Par l’assistant de Mme Vergiat, eurodéputée GUE – Front de Gauche

Le 7 juin, le FMI a annoncé un plan d’ « aide » à la Tunisie de 1,3 milliard d’euros afin de « soutenir » la transition engagée depuis la chute de Ben Ali en janvier 2011. Ce programme sur deux ans sera remboursable en cinq ans, et un premier prêt de 114 millions d’euros a été immédiatement versé aux autorités tunisiennes. Voilà pour l’appât. Les prochaines tranches sont subordonnées à huit rendez-vous dénommés revues et ne seront versées qu’à condition que Tunis respecte le programme de réformes structurelles élaboré par le FMI.

La lettre d’intention du gouvernement tunisien, dans laquelle sont décrites les politiques que la Tunisie entend mettre en œuvre, permet de se faire une idée assez précise de ces réformes drastiques qui tiennent en trois piliers :
1. réduction de la masse salariale et des subventions aux produits de première nécessité (qui permettaient de rendre les prix abordables pour les ménages les plus modestes) ;
2. mise en place d’un nouveau code d’investissement (qui accordera désormais des exonérations d’impôts sur les bénéfices pendant dix ans aux entreprises actuellement off-shore) ;
3. restructuration du secteur bancaire – entendez privatisation des trois banques publiques, recapitalisées au préalable par l’État.

Rappelons qu’avec environ 10 milliards d’euros de recettes, l’État tunisien doit consacrer 5 milliards aux salaires, 2,8 milliards au système de subventions des produits de première nécessité et de l’énergie et 2,1 milliards au remboursement de sa dette. Il ne vous aura pas échappé que le 3e poste du budget tunisien et le moins légitime, le remboursement de la dette, n’est évidemment pas abordé.

Qui va pâtir de ces réformes ? Toujours les mêmes. D’abord, les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques, qui représentent au moins le tiers du salariat, seront les premiers touchés par les réductions du déficit budgétaire à cause du gel des embauches et des coupes budgétaires. Ensuite, les consommateurs et les usagers, par le biais de la suppression des subventions de l’État sur des produits de consommation de base et par le biais de la hausse de la TVA.

Même si l’on admet que le système actuel de répartition des subventions est perfectible, et c’est sans aucun doute le cas, comment ne pas voir les conséquences sociales et économiques de coupes claires dans ces subventions. Selon certains experts, c’est environ 400.000 personnes qui basculeraient dans la pauvreté. Rappelons que la hausse du prix du pain avait provoqué des émeutes en 1984 qui ont failli renverser le président Bourguiba…

Quelle légitimité démocratique ?

Dans une enquête réalisée par l’institut Tunisie Sondage, il apparaît que 66% des Tunisiens ne sont pas favorables à la demande de prêt faite par le gouvernement tunisien au FMI. L’objectif du gouvernement de gestion des affaires courantes devrait être de favoriser l’élaboration d’une Constitution par l’Assemblée nationale constituante et d’organiser des élections au plus vite. Il n’a pas vocation à prendre des mesures qui engagent le pays sur plusieurs décennies. D’ailleurs, des collectifs citoyens se créent et commencent à se mobiliser. Je vous encourage à visionner cette vidéo qui rappelle que les Tunisiens mettrons 40 ans à rembourser ce prêt. Ne mettons pas deux générations en hypothèque » :

Quelles alternatives ?

Suite à son début de mea culpa sur la Grèce, on aurait pu croire que le FMI commençait à apprendre de ses erreurs. Ce plan démontre, hélas, qu’il n’en est rien : sa seule obsession demeure l’attraction des investisseurs et la satisfaction des prêteurs, au détriment de l’impact des réformes sur le niveau de vie du citoyen tunisien.
Avec nos partenaires tunisiens et associatifs, je continue de porter le projet d’audit de la dette tunisienne. Par ce biais, la charge de la dette odieuse (1), celle qui a profité au seul clan Ben Ali-Trabelsi et qui pèse lourdement sur le budget tunisien tout comme les sommes dépensées au service de son remboursement, pourraient être libérées pour des dépenses autrement plus utiles.

L’omission du problème de la dette par le FMI dans son plan austéritaire n’est pas un accident. Dans un procès-verbal daté du 31 janvier 2013 de la réunion des membres du gouvernement avec des représentants du FMI portant sur l’accord du FMI, il apparaît que le FMI a menacé le gouvernement de revoir sa notation souveraine à la baisse en cas d’adoption du projet d’audit de la dette. C’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement a par la suite essayé de retirer le projet d’audit à l’Assemblée nationale constituante. Le FMI cherche donc en Tunisie à imposer par la force toujours les mêmes politiques, celles qui ont fait par le passé tant de dégâts en Amérique du sud et qui plonge aujourd’hui l’UE dans la récession.

 

Notes :

(1) Dette odieuse

Alexander Sack, qui a théorisé cette doctrine en 1927, explique :

« Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…).
Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir ».
Il ajoute un peu plus loin :

« On pourrait également ranger dans cette catégorie de dettes les emprunts contractés dans des vues manifestement intéressées et personnelles des membres du gouvernement ou des personnes et groupements liés au gouvernement — des vues qui n’ont aucun rapport aux intérêts de l’État ».

Sack souligne également que les créanciers de telles dettes, lorsqu’ils ont prêté en connaissance de cause, « ont commis un acte hostile à l’égard du peuple ; ils ne peuvent donc pas compter que la nation affranchie d’un pouvoir despotique assume les dettes « odieuses », qui sont des dettes personnelles de ce pouvoir ».

Ainsi, trois conditions se dégagent pour qualifier une dette d’odieuse :

1) elle a été contractée par un régime despotique, dictatorial, en vue de consolider son pouvoir

2) elle a été contractée non dans l’intérêt du peuple, mais contre son intérêt et/ou dans l’intérêt personnel des dirigeants et des personnes proches du pouvoir

3) les créanciers connaissaient (ou étaient en mesure de connaître) la destination odieuse des fonds prêtés

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Source : http://cadtm.org/Tunisie-FMI-UE-meme-combat-contre