Par Blog ‘Philosophie ordinaire’

D’un travail aliénant

Il faut bien admettre que nous sommes bercés, continuellement, dans des idéologies fortes. Ces idéologies ont forgé l’image que nous nous faisons de la société, des liens sociaux, des codes, des relations entre les individus d’une société. Parmi ces idées, on peut citer le rapport d’équivalence entre le travail et l’argent : tout travail mérite salaire et sans travail, on ne peut aspirer à un salaire. Au delà de ça, notre vision du travail est bien définie. Le Larousse décrit d’ailleurs le travail comme une « activité de l’homme appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose ». Cette définition décrit un acte instantané, elle exclut donc l’implication dans une cause politique ou humanitaire par exemple, ou même l’acte de d’inspiration pour un artiste, ie la période pendant laquelle il ne produit rien mais capte tous les éléments de la vie qui vont nourrir son imagination, et donc ses œuvres.

L’ordre sociétal que nous nous sommes fixés n’encourage donc pas l’enrichissement personnel, la dévotion à une cause qui nous semble juste, à défendre des idées, à réfléchir sur le monde.

Qu’est-ce exactement qu’un revenu de base inconditionnel ?

Fondamentalement, un revenu de base inconditionnel est une somme d’argent allouée à chacun sans aucune condition ni distinction, indépendamment de notre contribution à la communauté ni de notre situation économique. La majorité de ceux qui proposent ce revenu, le décrivent comme permettant de subvenir aux besoins primaires essentiellement. Certains considèrent même qu’il faut tout juste un peu plus du strict minimum, mais personne ne parle d’une somme permettant de vivre aisément.

Évidemment, on ne parle pas d’abolir le salariat. Ceux qui travaillent pourront aspirer à un salaire plus important. Les prestations sociales elles aussi seraient toujours attribuées à celles et ceux qui en auraient besoin. On parle ici, d’un simple minimum de revenu qui permettrait à tout individu de vivre sans être obligé de trouver un travail, auquel s’ajouterait d’éventuelles bonifications.

Mais alors, pourquoi continuer notre travail s’il ne nous est plus essentiel pour vivre ?

Quand on demande aux gens s’ils iraient tout de même travailler, même avec un revenu de base inconditionnel, les réponses sont étonnantes. 60 % répondent qu’ils continueraient leur travail actuel sans rien changer, 30 % d’entre eux nuancent en répondant qu’ils ne travailleraient plus qu’à temps partiel ou qu’ils essaieraient de changer de travail. Enfin seulement 10 % choisiraient de d’abord dormir, en expliquant cependant qu’ils s’engageraient sans doute pour une cause qui leur tiennent à cœur, qu’ils en profiteraient pour se cultiver ou pour reprendre des études. Paradoxalement, quand on leur demande s’ils pensent que les autres iraient travailler s’ils avaient un revenu de base inconditionnel, 80 % pensent que non, 20 % pensent que oui.

Nous sommes donc confrontés à notre image fausse que nous nous faisons de la société. Pensons nous vraiment valoir plus que le commun des mortels ? Les liens entre nos confrères et consœurs sont-ils si gangrenés par l ’économie de marché ?

Que recherchons nous dans un travail ?

Notre rapport au travail, j’en parlais dans la première partie, est aujourd’hui surtout un rapport à l’argent. L’équivalence est flagrante pour les travaux dits « sales ». Nos meilleures années de notre vie sont intégralement dédiées au travail. L’éducation scolaire, la recherche du travail, le maintien et les tentatives d’ascension dans notre travail, sont -pour la plupart- motivés par l’argent. « La plupart du temps, pour la plupart des gens, l’argent est comparable à la drogue : censé nous affranchir de tous les soucis, il devient le soucis obsessionnel, une finalité en soi » écrit Pascal Bruckner dans L’Euphorie perpétuelle. On cherche d’abord à assurer notre retraite ou à subvenir aux besoins de nos enfants.

Bien sûr, si des gens sont prêts à conserver leur travail même avec un revenu de base, c’est que pour certains, le travail n’est pas un simple gagne pain. Il permet de rester socialisé, de s’enrichir au contact des autres et d’en apprendre toujours plus sur le monde et sur nous-même.

Des travailleurs plus motivés, plus sereins, plus ouverts.

Une conséquence direct du l’instauration serait un engouement immédiat pour le travail. Ne travailleraient que ceux qui le veulent vraiment, laissant aux plus oisifs leur place de chômeur. Le travail ne serait plus vu comme une contrainte mais comme une extension de notre identité au cœur d’une société plus sereine car plus sous la menace de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins primaires. Chacun aurait l’impression de vraiment servir la communauté grâce à ses capacités personnelles. Ses aptitudes qui le distinguent de ses semblables seraient réellement mises à contribution. Chacun pourrait choisir son temps de travail, le peuple reprendrait les rênes de sa vie professionnelle, il ne serait plus l’esclave de la société, où aujourd’hui les travailleurs sont obligés de faire des concessions sur leurs exigences pour être compétitifs sur le marché du travail. L’économie serait de nouveau au service du peuple.

Ceux qui le souhaitent pourraient alors accorder plus de temps, s’ils le souhaitent, pour s’investir dans une association qui leur tiennent à cœur, pourraient s’engager sur la scène politique et assurer une plus grande diversité dans le paysage politique. Le peuple pourrait également s’accorder du temps à s’enrichir humainement, à suivre des études, à se cultiver spirituellement. Du temps pour aider son prochain serait disponible à tous, pour tous. La société serait alors constituée, en moyenne, de travailleurs plus intelligents, plus ouverts sur le monde et ses habitants.

Et les tâches ingrates ?

Il fut un temps où les tâches ingrates étaient assignées aux esclaves. Que ce soit pendant l’Antiquité grecque ou jusqu’en Europe pendant la traite des noirs, des gens s’occupaient de ces basses besognes qui sont néanmoins nécessaires au bon fonctionnement de la société. Plus tard, on critiqua l’idée de donner des pouvoirs aux femmes. On rétorquait qu’il n’y aurait plus personne pour s’occuper des enfants, ni pour faire le ménage. Aujourd’hui bien heureusement les choses ont changé, il n’y a plus (ou beaucoup moins) de distinctions entre les individus. Personne n’est condamné à se limiter à un cercle restreint de métiers, bien que les inégalités financières et de classe créent des barrières quasi-infranchissables.

[EDIT: Plus de précisions à ce sujet après qu’on m’ait posé plusieurs fois des questions à ce propos.

Le citoyen moyen aurait automatiquement plus de temps libre, ou en tout cas, aurait le choix d’accorder de l’importance au triage de ses déchets, à l’entretien de son immeuble, etc. Si cela ne suffit pas, notamment pour entretenir des lieux publics, des collectivités se formeraient pour préserver le bien être de tous, comme c’est aujourd’hui le cas pour de nombreuses ONG. Le sentiment que cette tâche doit être effectuée pourra pousser un regroupement de personnes à s’organiser, à s’unir pour qu’elle soit accomplie. Renforçant par ailleurs les liens sociaux entre les individus. De plus des tâches qui pourraient être automatisées le seraient au risque de perdre en efficacité, mais il faut être clair tout de suite, le capitalisme est le système le plus productif qui existe. Cependant il conduit à des dérives inhumaines et inacceptables. Chaque progrès nécessite un coût, un prix. Ainsi, la question est de se demander quel prix nous sommes prêts à payer au nom de l’efficacité ? Le bien-être de tous ne prévaut-il pas sur quelques dollars ?

EDIT]

Économie de marché, société du chacun pour soi

Les idéologies en place nous ont forgés à vivre en constante concurrence avec nos voisins. Nos premières années de socialisation se font par l’école, où règne un climat de concurrence avec le système de notes. De la même manière, sur le plan social, nous continuons de jouer vulgairement à « qui a la plus grosse », en s’achetant la plus grande maison, la plus grande voiture, la plus grande TV, etc. Nous, occidentaux, vivons dans une société du gâchis, nous avons tout à portée de main et je ne dis pas que c’est une mauvaise chose mais nous ne réalisons pas notre chance. Au contraire, le revenu de base tenterait d’aplanir les inégalités tout en permettant aux gens de se démarquer par leur nature et leurs compétences et non par leur possession. Exister ne serait plus posséder, mais bien penser.

Avec cette moralisation des liens sociaux, les gens seraient plus ouverts vers le monde extérieur, sûrement plus confiants et moins méfiants. La timidité disparaîtrait également au profit d’individus tous capables de s’exprimer en public, de discuter de sujet de société, de débattre. Nous aurions alors un renouveau de la philosophie platonicienne, du discours au détriment de l’écrit, du vivant au détriment du figé.

L’éducation serait, elle, complètement bouleversée de facto puisque les études ne seraient plus un moyen d’accéder à la richesse financière mais un enrichissement personnel et humain de tous les instants. Les élèves seraient certainement plus motivés pour apprendre, et ceux qui ne trouveraient pas leur motivation ne seraient pas dénigrés en choisissant un travail manuel. L’artisanat ne serait plus dévalorisé au profit des métiers dits « intellectuels » et la réussite professionnelle serait de trouver sa voie, plutôt que de réussir à trouver le travail le plus rentable pour le moins d’efforts.

Pour plus d’informations

Si le revenu de base inconditionnel vous intéresse, je vous conseille de regarder ce documentaire

qui permet de bien cerner les enjeux du revenu de base. Ensuite, si vous êtes convaincu de son utilité, vous pouvez signer une pétition pour proposer l’idée du revenu de base pour un débat au parlement européen. N’hésitez pas non plus à en parler autour de vous, c’est la meilleure façon de faire passer un message.

Source: http://coukaratcha.wordpress.com/2013/04/18/pourquoi-le-revenu-de-base-est-le-fondement-dune-societe-meilleure/#comment-7