Par Eduardo Galeano (*)

« Le 20 mars de l’année 2003, les forces aériennes irakiennes ont bombardé les États-Unis d’Amérique. Dans le sillage de ces bombardements, les troupes irakiennes ont envahi le territoire US. Il y a eu des dommages collatéraux. Beaucoup de civils, la plupart des femmes et des enfants, ont été tués ou mutilés. La guerre était inévitable. La sécurité de l’Irak et de toute l’humanité était menacée par les armes de destruction massive amassées dans les arsenaux US. Il n’y avait aucun fondement, par contre, derrière les rumeurs insidieuses qui suggéraient que l’Irak avait l’intention de garder tout le pétrole de l’Alaska»….

Les passages suivants sont extraits du nouveau livre d’Eduardo Galeano, « Les Enfants des Jours : Un Calendrier de l’Histoire Humaine » :

Le jour où le Mexique a envahi les USA (9 mars)

En ce tôt matin de 1916, Pancho Villa a traversé la frontière avec ses cavaliers, a mis le feu à la ville de Colombus, tué plusieurs soldats, piqué quelques chevaux et fusils, et le jour suivant était de retour au Mexique pour raconter son histoire.

Cette incursion-éclair est la seule invasion que les USA aient subi depuis les guerres menées pour se détacher de l’Angleterre.

Par contraste, les USA ont envahi presque tous les pays du monde entier.

Depuis 1947 son Ministère de la Guerre s’est appelé le Ministère de la Défense, et son budget de guerre le budget de la défense.

Les noms sont une énigme aussi indéchiffrable que la Sainte Trinité.

La bombe de Dieu (6 août)

En 1945, alors que ce jour naissait, Hiroshima a perdu sa vie. La première apparition de la bombe atomique a incinéré cette ville et sa population en un instant.

Les quelques survivants, des somnambules mutilés, erraient parmi les ruines fumantes. Les brûlures sur leurs corps portaient l’empreinte des vêtements qu’ils portaient quand l’explosion a frappé. Sur ce qui restait des murs, le flash de la bombe atomique a laissé des silhouettes de ce qui avait été : une femme avec ses bras levés, un homme, un cheval attaché.

Trois jours plus tard, le président Harry Truman a parlé de la bombe à la radio.

Il a dit : « Nous remercions Dieu qu’elle nous soit venue, plutôt qu’à nos ennemis ; et nous prions qu’Il puisse nous guider pour l’utiliser à Ses fins et dans Ses buts. »

La fabrication des erreurs (20 avril)

C’était l’une des plus vastes expéditions militaires jamais lancées dans l’histoire des Caraïbes. Et ça a été la plus grosse bourde.

Les propriétaires dépossédés et expulsés de Cuba déclarèrent depuis Miami qu’ils étaient prêts à mourir en combattant pour la dévolution, contre la révolution.

Le gouvernement US les a crus, et leurs services secrets ont encore prouvé qu’ils ne méritaient pas d’avoir ce titre.

Le 20 avril 1961, trois jours après avoir débarqué dans la Baie des Cochons, armés jusqu’aux dents et appuyés par des navires de guerre et l’aviation, ces courageux héros ont rendu les armes.

Le monde à l’envers (20 mars)

Le 20 mars de l’année 2003, les forces aériennes irakiennes ont bombardé les États-Unis d’Amérique.

Dans le sillage de ces bombardements, les troupes irakiennes ont envahi le territoire US.

Il y a eu des dommages collatéraux. Beaucoup de civils, la plupart des femmes et des enfants, ont été tués ou mutilés. Personne ne sait combien, parce que la tradition dicte l’énumération des pertes subies par les forces d’invasion et interdit le décompte des victimes parmi la population envahie.

La guerre était inévitable. La sécurité de l’Irak et de toute l’humanité était menacée par les armes de destruction massive amassées dans les arsenaux US.

Il n’y avait aucun fondement, par contre, derrière les rumeurs insidieuses qui suggéraient que l’Irak avait l’intention de garder tout le pétrole de l’Alaska.

Dommage collatéral (13 juin)

À cette époque en 2010 il se révéla que de plus en plus de soldats US se suicidaient. C’était presque aussi courant que la mort au combat.

Le Pentagone a promis de recruter davantage de spécialistes de la santé mentale, déjà la branche professionnelle avec la plus grande croissance dans les forces armées.

Le monde est en train de devenir une immense base militaire, et cette base devient un asile psychiatrique de la taille de la planète. À l’intérieur de cet asile, qui est-ce qui est fou ? Les soldats qui se suicident ou les guerres qui les forcent à tuer ?

Opération Geronimo (2 mai)

Geronimo a mené la résistance des Apaches au dix-neuvième siècle.

Ce chef des envahis s’est gagné une sale réputation pour le fait de rendre les envahisseurs fous avec sa bravoure et son intelligence, et dans le siècle qui a suivi il est devenu le plus vilain méchant de l’Ouest à l’écran.

En ligne directe avec cette tradition, « Opération Geronimo » est le nom qui a été choisi par le gouvernement US pour l’exécution d’Oussama ben Laden, qui fut abattu et disparut ce jour de 2011.

Mais qu’est-ce que Geronimo a à voir avec ben Laden, le calife délirant sorti de la tambouille des laboratoires de propagande des militaires US ? Geronimo était-il même de loin semblable à cet épouvantail professionnel qui annonçait son intention de manger tout cru tous les enfants chaque fois qu’un président US avait besoin de justifier une nouvelle guerre ?

Le nom n’était pas un choix innocent : les militaires US ont toujours considéré les guerriers amérindiens qui défendaient leurs terres et leur dignité contre la conquête étrangère comme des terroristes.

Robots ailés (13 octobre)

Bonne nouvelle. En ce jour de l’année 2011 l’état-major militaire du monde a annoncé que les drones pouvaient continuer à tuer des gens.

Ces avions sans pilote, sans personne à bord, manœuvrés par télécommande, sont en bonne santé : le virus qui les avait attaqué n’était qu’une gêne passagère.

Dès lors, des drones ont fait pleuvoir leurs bombes sur des victimes sans défense an Afghanistan, en Irak, au Pakistan, au Yémen, en Palestine, et leurs services sont attendus dans d’autres pays.

À l’Âge de l’Ordinateur Tout-Puissant, les drones sont les guerriers parfaits. Ils tuent sans remords, obéissent sans hésiter, et ils ne révèlent jamais le nom de leurs maîtres.

Guerre contre la drogue (27 octobre)

En 1986, le président Ronald Reagan a repris en main la lance que Richard Nixon avait ramassée quelques années plus tôt, et la guerre contre la drogue reçut un shoot de multiples millions de dollars.

Dès cet instant, les bénéfices sont montés en flèche pour les trafiquants de drogue et les grosses banques blanchisseuses d’argent sale ; des drogues plus puissantes arrivèrent sur le marché pour tuer deux fois plus de gens qu’avant ; chaque semaine une prison ouvre ses portes aux USA, parce que le pays qui a le plus de toxicomanes a toujours de la place pour quelques toxicos de plus ; l’Afghanistan, un pays envahi et occupé par les USA, est devenu le fournisseur principal de presque toute l’héroïne du monde entier ; et la guerre contre les drogues, qui a transformé la Colombie en une grande base militaire US, est en train de transformer le Mexique en abattoir démentiel.

(*) Eduardo Galeano est l’un des auteurs latino-américains les plus reconnus. Il est l’auteur de « Les Veines Ouvertes de l’Amérique Latine », de la trilogie « Mémoire du Feu », de « Miroirs », et de beaucoup d’autres ouvrages. Son livre le plus récent, « Les Enfants des Jours : Un Calendrier de l’Histoire Humaine » vient d’être publié en anglais. Il est le lauréat de plusieurs prix internationaux, dont le premier Lannan Prize for Cultural Freedom, l’American Book Award, et le Prix Casa de las Américas.

Source : Tomdispatch.com

Source en français : http://www.michelcollon.info/L-Irak-envahit-les-Etats-Unis.html