Par Daniel Fernandez

Intégrée par l’Argentine, la Bolivie, l’Equateur, l’Uruguay et le Venezuela, la nouvelle entité aspire à créer un fonds pour fomenter le développement économique de la région dans le but de renforcer sa souveraineté.

L’Amérique latine continue à renforcer son processus d’intégration régionale tout en construisant une alternative au système économique à tendance néolibérale, en vigueur dans les pays du Nord. La Banque du Sud, dont le premier Conseil des Ministres a eu lieu le 12 juin dernier à Caracas, constitue la dernière étape de cette construction.

Créée en 2007 à l’initiative des défunts Hugo Chavez et Nestor Kirchner, ex-présidents de la République du Venezuela et de la République d’Argentine, la Banque du Sud cherche à collecter 20.000 millions de dollars, bien que ses actionnaires n’aient réussi à débourser que 7.000 millions : les pays qui sont à son origine sont pour le moment l’Equateur, le Paraguay, l’Uruguay, le Brésil, la Bolivie, l’Argentine et le Venezuela, c’est-à-dire, les pays intégrant le MERCOSUR plus l’Equateur.

Selon Susanne Gratius, professeure de relations internationales d’Amérique Latine, « Nicolas Maduro et Elias Jaua ont repris le projet pour réaffirmer le protagonisme du Venezuela en Amérique du Sud et plus particulièrement au sein du MERCOSUR, dont la présidence pro tempore sera assumée par le Venezuela le 1er juillet ».

Si d’un côté le Venezuela prend du poids, le Paraguay ne cesse pas d’en perdre, car c’était le seul des sept Etats qui n’a pas été représenté lors de la première réunion ministérielle, après avoir été écarté de diverses institutions continentales suite au coup d’Etat parlementaire contre le président Fernando Lugo en juin 2012.

Impulser le développement

« Le but est la création d’un fonds pour financer les travaux structurels et impulser le développement économique de nos pays sans être obligés de dépendre des sources traditionnelles comme en sont les organismes multilatéraux (Banque mondiale ou Banque Interaméricaine de développement) ainsi que les conditions dont ces banques accompagnent leurs crédits. Cela permettra aussi une certaine autonomie dans la planification des lignes stratégiques du développement sans avoir à répondre dès le début aux intérêts des entreprises transnationales qui y participent » explique le professeur d’économie Omar de León.

« Cette position répond plus à des politiques symboliques qu’à une transformation radicale des institutions ou des relations de pouvoir » dit le professeur d’économie politique de Málaga, Alberto Montero. Ce que confirme aussi Pablo Iglesias, professeur de sciences politiques : « la création de cette banque est un pas de plus de positionnement, d’attachement souverain, de la région face à l’Europe, où la Banque Centrale (BCE) est devenue un espace des lobbies allemands ce qui a empêché aux autres pays d’exercer leur autonomie économique et mis en relief leur carence ou incapacité en matière de politique monétaire ».

Un modèle en confrontation avec le FMI

Iglesias qui conclue ainsi : « Les politiques imposées en Europe par la troika appauvrissent de plus en plus les citoyens. L’alternative c’est ce que montrent des pays comme le Venezuela, la Bolivie mais surtout l’Equateur, qui ont amélioré tous les indicateurs économiques et sont en train de récupérer leur souveraineté – tout le contraire de ce que nous voyons en Europe – L’Amérique latine donne l’impression de renforcer les institutions collectives pour donner plus de pouvoir aux gouvernements, ce qui est le contraire de ce qu’on voit en Europe ».

Tout comme l’explique le professeur Montero, en faisant référence aux ajustements structurels qui se sont concrétisés avec le Consensus de Washington au début des années 1990, « le FMI et la Banque mondiale fonctionnent comme des agents des créanciers lors de l’épisode de la dette extérieure ». Il s’agit de « ce qui a lieu actuellement en Europe, avec les mêmes politiques, les mêmes acteurs et les mêmes actes prévisibles : l’on écrase les populations pour payer la dette aux créanciers en substituant le paiement de la dette financière par la dette sociale » conclut Montero.

« Surmonter les ajustements néolibéraux du FMI était une exigence pour réinventer le continent » affirme Monedero. « C’est pour cela que eux grandissent et que l’Union Européenne coule. Il serait bon que l’Espagne, la Grèce et le Portugal intègrent la Banque du Sud ».

Les États-Unis en position de guetteur

Tout n’est pas compliment par rapport à la Banque du Sud. « Il existe des intérêts multiples pour que le projet échoue » prévient Leon, « le [principal, ndlt ] c’est la réorientation des États-Unis vers la région, depuis l’échec du projet de construction de l’ALCA en 2005. En conséquence, Washington a proposé une stratégie basée sur le « rapprochement vers les pays dont les gouvernements sont néolibéraux, en renforçant une alliance alternative à MERCOSUR et l’UNASUR », explique le professeur d’Économie d’Amérique Latine : « ces deux dernières années il y a eu de grandes avancées dans la constitution de l’Alliance du Pacifique (le Mexique, la Colombie, le Pérou, le Chili et le Costa Rica) des pays qui ont déjà signé des traités de libre-échange avec les États-Unis ».

« Le continent se trouve dans une position géopolitique très intéressante : Brasilia aspire à occuper une position de puissance régionale tandis que les États-Unis recommencent à tourner leur regard vers l’Amérique latine de façon évidente », selon Alberto Montero, qui considère que « l’articulation de l’axe du Pacifique reflète les tensions entre le Brésil et les États-Unis, lesquels tentent à partir de cet axe du Pacifique de nuire au Venezuela et d’occuper la région ».

L’Alliance du Pacifique va devenir un élément clé pour le futur des relations entre les États-Unis et le sous-continent, même si cette alliance pourrait supposer un préjudice pour ses membres latino-américains puisqu’elle « signifie la fossilisation de leurs structures économiques en tant qu’exportateurs de matières premières et, pour autant, importateurs massifs de produits manufacturés », signale Omar de Léon. En conséquence, « ce pari, presque sans retour, favorise les grands intérêts qui dominent leurs économies nationales, mais condamne la majorité des populations au sous-développement ».

Un avenir incertain

Bien que le ministre des affaires étrangères [équatorien], Ricardo Patiño, a célébré le premier Conseil des Ministres en affirmant qu’il s’agissait d’un « acte historique dans la vie de l’Amérique du Sud et de l’Amérique latine », il reste qu’à ce jour « nous ne savons pas quand commencera à fonctionner la Banque du Sud », nous explique Gratius. « Bien que trois sièges aient déjà été localisés (Caracas, La Paz et Buenos Aires), il n’a pas encore été déterminé comment se feraient les apports des associés ni l’opérativité de la banque », rajoute le professeur Omar de León.

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Ce pessimisme n’a pas lieu d’être pour Pablo Iglesias, qui considère que « les mesures que sont en train de prendre les gouvernements populaires latino-américains, surtout ceux qui vont dans le sens de construire des instruments d’intégration nationale, présentent des avancées, c’est pourquoi je pense que les choses vont bien se passer pour eux ». Alberto Montero reprend cet argument et affirme que « la géopolitique permet la formation d’institutions qu’il était impossible d’envisager il y a quelques années et qui sont aujourd’hui viables parce qu’il y a des ressources, de la volonté et même une nécessité.

Même s’il considère que « la Banque du Sud n’atteindra jamais le niveau de ressources monétaires du FMI », le professeur Montero conclut « qu’’il s’agit de commencer à articuler des institutions financières qui, depuis l’humilité et la modestie, soient une alternative face aux institutions conventionnelles. »

Source : http://cadtm.org/L-Amerique-Latine-lance-la-Banque