Pressenza reproduit la version française de l’entretien (le 24/19/2013) de ‘LE MUR A DES OREILLES’ avec Ken Loach où sont évoquées l’importance du conflit en Palestine aujourd’hui, la puissance de l’art comme arme de résistance, la montée des idées et partis d’extrême droite en Europe…

Par Frank Barat

Frank Barat: Pouvez-vous nous dire comment avez-vous été sensibilisé et ensuite impliqué dans la lutte pour les droits des Palestiniens?

Ken Loach: Il y a plusieurs années, j’ai travaillé sur une pièce de théâtre intitulée “Perdition”. C’était une pièce qui parlait du Sionisme pendant la seconde guerre mondiale et l’accord qui avait été passé entre certains sionistes et les nazis. Ça donnait un éclairage tout à fait différent à la création d’Israël et à la politique sioniste. J’ai pris conscience, et de plus en plus au cours des années qui ont suivi, qu’Israël avait été créé sur un crime contre les Palestiniens. D’autres crimes ont suivi par après. L’oppression des Palestiniens qui ont perdu leur terre, dont la vie ont été brisées par l’occupation, qui vivent dans un état de dépression permanente, … Cela continue encore aujourd’hui et c’est un problème qu’il nous faut régler.

FB: Pourquoi la Palestine? Pourquoi les combats pour la justice en Palestine est-il symbolique?

KL: C’est vrai, de nombreux peuples sont opprimés à travers le monde mais de nombreux aspects rendent le conflit Israélo-Palestinien particulier. Tout d’abord, Israël se présente comme une démocratie, un pays comme tous les autres pays occidentaux, alors qu’il commet des crimes contre l’humanité. Israël a mis en place un État divisé par des frontières raciales, comme le régime d’Apartheid en Afrique du Sud, avec le soutien militaire et financier de l’Europe et des États-Unis. C’est d’une hypocrisie sans bornes. Nous soutenons un pays qui prétend être une démocratie, nous le soutenons à tous les niveaux, et pourtant, il est impliqué dans des crimes contre l’humanité.

FB: Nous avons plusieurs outils à notre disposition pour essayer de changer les choses, parmi eux, la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions). Vous avez été une des premières personnalités à mettre en pratique et à soutenir l’appel au boycott culturel d’Israël et nombreux sont ceux qui vous ont suivi depuis. Certains disent que vous ne devriez pas boycotter la culture, qu’est-ce que vous avez à leur répondre ?

KL: Nous sommes en premier lieu des citoyens. Et lorsque nous nous trouvons confrontés à de tels crimes, il nous faut d’abord réagir en tant qu’êtres humains, artistes, VIP, ou quoi que ce soit d’autre, peu importe. La première chose est de faire tout notre possible pour informer les gens de la situation. Un boycott, c’est une tactique. Celle-ci est efficace contre Israël parce qu’Israël se présente comme un pilier culturel. Le boycott culturel le gêne donc beaucoup. Nous devrions n’être impliqués dans aucun projet soutenu par le gouvernement israélien. Les individus ne sont évidemment pas concernés, ce sont les actions de l’État israélien qu’il nous faut cibler. Nous devons le faire car il nous est impossible de rester là sans rien faire, à regarder les gens vivre dans des camps de réfugiés toutes leurs vies.

FB: Israël utilise l’art et les films pour sa campagne « Brand Israël ». L’art est donc politique. Même si certains artistes s’en défendent et répondent à l’appel du BDS en disant qu’ils sont chanteurs, comédiens, musiciens mais pas politiciens. En ce qui vous concerne, tous vos films sont politiques. À votre avis alors, l’art peut-il être une arme contre l’oppression ?

KL: Oui. Fondamentalement, quelque soit l’histoire que vous décidez de raconter ou les images que vous choisissez de montrer, votre sélection indique vos préoccupations. Si vous faites quelque chose de complètement idéaliste dans un monde où règne l’oppression, cela montre quelles sont vos priorités. Un gros film commercial, pour faire beaucoup d’argent, montre quelque chose. Cela dénote une position politique et a des conséquences. La plupart des créations artistiques a une implication politique.

FB: Avez-vous entendu parler du film « Wolrd War Z », dans lequel joue Brad Pitt ? Ce film montre un monde attaqué par un virus où le seul lieu protégé est Israël grâce au mur qu’il a érigé sur ses frontières.

KL: Je ne l’ai pas vu mais ça résonne comme une histoire d’extrême droite. Il faudrait le voir avant de porter un jugement mais ça ressemble vraiment, de la façon dont vous le décrivez, comme un fantasme d’extrême droite. Il est intéressant de noter comment Israël peut se définir par ses alliances. En Irlande du Nord, qui a une longue histoire de division entre les loyalistes et les républicains, sur leurs murs les royalistes ont les drapeaux d’Israël et des blancs d’Afrique du Sud, les républicains ceux de la Palestine et de l’ANC. Ces alliances en disent tant sur ce que les gens pensent vraiment.

FB: La montée de l’extrême droite et des idées d’extrême droite un peu partout en Europe vous inquiète-t-elle ? Ça ressemble aux années 30, non ?

KL: La montée de l’extrême droite accompagne toujours la récession économique, la dépression et le chômage de masse. Les personnes au pouvoir, qui veulent conserver le pouvoir, trouvent toujours des boucs-émissaires. Parce qu’elles ne veulent pas que le peuple combatte son réel ennemi, qui est la classe capitaliste des propriétaires des grandes entreprises, de ceux aux contrôles de la politique. Il leur faut trouver des boucs-émissaires. Les plus pauvres, les immigrés, les demandeurs d’asile, les gitans doivent être blâmés. La droite choisit de mettre la responsabilité de la crise économique de son système sur le dos des plus vulnérables, des plus faibles. Devant le chômage de masse, les gens sont mécontents et doivent trouver quelque chose contre laquelle se battre. C’était les Juifs dans les années 30, et ils ont subi des choses horribles, maintenant c’est les immigrés, les chômeurs… Ici, au Royaume Uni, nous avons une presse affreuse qui rend les chômeurs responsables de ne pas travailler, alors que, bien sûr, il n’y a pas de travail.

FB: Alors comment se défendre contre cela quand les mêmes personnes ont la main‑mise sur tout : la presse, le capital, la politique… Comment la société civile, qui n’a pas accès aux médias de masse, peut-elle renverser cette idéologie ?

KL: Grande question. En fin de compte, il n’y a pas d’autres armes que la politique. Nous devons analyser la situation et organiser la résistance. De quelle manière ? C’est toujours la grande question. Il faut vaincre toutes les attaques sur le terrain et rester solidaires avec ceux qui les subissent. Il nous faut également organiser des partis politiques. Le problème que nous avons est que les partis politiques existant font une analyse biaisée de la situation. Les partis stalinistes ont conduit les gens dans le mur pendant de longues années, les sociaux-démocrates veulent nous faire croire qu’il faut travailler à l’intérieur du système pour le réformer, et que de cette façon on y arrivera. Ce qui, bien sûr, est un fantasme. Ça ne marchera jamais. La grande question est : quelle politique ? Les gens se battent avec cette question au quotidien.

FB: Votre dernier film, « Jimmy’s Hall », que vous venez tout juste de finir de tourner, aborde le sujet des personnes marginalisées à cause de leurs opinions politiques. J’ai lu aujourd’hui que ce film pourrait être votre dernier et que vous pourriez vous concentrer sur la réalisation de documentaires… c’est une bonne nouvelle pour la Palestine.

KL: Je ne sais pas, vous savez. Le tournage de Jimmy’s Hall a été long et éprouvant. Je ne suis pas sûr de pouvoir en faire un autre de cette ampleur. Mais il y a toujours des problèmes à soulever quelque part, alors il faut que je trouve la meilleure façon de créer encore un peu plus de remue-ménage. Il est évident que des films doivent être faits sur la Palestine. En fait, les Palestiniens doivent les faire. Le combat pour la Palestine finira par être gagné. Les choses ne restent pas les mêmes indéfiniment. Le combat se gagnera finalement. La grande question est de savoir quelle Palestine émergera. L’objectif n’est pas seulement de mettre un terme à l’oppression israélienne.

Mais l’interrogation qui reste est : quel État surgira ? Un État pour le peuple, ou encore un État dominé par une classe fortunée qui opprimera le reste de la population, indépendamment de ses origines ? Quel genre d’État va naitre, c’est ça la plus grande question.

Source : http://lemuradesoreilles.org/2013/11/04/exclusive-interview-with-ken-loach/