Par Chems Eddine Chitour (*)

«Il ne faut plus changer de pansement mais penser le changement», Nöel  Mamère Député français

Ça y est !  L’Iran a signé un accord sur le nucléaire avec les 5 du Conseil de sécurité +1. Selon le côté d’où l’on observe cet accord, c’est soit une victoire qui a réussi à faire mettre un genou à terre en lui faisant abandonner toute velléité d’accès au nucléaire militaire, soit une victoire si l’on accorde au triomphalisme des Iraniens, qui disent avoir préservé leur capacité d’enrichissement, bien qu’accord n’en parle pas explicitement, soit tout le monde s’est trompé: Israël a raison, c’est un mauvais accord qui laisserait intacte la capacité de nuisance des Iraniens.

C’est à se demander si les prétentions d’Ahmadinejad étaient toutes autres? La bombe? Ou simplement un gigantesque malentendu que le doigté de Rohani a dissipé. Et pourtant, malgré toutes les privations qu’il a subies l’Iran a continué sa quête du savoir et de la technologie. Les «stratèges du FMI» qui sont allés scanner sans complaisance l’économie iranienne, il y a deux ans, n’ont pas dans leur rapport tari d’éloges sur la gouvernance iranienne.

La dernière prouesse iranienne c’est la fabrication d’un drone avec un long rayon d’action, c’est peut-être un copier-coller du fameux drone américain espion intercepté, neutralisé et l’Iran, autrefois connue sous le nom de Perse, a donné naissance il y a 2500 ans au premier, ramené intact sur une base iranienne. Summum de la bataille technologique, malgré la cyberattaque par le suxnet virus américano-israélien pour freiner le programme d’enrichissement, on apprend que l’Iran a créé l’équivalent de Google, utilise ses satellites et toutes institutions sensibles sont connectées à l’intranet. Il y a donc matière à réétalonner les rapports avec ce pays.

L’Iran dans l’Histoire

Peu de personnes, surtout en Occident ont une perception réelle de la dimension historique de cet empire. Comme lu sur le site «Hérodote»: «L’Iran est un empire à vocation universelle. Depuis lors, les plateaux iraniens ont abrité des civilisations du plus extrême raffinement, qui n’ont rien à envier à l’Occident comme à l’Orient. À la différence de leurs voisins, les Iraniens ne souffrent d’aucune frustration à l’égard de l’Occident. Ils n’ont de «revanche» à prendre sur personne, sinon sur les trublions cupides qui ont tenté depuis la Seconde Guerre mondiale de s’approprier leurs réserves pétrolières….. Vaste comme trois fois la France (1,6 million de km2), l’Iran compte un peu plus d’habitants qu’elle (70 millions). Aujourd’hui comme au temps de Cyrus, le pays témoigne d’une très grande diversité de populations et de langues ».(1)

Dans l’Antiquité domine le mazdéisme (de Mazda, Dieu, dans la langue perse), aussi appelé zoroastrisme VIIe siècle avant J.-C. Il prospère sous les Achéménides (les héritiers de Cyrus) et va survivre jusqu’à l’approche de l’an 1000 avant de s’effacer presque complètement face à la poussée de l’Islam. Le judaïsme est présent en Iran dès l’époque des Achéménides, Cyrus le Grand lui-même ayant accueilli des Hébreux après leur exil de Babylone! Le christianisme arrive en Iran dès les premiers siècles de notre ère. Aujourd’hui, victime de persécutions, il n’est plus guère représenté en Iran. L’Islam arrive quant à lui avec la conquête arabe, en 651, mais ne s’impose pas d’emblée. (…) le chiisme duodécimain. Le chiisme devient religion d’État sous la dynastie nationale des Safavides, au XVIe siècle. Depuis que Cyrus le Grand a rassemblé tous les peuples des plateaux iraniens sous son autorité et les a entraînés à la conquête de l’Orient, de la mer Égée à l’Indus, l’Iran n’a plus cessé de rayonner sur le monde environnant».(1) Voilà pour l’histoire.

Les détails de l’accord sur le nucléaire iranien

L’accord signé entre les sept pays négociateurs (Iran, Etats-Unis, Russie, Chine, France, Allemagne et Royaume-Uni) prévoit que la République islamique accepte de limiter son programme nucléaire, soupçonnée par Washington et ses alliés d’avoir des visées militaires, en échange d’un allègement des sanctions économiques. L’accord obtenu n’est que préliminaire et devra déboucher dans six mois sur un accord définitif. L’Iran s’est engagé à une profonde révision de son programme nucléaire et se soumettra à des inspections internationales plus poussées pendant six mois: cesser tout enrichissement d’uranium «à plus de 5% et de démanteler les processus techniques nécessaires pour enrichir à plus de 5%» ; neutraliser «son stock d’uranium enrichi à près de 20% en le diluant», arrêter la construction de toute nouvelle centrifugeuse à uranium. (2)

« Le pays a cependant le droit de remplacer les centrifugeuses déjà existantes, interrompre les travaux menant à la mise en marche d’un réacteur dans l’usine d’Arak ainsi que la production de combustible à destination de cette centrale, deux points particulièrement défendus par la France, renoncer à construire une «usine capable (…) d’extraire du plutonium à partir du combustible usagé», permettre un «accès quotidien de ses sites de Natanz et Fordow à des experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)» ainsi qu’à ses usines de fabrication de centrifugeuses et aux mines d’uranium. En contrepartie, les pays négociateurs vont consentir à un allègement des sanctions «limité, temporaire, ciblé et qui pourra être annulé», équivalant à environ sept milliards de dollars, ce qui ne représente qu’une fraction des sanctions pour l’Iran ». (2)

 Y a-t-il eu une vraie chance pour la paix?

Au-delà des communiqués triomphalistes de part et d’autre et de l’apocalypse annoncée par Israël, François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran pense que c’est un bon accord. Ecoutons-le: «C’est un bon accord, Il est solide, détaillé, équilibré. Il offre aux deux parties des satisfactions. (…) Israël voit le verre à moitié vide, mais force est de constater que cet accord préliminaire ne facilite pas l’avancée de l’Iran vers la bombe pendant la durée des négociations. L’accord permet une levée limitée, mais réelle de ces sanctions qui pénalisent lourdement l’économie iranienne: la capacité d’exportation de pétrole de l’Iran, a été réduite de moitié et les sanctions étaient conçues pour les réduire à zéro. (…) Une des clauses de l’accord pourrait s’avérer importante pour l’industrie française: la levée des sanctions américaines sur l’automobile. Cela pourrait permettre à Peugeot et Renault de revenir en Iran. Les deux groupes qui étaient très présents dans le pays ont été lourdement pénalisés par ces sanctions. L’accord dit clairement que l’Iran bénéficie de tous les droits et devoirs accordés par le traité de non-prolifération nucléaire Il n’est pas écrit en toutes lettres que l’Iran peut continuer à enrichir son uranium, mais de fait le texte établit implicitement cette possibilité. La formulation est habile, elle permet à chacun de garder la tête haute.» (3)

La réalité des choses

Il semble tout d’abord que l’accord est en gestation depuis plusieurs mois bien avant la prise de fonction de Rohani. Est-ce à dire que s’agissant de cela, Ahmadinejad, ne pouvait pas ne pas savoir ce qui se passait et qu’en fait tout se joue avec les Etats-Unis. Selon l’Associated Press, du 24 novembre, citant des responsables américains, de hauts responsables américains et iraniens ont mené pendant plusieurs mois des discussions bilatérales secrètes qui ont joué un rôle important dans l’accord préliminaire sur le nucléaire iranien conclu dans la nuit de samedi à dimanche. Ce n’est qu’après le coup de fil historique entre le président iranien nouvellement élu et Barack Obama, fin septembre, que les Etats-Unis ont informé leurs alliés, les autres membres du P5+1 et Israël, de l’existence de réunions secrètes tenues pendant l’été, raconte l’agence.

Le «deux poids, deux mesures» dénoncé par le député Noël Mamère

Pour Noël Mamère: «Qui ne peut se réjouir de l’accord passé entre l’Iran et la communauté internationale sur le nucléaire militaire? Pour une fois qu’une bonne nouvelle arrive de cette région du monde, ne boudons pas notre plaisir Le bilan est impressionnant. L’Iran s’engage… En contrepartie, les pays négociateurs allègent les sanctions et n’en n’imposeront pas de nouvelles pendant six mois (…) Israël ne peut continuer à utiliser le danger du nucléaire iranien pour faire diversion. Pour une fois, la diplomatie a primé sur la logique de guerre et a fait bouger les choses dans un sens positif. Bien sûr, la réaction d’Israël est négative. Mais pour de mauvaises raisons. Faut-il rappeler que le seul Etat de la région à posséder l’arme nucléaire est précisément Israël? Il ne pourra pas cacher plus longtemps son immobilisme sur le dossier palestinien, sa volonté implacable de continuer encore et encore la colonisation, en faisant diversion avec le nucléaire iranien. (…) L’accord signé dimanche est aussi un pas en avant important pour la paix en Syrie.(…)»

Noël Mamère va plus loin, il parle de désarment global: «Mais cet accord ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, à savoir, le désarmement nucléaire multilatéral. L’Iran n’a fait ni plus ni moins que ce qu’a fait avant elle l’ensemble des pays dotés de l’arme nucléaire: lancer des programmes nucléaires militaires dans le plus grand secret et mettre la communauté internationale devant le fait accompli (…)… Le fait est que, depuis quarante ans que le Traité est entré en vigueur, les Etats nucléaires continuent à moderniser leurs armes sans s’être jamais engagés dans une négociation en vue d’un désarmement complet ».(4)

Noël Mamère en appelle à un désarment du Moyen-Orient: «La dynamique de Genève doit permettre de pousser l’avantage. L’objectif doit être de faire du Moyen-Orient une «zone exempte d’armes nucléaires». Elle est toujours bloquée par les Etats-Unis et Israël (…) On ne peut vouloir interdire l’accès au nucléaire de l’Iran, signataire du TNP, et laisser d’autres Etats, comme Israël, continuer à s’équiper sans aucun contrôle de la communauté internationale. Il ne saurait y avoir deux poids, deux mesures. (…) Cette observation est également valable pour la France qui, malgré la crise, persiste à conserver et à renforcer son potentiel nucléaire.»(4)

Les réactions  dans le monde occidental et en Israël

Lors d’une intervention solennelle depuis la Maison-Blanche, le président américain Barack Obama a assuré que cet accord obtenu à l’arraché «barre le chemin le plus évident» de la République islamique vers une bombe atomique. Même satisfaction intéressée des pays européens qui attendent des miettes du marché prometteur de 70 ùmillions d’Iraniens consommateurs  des champs de gaz de South Pars, une fois que l’Empire se sera servi..

La réaction de l’Etat hébreu ne s’est pas fait attendre: le bureau du Premier ministre Banjamin Netanyahu a dénoncé un «mauvais accord qui offre exactement ce que l’Iran voulait: la levée significative des sanctions et le maintien d’une partie significative de son programme nucléaire.» De son côté, le ministre de l’Economies Naftali: «L’accord laisse intacte la machine nucléaire iranienne et pourrait permettre à l’Iran de produire une bombe dans une période de six à sept semaines. Israël est prêt à toute éventualité», a déclaré le ministre israélien à la radio militaire ». (5)

« Pour Simon Peres, «un accord a été signé entre le P5 +1 et l’Iran. C’est un accord intérimaire. Le succès ou l’échec de l’accord sera jugé par des résultats et non par des mots. Je voudrais dire au peuple iranien: «Vous n’êtes pas notre ennemi et nous ne sommes pas le vôtre. Il est possible de résoudre ce problème par la voie diplomatique. Cela est entre vos mains. Rejetez le terrorisme. Arrêtez le programme nucléaire. Arrêtez le développement de missiles à longue portée». Pour sa part, la ministre de la Justice, Tzipi Livni a recommandé de «regarder vers l’avenir: Israël doit agir en étroite coopération avec les Etats-Unis pour renforcer cette alliance stratégique et créer un front politique avec d’autres pays, comme les pays arabes, qui considèrent un Iran nucléarisé comme une menace.» (5)

Curieusement, au moment où la vraie communauté internationale celle des «laissés pour compte»  inaudible, pousse un ouf de soulagement, on dit que les Saoudiens ne sont pas d’accord avec l’accord! Pour le journal britannique Sunday Times se référant à des sources diplomatiques, ils seraient prêts à s’allier avec Israël pour démolir l’Iran! Le service de renseignement israélien Mossad et les autorités saoudiennes coopèrent pour mettre au point un plan d’attaque contre l’Iran. L’Arabie Saoudite envisage également de fournir à l’Etat hébreu des drones, des hélicoptères de sauvetage et des avions de transport. C’est dire si les dirigeants saoudiens ont perdu toute crédibilité.

La guerre invisible en Cisjordanie

Pourtant, le vrai scandale, c’est celui de la condition palestinienne sous la colonisation qui continue et les constructions qui ont connu un essor sans précédent. C’est à se demander si un jour ces négociations aboutiront pour mettre un terme au martyr d’un peuple, maintenant qu’Israël ne peut plus brandir la menace d’un Iran nucléaire à ses portes. Il semble que non! Dans le film Voyage dans une guerre invisible réalisé par Paul Moreira. Benjamin Barthes du journal Le Monde rapporte le traitement de la population palestinienne par les autorités israéliennes.: «(…) Nous sommes en 2001, en pleine seconde Intifada. Ne se sachant pas filmé, l’ex-chef de file du Likoud, la droite nationaliste, raconte, avec un cynisme et une roublardise à toute épreuve comment il a réussi à vider les accords de paix d’Oslo de leur substance. Devant l’un de ses hôtes, qui s’inquiète d’éventuelles pressions internationales, il lâche, plein de dédain: «Qu’ils parlent, qu’ils parlent, laisse-les parler.»(6)

«Dans la séquence. On y voit des jeunes juifs, le visage masqué, mettre le feu à des oliveraies, sous le regard passif des soldats; un vieux berger à dos de mulet empêché d’emmener son troupeau paître, par des conscrits trois fois plus jeunes que lui; la population entière d’une ville (Hébron), privée de marché, pour que la poignée de fanatiques juifs enkystés dans son centre puisse célébrer une fête du calendrier juif. D’une précision scrupuleuse, il donne la parole à des colons en désaccord avec ces pratiques, tout en pointant la complaisance éhontée des autorités à l’égard de ces extrémistes en kippa».(6) Tout est dit.

A qui profite en définitive,  la «normalisation» de l’Iran? Sans l’ombre d’un doute, aux Américains, les vassaux auront des miettes du marché iranien. Ensuite à Israël qui malgré les protestations, sort grand vainqueur. Le perdant est connu, c’est toujours le Monde arabe installé confortablement dans les temps morts avec des potentats adoubés par l’Occident qui sont là depuis la nuit des temps sans perspective aucune pour les peuples arabes harassés par tant de malheur.

(*) Professeur  à l’Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 Notes

1. http://www.herodote.net/2500_ans_d_ Histoire-synthese-218.php

2. Les détails de l’accord sur le nucléaire iranien Le Monde.fr avec AFP | 25.11.2013

3. Nucléaire iranien: «L’accord de Genève permet à chacun de garder la tête haute» Propos recueillis par Catherine Gouëset, 24/11/2013

4. http://blogs.rue89.com/chez-noel-mamere/2013/11/25/interdire-le-nucleaire-militaire-liran-et-pas-israel-231775

5. http://www.tribunejuive.info/israel/israel-decu-inquiet-determine

6.Benjamin Barthe http://www.lemonde.fr/ culture/article/2013/11/25/voyage-dans-une-guerre-invisible_3518819_3246.html

Source : http://www.mondialisation.ca/la-normalisation-de-liran-a-qui-profite-t-elle/5359930?utm_source=feedly