Dans son éditorial publié vendredi (Les saines exigences de l’euro), Le Monde considère que l’instauration d’une monnaie unique doit s’accompagner d’une indispensable harmonisation des politiques économiques, ce qui implique une coordination des politiques budgétaires et un abandon de la souveraineté budgétaire des Etats. Et l’auteur de se réjouir que la Commission européenne soit désormais dotée d’un pouvoir de contrôle sur les budgets. Et de déplorer que la discipline budgétaire commune ne se traduise pas, par exemple, par la dénonciation de la suppression du jour de carence  des fonctionnaires. Et de regretter que le temps de l’Europe ne soit pas celui des Etats s’agissant de la gouvernance économique commune.

On ne pouvait pas trouver plus claire illustration du système oligarchique où nous conduit une intégration européenne qui se fait au mépris des règles démocratiques, c’est-à-dire au mépris des peuples.

Traité après traité, les pouvoirs de la Commission européenne, dotée dès l’origine du monopole de l’initiative, se sont trouvés accrus. Et de manière spectaculaire avec l’adoption du Mécanisme Européen de Stabilité et du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (ce TSCG que le PS promettait de renégocier…).

Par contre, l’exigence d’harmonisation fiscale et sociale, complément indispensable à l’harmonisation économique et budgétaire, ne fut jamais à l’ordre du jour. Que du contraire, avec l’Acte unique européen proposé par Jacques Delors, c’est la contrainte d’harmonisation qui fut abandonnée au profit du mécanisme de reconnaissance mutuelle qui s’est transformé, s’agissant du secteur des services, en principe du pays d’origine. Ainsi était créé le cadre de la concurrence de tous contre tous où les entreprises ont tout loisir de choisir en Europe le pays le moins disant fiscal, social et environnemental et où les salariés d’un pays sont opposés aux salariés des autres pays. Ainsi, au nom de l’unité, on dresse les peuples les uns contre les autres !

Néanmoins, nos directeurs de pensée médiatiques trouvent tout à fait normal que ce soit la Commission, l’institution européenne dont la légitimité démocratique est la plus faible, qui dicte aux Etats les dépenses qu’ils peuvent effectuer et celles qui leur sont interdites ! Ils trouvent normal que des institutions comme la Banque Centrale européenne et désormais le MES, qui n’ont aucun  compte à rendre aux citoyens, disposent du privilège d’imposer à ceux-ci des choix de société. Ils trouvent normal qu’au gré de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE – qui vient de se voir dotée de nouvelles missions par le MES et le TSCG – se soit créé un ordre juridique complet qui s’impose non seulement aux Etats mais à leurs ressortissants, sans que jamais il ait été possible d’en contester les orientations.

Le rêve européen devient un cauchemar pour ceux qui ne sont pas enclins à la servitude volontaire et qui ne veulent pas être soumis à une oligarchie au service d’intérêts très particuliers.

Pourquoi donc, nos grands ainés, après des siècles de tyrannie, ont-ils, en 1789 arraché ce principe cardinal de la démocratie : tous les pouvoirs émanent du peuple ?

Pourquoi donc ont-ils inscrits dans la Déclaration  des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 deux articles qui ont encore aujourd’hui force constitutionnelle :

Article 14 – Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15 – La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Mais que peut le peuple aujourd’hui face à la Commission européenne ou au Conseil ? A qui peut-il, désormais, demander compte de l’administration de la contribution publique ? Ni la Commission européenne, ni le collège que constitue le Conseil ne peuvent être interpellés par les peuples d’Europe.

N’est-il par urgent, vu les souffrances immenses provoquées par les choix européens, de remettre à plat cette « construction » européenne qui, comme le constatait déjà Pierre Bourdieu il y a plus de dix ans, se traduit essentiellement par de la destruction sociale ?

N’est-il par urgent de refonder l’Europe sur des bases respectueuses des principes conquis et proclamés en 1789 et de la doter d’institutions démocratiques dépouillées de toute orientation idéologique ?

Faute de quoi, les populismes et les nationalismes qui pointent déjà partout vont triompher. Aujourd’hui, c’est l’Union européenne, telle qu’elle fonctionne, avec l’idéologie qui est la sienne, qui tue chez un nombre grandissant d’Européens le projet d’union des peuples d’Europe.