalement avec le découpage politico-territorial traditionnel des quartiers, pour se donner une capacité d’intervention autrement cohésive touchant un vaste territoire, une sorte de grande Commune.

A 24 ans, Adrian Bielostotzky est le pacifique « compagnon d’armes » de Kerry, depuis les origines. Ensemble, ils ont été les maîtres d’oeuvre de la lutte pour l’organisation du secteur, dont ils sont familiers. Adrian a plus d’une flèche à son arc, car il a été parmi ceux qui ont accompli un très important travail volontaire destiné à substituer sur tout le territoire de La Esperanza, le sport aux impasses tragiques de la drogue et de la délinquance. Dans ce travail, Nairoby Noguera lui a prêté main forte. Ils ont le même âge. Ensemble, ils ont été les instigateurs d’événements et rendez-vous sportifs. Un levier destiné à éradiquer la violence et le contexte social qui l’accompagne.

On se souvient de Salvador Allende, lorsqu’il a déclaré que « ne pas être révolutionnaire quand on est jeune, relève quasiment d’une contradiction biologique ». Eh bien, cette phrase Kerry se l’approprie et caractérise ainsi l’ensemble du travail qu’il accomplit (avec ses camarades) sur le terrain.

Source en espagnol : http://www.ciudadccs.info/wp-content/uploads/2014/07/20/EPALEN89_WEB.pdf

Source en français : http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/07/29/comment-nous-avons-ouvert-les-yeux/