Entretien avec Alí Rodríguez, secrétaire général de l’UNASUR.

Depuis le Secrétariat Général de l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR), Alí Rodríguez Araque conserve une posture conciliante. L’époque où il était guérillero est désormais bien loin. Aujourd’hui, sa mission se concentre sur l’étude de la consolidation de l’intégration latino-américaine.

Pourquoi l’UNASUR n’a-t-elle pas été plus radicale avec le Paraguay en appliquant le Protocole sur le compromis démocratique, comme pour l’Équateur, avec la fermeture des frontières ?

L’UNASUR est une organisation plurielle, constituée de différents gouvernements qui ont leur propre vision sur les questions politiques. Il a été question d’appliquer un processus similaire à celui de l’Équateur, mais cela n’a pas été approuvé par la majorité et au sein de l’UNASUR, les décisions sont prises par consensus.

Le président paraguayen Federico Franco refuse toute décision de l’UNASUR.

Ce n’est pas étonnant. S’il a rejeté une proposition émanant d’une organisation à laquelle appartient le Paraguay, le reste importe peu. Au Paraguay, moins de 2 % de la population possèdent plus de 80 % des terres, et Franco représente cette partie de la population, dont le pouvoir est très fort.

La sortie de Fernando Lugo a-t-elle fait désordre ?

Suite au sommet de Rio+20, nous sommes allés au Paraguay et nous sommes réunis avec le président Federico Franco, Lilian Samaniego, présidente du Parti Colorado [parti conservateur, ndlt], Blas Llano, président du Parti Libéral, Miguel Carrizosa, président du Sénat et Alberto Ramírez Zambonini, président du Tribunal Supérieur de Justice Électorale. Certaines interventions ont été virulentes, niant toute possibilité de garantir le processus proposé.

Quels étaient les arguments ?

Que l’ex-président Federico Lugo a eu quatre ans pour se défendre et qu’il ne l’a pas fait. Nous arrivons donc à la conclusion qu’il y avait un accord entre ces partis. Un sénateur nous a même donné congé, disant que notre meilleure contribution était de ne pas intervenir dans les problèmes internes de son pays.

Mais le Paraguay intègre l’UNASUR…

Effectivement le Paraguay est membre et, en conséquence, l’UNASUR a l’obligation d’appliquer les principes établis dans le traité constitutif. L’un d’entre eux est de maintenir l’ordre démocratique. La décision qui a été prise est désormais connue, et l’ex-mandataire a eu à peine deux heures pour s’exprimer. Il est impossible de préparer une défense en un tel laps de temps.

Il y a donc eu désordre ?

Il y a eu de larges troubles, tant légalement qu’au niveau de la procédure. Federico Franco se souciait peu d’appliquer la proposition.

Qu’attend-on de la commission de haut niveau présidée par Salomón Lerner ?

Cette commission est chargée d’assurer un suivi du cas paraguayen et de prêter ses bons offices pour aider à résoudre le problème, si les partis de ce pays en manifestent une réelle volonté.

Le Mercosur (Marché commun du Sud) a fait écho à l’UNASUR, mais il ne s’est pas passé la même chose avec l’OEA (Organisation des États Américains), dont le secrétaire général, Miguel Insulza, a répondu froidement au cas paraguayen ; il a d’ailleurs annoncé une autre réunion de son organisation.

L’OEA s’est précisément distinguée en ne défendant pas la démocratie de nos États. Par ailleurs, l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) n’a pas clairement émis d’opinion défavorable quant au coup d’État vénézuélien en 2002, renversant le gouvernement du président Hugo Chávez l’espace de quelques jours. L’OPEP est toujours largement conditionnée par le poids qu’avaient les États-Unis.

Les États-Unis soutiennent ces actions ?

Le gouvernement des États-Unis est entaché d’une grave erreur, qui va jusqu’à l’affaiblir. Voyez jusqu’où va sa domination : elle engendre un processus d’union sud-américaine et lui permet d’abriter des gouvernements originaires de coups d’état. Ce pays conserve une situation privilégiée et possède une soif terrible d’accéder aux ressources naturelles, et particulièrement aux ressources dites « stratégiques ». Certains documents officiels prétendent que les ressources naturelles sont un problème de sécurité nationale pour les États-Unis.

Les États-Unis engendrent de l’instabilité ?

C’est un fait avéré. Le monde a besoin de stabilité et les États-Unis sont devenus un agent perturbateur.

Jusqu’à quand le Paraguay sera écarté de l’UNASUR ?

Jusqu’à ce que s’y rétablisse la démocratie.

C’est-à-dire jusqu’à ce que les paraguayens aillent aux urnes ?

Je ne veux aucunement spéculer à ce propos, la solution repose sur le peuple paraguayen. La démocratie ne se limite pas aux élections, c’est un exercice quotidien. La démocratie, comme l’a définie Abraham Lincoln, c’est « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » ; j’y ajouterai « avec le peuple ».

Le Télégraphe, Équateur, 16 juillet 2012

Traduction de l’espagnol : Jordana Do Rosário