Depuis les plages du débarquement on pourra bientôt observer des dizaines d’éoliennes en mer. Et ce, malgré les doutes techniques et financiers qui s’ajoutent aux impacts environnementaux et à l’absence de concertation, que dénonce l’association Robin des Bois.

par Philippe Desfilhes

Angela Merkel, Barack Obama, Vladimir Poutine, François Hollande et les quinze autres chefs d’Etat qui se recueilleront aujourd’hui à 15 heures à Ouistreham à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du débarquement ne pourront pas les voir, car ils n’existent pas encore. Mais d’ici à un an ou un an et demi, l’horizon des plages de Sword Beach, Juno Beach, Gold Beach, Omaha Beach et Utah Beach sera occupé par des dizaines de mâts d’éoliennes.

Attribué à un consortium alliant EDF, Alstom et le danois Dong Energy, le projet de parc éolien offshore de Courseulles-sur-Mer (à l’aplomb de Juno Beach) prévoit soixante-quinze éoliennes maritimes à moins de dix kilomètres des côtes, donc bien visibles.

C’est l’un des quatre parcs décidés par le gouvernement Fillon au printemps 2012 avec ceux de Saint-Brieuc, Saint-Nazaire et Fécamp, et il soulève une vague d’indignation à travers le monde. Les grandes revues anglo-saxonnes regrettent notamment qu’on puisse porter ainsi atteinte à la mémoire de ce site historique.

En France, les grands médias sont restés silencieux. « Il faut pourtant dénoncer la course au gigantisme que mène dans le domaine de l’énergie éolienne un lobby où l’on retrouve, outre EDF et Alstom, Areva et Siemens. Ce sont les mêmes qui nous ont vendu il y a 35 ou 40 ans une énergie nucléaire censée être la solution « miracle » à nos besoins énergétiques et qui en sont d’ailleurs encore les acteurs et les promoteurs », s’insurge Jacky Bonnemains, de Robin des Bois.

Des monstres d’acier…

L’association de défense de l’environnement plaide pour un développement de l’éolien à une échelle plus raisonnable et pointe le manque d’analyses financières, techniques et environnementales qui entoure les projets français qu’elle juge démesurés. « Au large de Courseulles-sur-Mer, les éoliennes occuperont cinquante kilomètres carrés et il est question ailleurs de parcs de 100 km2. C’est pharaonique ! ».

Ces « zones industrielles maritimes » – car c’est bien d’une industrialisation des eaux côtières qu’il s’agit – seront hérissées de monstres d’acier et de matériaux composites non recyclables de 150 mètres d’envergure qui culmineront à 180 mètres au dessus de la mer.

« Les projets français prévoient des éoliennes de très forte puissance, 6 à 8 voire 10 megawatts, alors que la puissance moyenne des éoliennes installées au large du Danemark ou de l’Allemagne est de 2 à 3 mégawatts », assure le responsable de l’association.

Les structures pèsent au minimum 1 500 tonnes et il faut percer les fonds marins avec des pieux sur vingt ou trente mètres de profondeur. Elles peuvent être également posées sur des cônes de béton de 4 à 5 000 tonnes chacun. Les sédiments marins seront également occupés par un fouillis de câbles électriques.

« Or aucune éolienne de cette importance n’a encore prouvé en condition réelle sa capacité de résistance et de productivité », s’inquiète Jacky Bonnemains. Qu’en sera-t-il de leur résistance dans des conditions aussi difficiles que celles qui prévalent dans la Manche et l’Atlantique ? Et quid des délais et des coûts réels de fabrication et de maintenance ?

… installés sans aucune concertation

De nombreuses questions restent aussi en suspens aussi en ce qui concerne les impacts sur la faune et la flore. « Il y a très peu d’études et elles n’ont pas été réalisées en France. On sait que les risques sont importants pour les oiseaux pendant la phase d’exploitation et que les mammifères marins sont dérangés par le bruit, les vibrations et des infra-sons », explique Jacky Bonnemains.

L’environnementaliste critique aussi le fait que chaque projet de parc marin éolien soit étudié indépendamment des autres. « Or les oiseaux et les poissons migrateurs vont être perturbés par une succession de parcs éoliens offshore depuis Noirmoutier jusqu’au Tréport voire jusqu’à Dunkerque où il existe aussi un projet, puis au delà puisque des éoliennes marines sont également installées en Belgique. Comment vont-ils réagir à cet effet barrière ? », s’interroge-t-il.

Au delà des perturbations apportées aux plages du D-Day, une pause et réflexion approfondie s’imposent sur la mise en place des parcs éoliens offshore. « Il faut un Grenelle des énergies marines », insiste Jacky Bonnemains.


Source : Philippe Desfilhes pour Reporterre

Dessin : Robin des Bois