Par Patrick Saurin

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 3 juin dernier, Michel Klopfer estimait le risque lié aux emprunts toxiques entre 15 et 20 milliards d’euros (1). Cela donne la mesure de l’étendue du risque que les banques font porter aux acteurs publics locaux et souligne également l’urgence qu’il y a à apporter une solution à ce problème.

Cette note a pour objet de faire une synthèse de l’état des lieux de ce dossier à ce jour. Elle a pour vocation d’aider les élus et les citoyens organisés en collectifs à préparer une riposte à l’offensive que le gouvernement socialiste, en connivence avec la droite et les banques, s’apprête à lancer contre les collectivités à la rentrée. Nous allons présenter, analyser et évaluer successivement les trois voies possibles susceptibles d’apporter une solution au problème des prêts toxiques : la négociation amiable, le plan gouvernemental et l’action en justice.

1) La négociation amiable

Malgré les efforts des pouvoirs publics, rappelons-nous de la médiation Gissler mise en place fin 2009, cette voie a été un échec si l’on en juge le faible nombre de dossiers solutionnés, le plus souvent dans l’intérêt des banques. De plus, cette voie n’est pas sans risques ni inconvénients pour les collectivités si l’on en juge l’opacité que leur imposent les banques pour procéder à des renégociations. Enfin, lorsqu’elles donnent lieu à un accord, invariablement, ces renégociations aboutissent à une prise en charge d’une part significative voire de la totalité des surcoûts par les collectivités. Pour preuve, après avoir obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Paris, la ville de Saint-Étienne a conclu un accord amiable avec Royal Bank of Scotland le 11 novembre 2012 en acceptant de prendre à sa charge 50 % de la soulte pour dénouer deux contrats de swap contestés (plus de 1 million d’euros en l’espèce). Ainsi, à chaque fois, la réponse proposée par les banques consiste à intégrer la soulte au capital restant dû et à rallonger la durée de l’emprunt, ce qui revient à laisser aux emprunteurs la charge des surcoûts et à renvoyer le problème sur les générations futures.

2) Le plan gouvernemental

Pour comprendre la raison d’être de ce plan, il faut évoquer la Société de Financement Local.

Le « problème » de la Société de Financement Local

Ces dernières années, les banques se sont désengagées du marché des collectivités locales au motif que la réglementation Bâle III leur impose de disposer des fonds propres en contrepartie des crédits qu’elles consentent. Or les collectivités publiques sont des grandes consommatrices de crédit alors qu’elles ne peuvent déposer leurs fonds dans les banques puisque c’est le Trésor public qui gère leurs comptes. Les collectivités assurant plus de 70 % du financement de l’investissement public en France, l’État a dû intervenir pour leur trouver des financements et pallier le désengagement des banques, grâce notamment à des enveloppes mises à disposition par le CDC.

C’est ainsi qu’il a créé fin janvier 2013 la Société de Financement local (SFIL). La Société de Financement Local est une société anonyme à conseil d’administration agréée en qualité d’établissement de crédit par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP).

Le capital de la SFIL est détenu à 75 % par l’État, à 20 % par la CDC et à 5 % par la Banque Postale. Opérationnelle depuis le 1er février, la SFIL est dirigée par l’actuel directeur général de l’Agence France-Trésor, Philippe Mills.

La SFIL hérite d’un portefeuille de 90 milliards d’euros de prêts déjà consentis à des collectivités. Il s’agit du portefeuille de prêts de DEXMA (Dexia Municipal Agency) racheté pour l’euro symbolique. Cette opération s’inscrit dans la foulée des 3 plans de sauvetage mis en place par la Belgique, la France et le Luxembourg qui se sont révélés vains puisque Dexia a dû être démantelée. Ces 3 États avaient apporté des milliards de garantie à Dexia. La reprise des encours de DEXMA par la SFIL s’inscrit dans ce processus. Sur le stock, 9,4 milliards d’euros sont considérés comme « sensibles » (comprendre « toxiques ») et concernent environ 1 000 collectivités. Il s’agit de prêts structurés dont le taux est indexé sur des cours de monnaies telles que le franc suisse, le dollar ou le yen. Ce stock de 9,4 milliards d’euros de prêts toxiques est donc assumé par la SFIL, c’est-à-dire l’État. Cela explique le peu d’enthousiasme de l’État à solutionner le problème dans le sens des collectivités locales et le fait qu’il invite ces collectivités à payer leur dette et à ne pas agir en justice. En juin 2012, un rapport confidentiel de l’Inspection générale des finances (IGF) invitait les hôpitaux et les organismes de logement social à vendre des biens de leur patrimoine pour honorer leurs échéances. Enfin rappelons que derrière l’État, ce sont les contribuables qui sont appelés à payer en dernier ressort. Une des taches à venir de la SFIL sera de se débarrasser progressivement des prêts à risque et de gérer les actions en justice engagées par les emprunteurs.

Le problème des prêts toxiques de DEXIA est devenu celui de la SFIL et, à travers celle-ci, de l’État qui a dû concevoir un projet de solution dont l’unique vocation est en réalité d’externaliser le risque sur les acteurs publics locaux et au final sur leurs administrés.

La création d’un fonds de soutien pluriannuel : une entourloupe pour les collectivités

Le 18 juin dernier, dans un communiqué de presse, le ministère des finances a annoncé la mise en place d’un nouveau fonds de soutien pluriannuel destiné à aider les collectivités impactées par les prêts toxiques. En réalité, même si le ministère des finances a réaffirmé « sa volonté d’apporter une solution pérenne et globale au problème des emprunts structurés les plus sensibles », ce projet dissimule un risque majeur pour les collectivités car il vise à leur faire porter une partie des surcoûts en les privant de leur droit d’agir en justice. Ce projet qui sera soumis au Parlement à l’automne 2013 conjugue imprécision et duplicité.

Tout d’abord, aucun montant n’est avancé. Rappelons pour mémoire que le premier fonds de soutien prévu par le projet de loi de finances rectificative pour 2012 était doté de 50 millions d’euros… dont 25 millions prélevés sur le produit des amendes de police destinées aux collectivités territoriales. Le montant de ce fonds et sa composition témoignent de la légèreté et de la fourberie du gouvernement si l’on sait que Michel Klopfer estimait récemment le risque lié aux emprunts toxiques entre 15 et 20 milliards d’euros. Beaucoup d’imprécisions demeurent : quels seraient les contrats concernés ? quels traitement pour les dossiers qui ne sont pas en contentieux, ceux qui ont déjà fait l’objet d’une négociation amiable, ceux qui ont fait l’objet d’une assignation en justice et parmi ces derniers ceux qui ont déjà fait l’objet d’une décision ? Quels acteurs publics seraient éligibles à ce fonds (collectivités locales, établissements publics de santé, organismes de logement social, maisons de retraite publique, voire les associations gestionnaires) ?

Ensuite, si le ministère prévoit une contribution du secteur bancaire, à aucun moment il n’en détaille les modalités ni n’avance de montant. Il prend soin de préciser son intention de « faciliter la conclusion de transactions entre les banques et les collectivités locales ou leurs groupements, sur une base acceptable par l’ensemble des parties », ce qui signifie en clair que les collectivités devront mettre la main au portefeuille.

Enfin, plus grave, cette opération s’accompagnerait d’une violation caractérisée du principe de non-rétroactivité des lois affirmé dans notre droit puisque « ce nouveau plan tient compte également de la décision récente du tribunal de grande instance de Nanterre ». Cet euphémisme elliptique pourrait signifier que les télécopies matérialisant l’accord des parties avant la signature des contrats et les contrats qui n’auraient pas mentionné le TEG (taux effectif global), pourtant obligatoire, en seraient rétroactivement dispensés. Ainsi, la victoire du Conseil général de Seine-Saint-Denis contre Dexia devant le TGI de Nanterre le 8 février dernier n’aurait été qu’un éphémère intermède de droit. La SFIL, porteuse des 9,4 milliards d’euros d’encours toxiques hérités de Dexia, ne serait pas la seule à trouver son compte à cette validation rétroactive de transactions illégales, puisque toutes les banques françaises et étrangères dont les contrats ont omis le TEG, voire dont le TEG serait erroné, bénéficieraient de cet aménagement du droit sur mesure. « Puisque le droit se retourne contre la SFIL et les banques, il faut changer le droit », ainsi pourrait-on résumer l’attitude du gouvernement en paraphrasant Brecht. Naturellement, il serait demandé aux collectivités s’engageant dans ce dispositif de renoncer à toute action en justice contre les banques, lesquelles sortiraient une nouvelle fois exonérées de leurs responsabilités, encore une fois avec le secours de l’État.

Ainsi, pour les citoyennes et les citoyens, le combat contre les dettes illégales et illégitimes reste plus que jamais d’actualité. Face à la des banques, à la déloyauté du gouvernement et à l’incurie de la quasi-totalité de la classe politique, leur appui aux collectivités, aux hôpitaux et aux organismes de logement social contaminés par les prêts toxiques se doit plus que jamais d’être indéfectible pour refuser que les acteurs publics et derrière eux les contribuables supportent les conséquences des agissements spéculatifs des banques.

3) L’action en justice

Du point de vue du droit, il existe une multitude de pistes susceptibles d’être utilisées contre les banques (le dol ou tromperie, le défaut de conseil, le défaut d’information, le défaut de TEG, le caractère spéculatif des opérations, le non-respect de la disposition qui interdit aux collectivités de souscrire des produits spéculatifs, etc.) pour faire reconnaître les prêts toxiques illégaux ou illégitimes.

L’action en justice peut être exercée soit par les collectivités, soit, en cas de défaillance de ces dernières, par les citoyens dans le cadre d’une action de substitution prévue par notre droit et connue sous le nom d’ « autorisation de plaider ».

a) L’action en justice exercée par les collectivités

En juin 2013, on compterait plus de 300 assignations concernant 200 collectivités publiques.

Un certain nombre de décisions ont été rendues sur ces litiges liés aux prêts toxiques mais sans qu’une décision définitive sur le fond soit intervenue. Nous disposons de 7 décisions à cette date : un avis de d’une chambre régionale des comptes, cinq décisions de première instance rendues par des tribunaux de grande instance et une décision de deuxième instance rendue par une cour d’appel. Six de ces décisions sur les sept sont en faveur des collectivités locales.

– L’avis de la chambre régionale des comptes

Le 31 mai 2012, la chambre régionale des comptes d’Auvergne Rhône-Alpes a considéré que les dépenses relatives au paiement des intérêts des prêts toxiques de la commune de Sassenage ne présentaient pas un caractère obligatoire dans la mesure où elles étaient susceptibles d’être sérieusement contestées dans leur principe et dans leur montant.

– Les cinq jugements des tribunaux de grande instance

Le 24 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a donné raison à la commune de Saint-Étienne qui avait interrompu le paiement des intérêts à Royal Bank of Scotland, une décision confirmée par la Cour d’appel de Paris le 4 juillet 2012. Dans ses considérants, le tribunal indique que la licéité de la convention est « entachée d’une contestation sérieuse » en relevant « qu’il n’est pas contesté que les prêts en cause sont soumis, après une première période de taux fixe, à un taux variable, sans qu’aucun plafond de ce taux ne soit prévu, ce qui contrevient à l’interdiction pour ces collectivités de souscrire à des contrats spéculatifs et renvoie aux conditions de passation de ces prêts au regard notamment de cette contrainte légale et de l’obligation de conseil de la Royal Bank… »

Le 8 février 2013, dans trois affaires opposant le conseil général de Seine-Saint-Denis à Dexia, le tribunal de grande instance de Nanterre a décidé la nullité de la clause d’intérêt de trois contrats pour défaut de mention du taux effectif global (TEG) dans les fax de confirmation des prêts. Le TGI, « annule la stipulation conventionnelle d’intérêts, dit que le taux légal doit être substitué au taux conventionnel depuis la conclusion du contrat de prêt, le taux légal subissant les modifications successives que la loi lui apporte. » Cela signifie que le taux légal doit s’appliquer rétroactivement depuis la 1ère échéance… le taux légal offrirait ainsi un taux inférieur au taux bonifié proposé par la banque pour la période dite de « tarte aux fraises », pour reprendre l’expression de Klopfer.

Le 25 juin 2013, le tribunal de grande instance de Paris a débouté ce même conseil général de Seine-Saint-Denis qui avait assigné la banque CACIB au motif que le conseil général « comportait une direction financière, dotée d’un personnel affecté à la gestion de la dette, expérimenté »… « menait une politique de gestion active de sa dette » et « était en mesure de comprendre les informations financières qui lui étaient délivrées. » Cette décision est contestable car le raisonnement des juges présente plusieurs incohérences. En effet, après avoir indiqué « qu’à la date de conclusion des contrats, aucun texte législatif spécifique ne réglementait ou ne limitait la liberté des collectivités territoriales de recourir à l’emprunt et, pour la gestion de la dette, aux contrats d’échange de taux d’intérêt », ils avancent plus loin que la circulaire du 15 septembre 1992 , « en elle-même, dépourvue de portée normative, ne peut ajouter à la loi, qu’elle a pour objet d’interpréter, des conditions que celle-ci ne prévoit pas. » Ils en concluent que « le seul fait qu’un contrat ne remplisse pas l’intégralité des critères énumérés par la circulaire précitée… ne saurait fonder nécessairement une annulation. » Ces mêmes juges n’hésitent pas à écrire : « ce sont bien en l’espèce des motifs d’intérêt général présentant un caractère local qui ont présidé à la conclusion du contrat. » Cette position défavorable au conseil général, ne serait – si on lit bien l’arrêt –, pas applicable aux petites collectivités publiques qui ne disposerait pas d’un « personnel expérimentée ». Enfin, il faut signaler que n’était pas invoquée en cette affaire le défaut de TEG. Ce qui laisse le champ libre à beaucoup d’actions en justice.

– L’arrêt de la cour d’appel

Le 4 juillet 2012, la cour d’appel de Paris, dans le litige opposant la ville de Saint-Étienne à Royal Bank of Scotland, a considéré que la convention entre la banque et la collectivité était entachée d’une contestation sérieuse et elle précise dans son arrêt : « … il n’est pas contesté que les prêts en cause sont soumis, après une première période de taux fixe, à un taux variable, sans qu’aucun plafond de ce taux ne soit prévu, ce qui contrevient à l’interdiction pour ces collectivités de souscrire à des contrats spéculatifs et renvoie aux conditions de passation de ces prêts au regard notamment de cette contrainte légale et de l’obligation de conseil de la ROYAL BANK. »

Rappelons qu’avant l’arrêt de la cour d’appel, le juge saisi en première instance avait considéré que les mécanismes de financement ou swaps vendus aux collectivités territoriales se sont révélés être des produits spéculatifs à haut risque dont la légalité était sérieusement contestée devant le juge du fond, une argumentation que la cour d’appel n’a pas infirmé.

En clair, selon ces décisions, les swaps vendus aux collectivités sont des produits spéculatifs, et non des instruments de couverture comme le soutiennent les banques. D’autre part, le défaut de plafond serait la preuve incontestable que le contrat est un contrat spéculatif. Le fait de ne pas connaître la charge maximale d’intérêts – et donc de ne pouvoir se prémunir d’une hausse incontrôlé du taux – serait une condition suffisante pour qualifier un contrat de spéculatif.

Même si l’on prend en compte la décision défavorable pour les collectivités, il ressort que des centaines de contrats, pour ne pas dire des milliers, sont susceptible de voir annuler par les tribunaux la clause d’intérêt et de se voir appliquer le taux légal qui est de 0,04 % pour 2013, sachant que le taux légal devant être substitué au taux conventionnel depuis la conclusion du contrat.

– Agir après le 19 juin 2013 : c’est toujours possible !

Les emprunteurs qui ont signé leurs contrats de prêt avant juin 2008 avaient jusqu’au 19 juin 2013 pour engager une action en responsabilité contractuelle. En effet, la loi N° 2008-561 du 17 juin 2008 (votée le 17 juin, publiée au Journal officiel le 18 et applicable le 19) portant réforme de la prescription en matière civile a modifié l’article 2224 du Code civil qui dispose : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Toutefois, une action après le 19 juin 2013 sera toujours possible, mais l’emprunteur devra apporter la preuve des raisons objectives qui l’ont empêché de s’apercevoir du caractère erroné du contrat avant cette date. Par ailleurs, les collectivités peuvent décider de suspendre le paiement de leurs échéances et laisser ainsi aux banques le soin d’engager l’action en justice.

En l’état actuel du dossier des emprunts toxiques, les acteurs publics ont donc tout intérêt à agir en justice pour faire substituer le taux légal de 0,04 % à un taux contractuel qui met en péril leurs finances.

Une solution originale : appeler les banques de contrepartie solidairement avec les banques prêteuses

Dans la mesure où près de 10 milliards d’encours de prêts toxiques de Dexia Municipal Agency (DEXMA) ont été repris par la Société de Financement Local, c’est l’État français qui désormais porte le risque. Mais il existe une piste de droit pour éviter que les contribuables, à travers l’État, ne soient appelés à payer les surcoûts. Elle consiste à exiger que les banques de contrepartie des banques qui ont consenti des emprunts toxiques soient appelées solidairement avec ces banques prêteuses à supporter l’intégralité des surcoûts consécutifs aux montages financiers auxquelles elles ont participé. En effet, le prêt structuré ne peut être considéré isolément mais doit être examiné dans le cadre d’un ensemble associant l’emprunteur, le prêteur et la banque de contrepartie (2). Dans la mesure où les prêts structurés sont considérés comme illégaux ou illégitimes, la banque de contrepartie doit être elle aussi tenue co-responsable du montage délictueux auquel elle a participé. Accepter d’exonérer des banques de contrepartie de ce type de responsabilité reviendrait à considérer légales et légitimes les contre-garanties qu’elles pourraient apporter à des trafiquants de drogue, à des délinquants se livrant au trafic d’êtres humains ou à des malfaiteurs ayant des activités de blanchiment d’argent. Les banques ont obligation de se renseigner sur la moralité de leurs clients et sur la licéité des opérations effectuées par ces derniers. En l’espèce, il est incontestable que les banques de contrepartie ont failli à cette obligation. Dans notre cas de figure, cela permettrait de faire supporter les surcoûts des prêts toxiques de DEXMA, non plus à la SFIL (et à travers elle à l’État et aux contribuables), mais aux banques de contrepartie intervenantes dans ces emprunts toxiques. Ces banques de contrepartie, parmi lesquelles on compte notamment Goldman Sachs, Morgan Stanley, Royal Bank of Scotland, HSBC, Dexia Bank Belgium, Deutsche Bank, etc.) portent une lourde responsabilité dans la crise financière qui a débuté en 2007 et ont tout à fait les moyens financiers de supporter les surcoûts. Les faire payer ne serait que justice.

b) L’action en justice exercée par les citoyens (3)

Si les élus refusent d’agir contre les banques, les citoyens peuvent recourir à l’autorisation de plaider. Cette dernière possibilité, connue sous le nom d’autorisation de plaider est prévue par les articles L. 2132-5 à 7 et l’article R. 2132-1 à 3du CGCL du code général des collectivités territoriales (CGCL), complétée par l’article R. 421-2 du code de justice administrative (CJA). Elle a été introduite dans notre droit par l’article 49 de la loi du 18 juillet 1837, le principe d’un contrôle citoyen avait été préalablement affirmé dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Les anciens textes

Article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. Cet article peut toujours être invoqué aujourd’hui.

3ème et 4ème paragraphe de l’article 49 de la loi du 18 juillet 1837 : Cependant tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d’exercer, à ses frais et risques, avec l’autorisation du conseil de préfecture, les actions qu’il croirait appartenir à la commune ou section, et que la commune ou section, préalablement appelée à en délibérer, aurait refusé ou négligé d’exercer.

La commune ou section sera mise en cause et la décision qui interviendra aura effet à son égard.

Les textes actuels

Article L. 2132-5 du CGCL: Tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d’exercer, tant en demande qu’en défense, à ses frais et risques, avec l’autorisation du tribunal administratif, les actions qu’il croit appartenir à la commune, et que celle-ci, préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d’exercer.

Article L. 2132-5 du CGCL: Le contribuable adresse au tribunal administratif un mémoire détaillé. Le maire soumet ce mémoire au conseil municipal lors de la plus proche réunion tenue en application des articles L. 2121-7 et L. 2121-9.

Article R. 2132-1 du CGCL: Dans le cas prévu à l’article L. 2132-6, il est délivré au contribuable un récépissé du mémoire détaillé qu’il a adressé au tribunal administratif.

Le préfet, saisi par le président du tribunal administratif, transmet immédiatement ce mémoire au maire, en l’invitant à le soumettre au conseil municipal.

La décision du tribunal administratif est rendue dans le délai de deux mois à dater du dépôt de la demande d’autorisation.

Toute décision qui porte refus d’autorisation doit être motivée.

Article R. 2132-2 du CGCL: Lorsque le tribunal administratif ne statue pas dans le délai de deux mois ou lorsque l’autorisation est refusée, le contribuable peut se pourvoir devant le Conseil d’État.

Article R. 2132-3 du CGCL: Le pourvoi devant le Conseil d’État est, à peine de déchéance, formé dans le mois qui suit, soit l’expiration du délai imparti au tribunal administratif pour statuer, soit la notification de l’arrêté portant refus.

Il est statué sur le pourvoi dans un délai de trois mois à compter de son enregistrement au secrétariat du contentieux du Conseil d’État.

Article L. 2132-5 du CGCL: Lorsqu’un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir en appel ou en cassation qu’en vertu d’une nouvelle autorisation.

Article R. 421-2 du CJA : Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet.

Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d’un délai de deux mois à compter du jour de l’expiration de la période mentionnée au premier alinéa.

Néanmoins, lorsqu’une décision explicite de rejet intervient dans ce délai de deux mois, elle fait à nouveau courir le délai du pourvoi.

La date du dépôt de la réclamation à l’administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l’appui de la requête.

L’autorisation de plaider

L’action peut concerner aussi bien une commune, qu’un établissement de coopération intercommunale, un département ou une région. On peut estimer que, dans la mesure où ils constituent des acteurs publics locaux et sont confrontés aux mêmes réalités que les collectivités locales, une telle action puisse également être exercer pour le compte des établissements de santé publics, des maisons de retraite publiques et des organismes de logement social et de toute autre entité appartenant à la sphère des acteurs publics locaux.

La demande peut concerner aussi bien l’action initiale que l’exercice d’une voie de recours.

L’action exercée aujourd’hui par les citoyens doit respecter un formalisme bien précis :

– La personne qui engage l’action doit justifier de sa qualité de contribuable inscrit au rôle de la collectivité. Cette condition est nécessaire (une association peut être refusée même si ses membres justifient de leur paiement des taxes locales) et suffisante (un membre du conseil municipal voire le maire peuvent agir si leur conseil municipal a refusé d’agir en justice).

– Le contribuable doit d’abord adresser une requête formelle.

– La personne qui engage l’action doit justifier de sa qualité de contribuable inscrit au rôle de la collectivité. Cette condition est nécessaire (une association peut être refusée même si ses membres justifient de leur paiement des taxes locales) et suffisante (un membre du conseil municipal voire le maire peuvent agir si leur conseil municipal a refusé d’agir en justice).

– Le contribuable doit d’abord adresser une requête formelle à la commune lui demandant d’engager elle-même l’action (par lettre recommandée avec accusé de réception, ce qui permet de prouver la date de la saisine de la collectivité).

– Ce n’est qu’en cas de refus exprès ou implicite (selon l’article R. 421-2 du code de justice administrative, le silence du conseil au terme d’un délai de 2 mois à partir de la date de dépôt de la réclamation vaut décision de rejet de la demande), que le contribuable peut contester le refus de la commune en s’adressant au tribunal administratif. Bien sûr, si la collectivité décide d’agir l’action du contribuable devient sans objet.

– Par un courrier adressé par lettre recommandé avec accusé de réception, le contribuable adresse une demande d’autorisation de plaider au Tribunal administratif avec un mémoire à l’appui. il est délivré au contribuable un récépissé du mémoire détaillé qu’il a adressé au tribunal administratif. Le contribuable dispose d’un délai de 2 mois après le refus express ou implicite du conseil municipal pour saisir le tribunal administratif. Il n’est pas nécessaire pour exercer cette action devant le Tribunal administratif de passer par un avocat.

– Le préfet, saisi par le président du tribunal administratif, transmet le mémoire au maire en l’invitant à le soumettre au conseil municipal.

– Le maire soumet ce mémoire à son conseil municipal lors de la plus proche réunion tenue. Le conseil délibère sur cette requête et décide s’il exerce ou non l’action.

Jusqu’à ce que le tribunal administratif se prononce, le conseil municipal peut décider d’engager lui-même l’action ; s’il le décide, l’action du contribuable est alors sans objet.

– Dans son mémoire détaillé adressé au tribunal administratif, le contribuable doit exposer très précisément les faits (lister et expliciter les contrats litigieux), démontrer l’intérêt à agir pour la commune (indiquer les évolutions de taux et évaluer les surcoûts en intérêts, soulte, allongement de durée, etc.), établir l’urgence à agir (évolution des taux, risques financiers pour la collectivité et ses administrés), et apporter la preuve que l’action a une chance sérieuse de succès (commentaire des textes de loi : selon la circulaire du 25 juin 2010, p. 13, « les collectivités locales ne peuvent légalement agir que pour des motifs d’intérêt général présentant un caractère local » … « l’engagement des finances des collectivités locales dans des activités spéculatives ne relève ni des compétences qui leur sont reconnues par la loi ni de l’intérêt général précité » ; et rappel de la jurisprudence favorable aux collectivités).

– La décision du tribunal administratif est rendue dans le délai de deux mois à dater du dépôt de la demande d’autorisation de plaider. Le juge se borne à examiner si la demande du contribuable est recevable, il ne peut en aucune manière se substituer au juge de l’action. Toute décision qui porte refus d’autorisation doit être motivée.

– Le juge administratif peut revenir sur une décision de refus lorsque le contribuable formule une nouvelle de demande avec de nouvelles pièces.

– Lorsque le tribunal administratif ne statue pas dans le délai de deux mois ou lorsque l’autorisation est refusée, le contribuable peut se pourvoir devant le Conseil d’Etat.

Dans ce cas, le recours à un avocat est obligatoire.

– Le pourvoi devant le Conseil d’Etat est, à peine de déchéance, formé dans le mois qui suit, soit l’expiration du délai imparti au tribunal administratif pour statuer, soit la notification de l’arrêté portant refus.

Il est statué sur le pourvoi dans un délai de trois mois à compter de son enregistrement au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat. Ce dernier peut se fonder sur des éléments intervenus même postérieurement après la décision du tribunal.

– Lorsqu’un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir en appel ou en cassation qu’en vertu d’une nouvelle autorisation.

– Le contribuable n’a pas à justifier d’un intérêt direct et personnel à l’action. Au vu des éléments qui lui sont fournis, le tribunal administratif vérifie que l’action envisagée présente un intérêt suffisant pour la collectivité et qu’elle a une chance de succès. Il vérifie également si elle n’est pas frappée de prescription. Sur ce dernier point, eu égard à la modification de la loi sur la prescription, les contribuables justifieront leur action intervenant après le 19 juin 2013 au motif qu’ils pensaient que les élus allaient engager une action conformément à leurs prérogatives ; ils pourront également avancer qu’ils n’ont appris que très récemment la possibilité d’agir qui leur était offerte par l’autorisation de plaider.

9- La demande d’action de substitution doit tendre à la défense des intérêts matériels, et non moraux, de la collectivité.

– Le contribuable exerce l’action à ses frais et risques, c’est-à-dire qu’il doit prendre les frais d’avocat et éventuellement les dépens et les frais engagés par l’autre partie et non compris dans les dépens.

Conclusion

Des trois solutions à leur disposition (pour mémoire : la négociation amiable, le plan gouvernemental, l’action en justice), incontestablement, seule l’action en justice, sous les deux formes que nous avons présentées (soit à l’initiative de la collectivité, soit à l’initiative des citoyens si la collectivité a négligé ou refusé d’exercer l’action) est à ce jour de nature à permettre aux acteurs publics locaux de faire respecter leurs droits légitimes et protéger les intérêts de leurs administrés.

Les élus et les citoyens doivent engager ces actions pour exiger des banques qu’elles substituent aux prêts toxiques qu’elles leur ont fait souscrire des emprunts non risqués (à taux fixe ou à taux révisable classiques), sans soulte, sans allongement de durée, sans clause léonine ou abusive. Parce qu’elles ont été à l’origine de ce type d’emprunts les banques (banques prêteuses et banques de contrepartie) doivent supporter la totalité des surcoûts qu’ils ont générés pour les emprunteurs. Les élus et les citoyens doivent également refuser l’infâme projet gouvernemental de valider rétroactivement des contrats viciés.

Enfin, nous devons exiger des pouvoirs publics une profonde réforme du financement des acteurs publics locaux pour que soient mis à disposition de ces derniers des emprunts non risqués à taux préférentiels ou à taux nul. Les pouvoirs publics devront également prendre toute les mesures utiles afin d’obliger les banques qui ne s’exécuteraient pas à substituer aux prêts toxiques qu’elles ont commercialisés des emprunts non risqués dans les conditions énoncées précédemment.

.

NOTE EXPLICATIVE DU MÉCANISME DES PRÊTS TOXIQUES

(Extrait du livre Les prêts toxiques une affaire d’État, Patrick Saurin, Demopolis & CADTM, 2013, pp. 44-48)

À l’instar de Janus, à côté de leur face visible pour les emprunteurs, les prêts structurés possèdent une seconde face, plus cachée et plus mystérieuse. Les prêts structurés sont la combinaison d’un prêt bancaire classique à taux fixe ou à taux variable (la face visible) et d’une ou plusieurs options (la face dissimulée) vendues à l’emprunteur par la banque. Michel Klopfer a parfaitement décrit le mécanisme de l’option :

« Cette vente d’option fonctionne comme une assurance à rebours. Contrairement à un particulier qui paie une prime de quelques centaines d’euros pour assurer son logement et qui sera couvert en cas de sinistre (dégât des eaux, incendie, vol…), ici c’est la banque qui verse une prime. Cette prime abaisse artificiellement le taux d’intérêt du prêt dans les deux ou trois premières années et c’est la collectivité qui la couvre en cas d’évolution défavorable des marchés financiers. Et cela, sans aucun plafond, avec des taux d’intérêt qui peuvent grimper à 15 %, 20 % ou plus. » (4)

C’est précisément la vente de cette option portant sur un actif sous-jacent qui va permettre de dégager les ressources nécessaires pour bonifier le taux de la première période. Ensuite, avec la deuxième phase, on entre dans une période d’incertitude et de risque car le taux va dépendre désormais de la valorisation de cette option.

Pourtant, les choses ne s’arrêtent pas là, car sitôt les options achetées aux collectivités par les banques prêteuses, celles-ci s’empressent de les « revendre » avec bénéfice à d’autres grandes banques, par le biais de contrats qui reprennent la formule des prêts signés avec les collectivités, mais à l’envers. Par exemple, si la banque prêteuse a vendu à la collectivité une option dont elle pourrait tirer bénéfice si le cours du franc suisse se valorise par rapport à l’euro, cette banque aura pris soin de s’assurer auprès d’une autre grande banque contre une évolution des cours de change inverse. Parmi ces grandes banques, appelées banques de contrepartie, on retrouve notamment Goldman Sachs, Morgan Stanley ainsi que les grandes banques impliquées dans le récent scandale relatif à la manipulation frauduleuse du LIBOR, en particulier Barclays, BNP Paribas, Crédit Suisse, Deutsche Bank, HSBC, JP Morgan, Royal Bank of Scotland et UBS. Comme le relève Michel Klopfer :

« C’est là le piquant de cette situation : ces professionnels des marchés financiers se sont protégés en se couvrant, alors même qu’ils persuadaient les maires qu’ils pouvaient rester vissés à un énorme risque qui “bien entendu, ne se réaliserait jamais”. » (5)

Les analystes de FitchRatings ne disent pas autre chose dans leur note du 16 juillet 2008 lorsqu’ils écrivent :

« Les prêteurs ont donc réussi à imposer une situation paradoxale où, au lieu d’être rémunérés pour prendre un risque (de crédit) supplémentaire, ils l’ont été pour faire prendre un risque (de taux) à leurs clients. » (6)

Que se passe-t-il si les choses tournent mal pour l’emprunteur au cours de la deuxième période de son prêt structuré ? Lorsqu’il se trouve confronté à une augmentation démesurée du taux de son prêt structuré, la réaction naturelle de l’emprunteur est de solliciter la banque prêteuse pour renégocier les conditions de son prêt. Celle-ci lui répond favorablement, mais lui réclame pour ce faire une soulte prévue au contrat. La soulte représente le coût que cette banque doit régler à la banque de contrepartie pour sortir du contrat de couverture passé avec cette dernière. Le montant de la soulte varie en permanence car il dépend des mouvements du ou des index retenus pour déterminer le taux du prêt de la collectivité. La réglementation comptable, dite « mark-to-market » ou « juste valeur », impose la valorisation quotidienne des sommes dues au titre de ces contrats en fonction des cours de référence.

Dans un article publié le 22 septembre 2011 sur son site en ligne, « Les cordons de la Bourse », le journaliste Nicolas Cori explique la valorisation des prêts structurés :

« Si dans le prêt, il est prévu qu’une baisse du franc suisse conduise la collectivité à payer moins d’intérêt à Dexia, le swap structuré permet à Dexia de toucher le manque à gagner de JP Morgan & Co. Inversement, si une hausse du franc suisse conduit la collectivité à payer plus d’intérêt à Dexia, le swap structuré fait que Dexia devra reverser le trop gagné à JP Morgan & Co.

Du fait de ces swaps structurés, Dexia doit sans cesse calculer la valeur des prêts structurés. En effet, les contrats signés prévoient ce qu’on appelle des « appels de marge », calculés en fonction de l’évolution de la valeur des swaps. Pour comprendre, reprenons l’exemple précédent. Si le franc suisse augmente, alors Dexia est perdante vis-à-vis de JP Morgan & Co, et cette dernière exige que Dexia lui verse une caution en liquide (du « cash collatéral »). Et le montant de cette caution est en fait l’équivalent de la valeur au jour le jour du prêt structuré. Dexia doit donc disposer de ces informations pour calculer le montant de cash qu’elle doit verser (ou récupérer) quotidiennement. C’est un indice important de sa santé financière. » (7)

Le problème pour les emprunteurs est que le surcoût ne peut être différé éternellement car il faut à un moment payer l’addition, soit sous la forme d’une augmentation des intérêts des échéances des prêts, soit sous la forme d’une soulte intégrée au capital des prêts à l’occasion du refinancement des encours toxiques car la banque n’a qu’une seule préoccupation à l’égard de son client : « lui faire avaler l’intégralité du surcoût (ce qu’on appelle le mark-to-market) par petites cuillerées » (8), pour reprendre les mots de Michel Klopfer : « Dans ce jeu de dupes, ce sont bien les banques qui tirent les marrons du feu tandis que les collectivités, et à travers elles les contribuables, jouent le plus souvent les dindons de la farce. »

.

COMMENT EXERCER L’AUTORISATION DE PLAIDER

Voici, étape par étape, la marche à suivre :

1. Auditer la dette de la collectivité pour vérifier si elle comporte des prêts toxiques. Si c’est le cas, rassembler toute les informations (copie des contrats de prêt, des tableaux d’amortissement et de tout autre document utile).

Précision : Les modalités pratiques de cet audit sont détaillées dans le livre Les prêts toxiques Une affaire d’État, Patrick Saurin, Demopolis & CADTM, 2013, pp. 223-249.

2. Le contribuable adresse une requête formelle à la commune lui demandant d’engager elle-même l’action. Cette demande est effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception, ce qui permet de prouver la date de la saisine de la collectivité.

3. La collectivité dispose d’un délai de 2 mois à partir de la date de dépôt de la réclamation pour répondre. Si la collectivité décide d’agir l’action du contribuable devient sans objet. En cas de refus exprès ou implicite (le silence du conseil au terme d’un délai de 2 mois à partir de la date de dépôt de la réclamation vaut décision de rejet de la demande), le contribuable peut contester le refus de la commune en s’adressant au tribunal administratif. La demande d’action de substitution doit tendre à la défense des intérêts matériels, et non moraux, de la collectivité.

4. Le contribuable dispose d’un délai de 2 mois après le refus express ou implicite du conseil municipal pour saisir le tribunal administratif et rédiger le mémoire qu’il doit adresser au tribunal.

Quatre précisions importantes sont à noter :

– Le recours à un avocat n’est pas obligatoire.

– La personne qui engage l’action doit justifier de sa qualité de contribuable inscrit au rôle de la collectivité. Cette condition est nécessaire (une association peut être refusée même si ses membres justifie de leur paiement des taxes locales) et suffisante (un membre du conseil municipal voire le maire peuvent agir si leur conseil municipal a refusé d’agir en justice).

– Le contribuable n’a pas à justifier d’un intérêt direct et personnel à l’action. Au vu des éléments qui lui sont fournis, le tribunal administratif vérifie que l’action envisagée présente un intérêt suffisant pour la collectivité et qu’elle a une chance de succès. Il vérifie également si elle n’est pas frappée de prescription. Sur ce dernier point, eu égard à la modification de la loi sur la prescription, les contribuables justifieront leur action intervenant après le 19 juin 2013 au motif qu’ils pensaient que les élus allaient engager une action conformément à leurs prérogatives ; ils pourront également avancer qu’ils n’ont appris que très récemment la possibilité d’agir qui leur était offerte par l’autorisation de plaider.

– Le contribuable exerce l’action à ses frais et risques, c’est-à-dire qu’il doit prendre à sa charge les frais d’avocat s’il décide d’en choisir un, et éventuellement les dépens et les frais engagés par l’autre partie et non compris dans les dépens.

Dans son mémoire détaillé, le contribuable doit :

– exposer très précisément les faits : lister et expliciter les contrats litigieux, fournir la copie des documents utiles : contrats, tableaux d’amortissement, courriers, simulations, etc.),

– démontrer l’intérêt à agir pour la commune (indiquer les évolutions de taux, – évaluer les surcoûts en intérêts, soulte, allongement de durée, etc.),

– établir l’urgence à agir (évolution des taux, risques financiers pour la collectivité et ses administrés),

– apporter la preuve que l’action a une chance sérieuse de succès, en s’appuyant sur les textes de loi encadrant l’action des collectivités (notamment la circulaire du 25 juin 2010, qui précise p. 13, « les collectivités locales ne peuvent légalement agir que pour des motifs d’intérêt général présentant un caractère local » … « l’engagement des finances des collectivités locales dans des activités spéculatives ne relève ni des compétences qui leur sont reconnues par la loi ni de l’intérêt général précité » et en rappelant la jurisprudence favorable aux collectivités (mention des arrêts favorables aux collectivités et citations extraites de ces décisions).

5. Le président du tribunal administratif doit saisir le préfet, lequel doit transmettre le mémoire au maire en l’invitant à le soumettre au conseil municipal.

6. Le maire soumet ce mémoire à son conseil municipal lors de la plus proche réunion tenue. Le conseil délibère sur cette requête et décide s’il exerce ou non l’action. Jusqu’à ce que le tribunal administratif se prononce, le conseil municipal peut décider d’engager lui-même l’action ; s’il le décide, l’action du contribuable est alors sans objet.

7. La décision du tribunal administratif est rendue dans le délai de deux mois à dater du dépôt de la demande d’autorisation. Le juge se borne à examiner si la demande du contribuable est recevable, il ne peut en aucune manière se substituer au juge de l’action. Toute décision qui porte refus d’autorisation doit être motivée. Le juge administratif peut revenir sur une décision de refus lorsque le contribuable formule une nouvelle de demande avec de nouvelles pièces.

8. Lorsque le tribunal administratif ne statue pas dans le délai de deux mois ou lorsque l’autorisation est refusée, le contribuable peut se pourvoir devant le Conseil d’Etat. Le contribuable doit recourir obligatoirement à un avocat. Le pourvoi devant le Conseil d’Etat est, à peine de déchéance, formé dans le mois qui suit soit l’expiration du délai imparti au tribunal administratif pour statuer, soit la notification de l’arrêté portant refus.

9. Le Conseil d’État statue sur le pourvoi dans un délai de trois mois à compter de son enregistrement au secrétariat du contentieux de cette juridiction. Le Conseil d’Etat peut se fonder sur des éléments intervenus même postérieurement après la décision du tribunal.

10. Lorsqu’un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir en appel ou en cassation qu’en vertu d’une nouvelle autorisation.

11. Une fois l’autorisation de plaider obtenue auprès du tribunal administratif, le contribuable sera habilité à agir devant le tribunal de grande instance (le TGI traite les litiges civils qui concernent des demandes supérieures à 10 000 euros). Le recours à un avocat est obligatoire. En tant que juge du fond, le TGI va juger les faits et le droit.

 

(1) Michel Klopfer, « Emprunts toxiques des collectivités : le jeu perdant-perdant de l’État », Le Monde, 3 juin 2013.

(2) Voir en annexe la note explicative du mécanisme des prêts toxiques.

(3)  Nous développons et complétons ici un premier travail réalisé par ANTICOR sur le sujet : http://www.anticor.org/outils-citoyens/comment-agir-en-justice-a-la-place-de-votrecommune/

(4) Michel Klopfer, interview, Intercommunalités, AdCF, n° 153, février 2011, p. 5. Dans un article, Pierre Armoire évoque un taux pouvant aller jusqu’à 310 % ! (Pierre Armoire, « Crise : comment limiter les dégâts », La lettre du cadre territorial, n° 368, 1er novembre 2008, p. 21.)

(5) Ibid.

(6) FitchRatings, op. cit., p. 2.

(7) Nicolas Cori, « Comment calculer la toxicité des emprunts des collectivités », Les cordons de la Bourse, 22 septembre 2009, accessible par le lien : http://cordonsbourse.blogs.liberation.fr/cori/2011/09/comment-calculer-la-toxicit%C3%A9-desemprunts-des-collectivit%C3%A9s-.html.

(8) Michel Klopfer, interview, La Gazette.fr, 19 avril 2012.

.

Source : http://cadtm.org/Une-solution-pour-sortir-de-la